Enquête: Dans l’intimité de la grossesse des femmes soldats

jeudi 19 décembre 2019 • 1191 lectures • 1 commentaires

Société 4 ans Taille

Enquête: Dans l’intimité de la grossesse des femmes soldats

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iGFM- Etre femme dans l’Armée sénégalaise et maman n’est pas incompatible. Et si dans les esprits, le milieu est encore associé à la gent masculine, dans la pratique, les mentalités ont beaucoup évolué. De plus en plus, les femmes sont recrutées dans l’armée et nombre d’entre elles occupent des postes à responsabilité. Mais qu’en est-il de la maternité, comment ces soldates la vivent-elle ? Qu’est-ce que les textes prévoient pour elles ? La grossesse est-elle un frein à leur ascension professionnelle ? «L’Obs» a mené l’enquête.

«J’ai piloté jusqu’à mes 7 mois de grossesse.» L’aveu pour le moins surprenant, est du Capitaine Mame Rokhaya Lô. A 37 ans, la jeune maman de deux enfants est ce qu’on pourrait appeler un «oiseau rare» du corps féminin de la Gendarmerie. Parce que madame, excusez, le capitaine Lô, n’a jamais voulu se détourner de sa passion, les airs, même durant une grossesse. «J’ai toujours été contre les stéréotypes qui confinent la femme en état de grossesse au foyer et au rôle exclusif de mère. Non, car après tout, la grossesse n’est pas une maladie», lâche-t-elle de sa voix rauque, aux masculines intonations.

Dans son bureau au décor épuré, avec juste le strict minimum pour s’acquitter au mieux de sa tâche, Mame Rokhaya se meut en toute décontraction, sanglée ce jour, dans l’uniforme bleu et noir de son unité. Casque de cheveux nappy, coupés à la garçon, lunettes de vue agrémentant son visage poupin dépourvu de maquillage, la jeune maman, cheffe de la Division Genre et de la Division admission-mobilisation de la Gendarmerie, a intégré la Gendarmerie en 2011. Depuis, elle ne s’est pas arrêtée. Même en état de grossesse. Sourire angélique dévoilant une superbe dentition ivoire, Mame Rokhaya confie : «La grossesse d’une femme de tenue n’est pas totalement différente de celle du personnel civil. Nous sommes soumises au même régime que les fonctionnaires de l’Etat. Nous avons nos semaines réglementaires avant et après accouchement. Nous avons aussi nos heures d’allaitement, comme les femmes fonctionnaires, qu’on prend le matin très tôt ou à la descente, c’est-à-dire en rentrant une heure plus tôt. Quand une femme gendarme contracte une grossesse et qu’elle obtient son certificat de grossesse décerné par le médecin militaire, elle est placée en emploi sédentaire. Elle n’est plus associée au travail sur le terrain et est dispensée des travaux présentant des risques d’avortement. Maintenant, tout dépend de la femme.»

Mame Rokhaya, elle n’a pas jugé nécessaire de prendre cette option. Pilote à la section aérienne de la Gendarmerie, elle a pris sur elle de travailler jusqu’à la dernière minute. Jusqu’à ce que son ventre devienne assez rebondi pour l’obliger à lâcher la manche. «Je faisais les missions comme les hommes de mon unité», s’esclaffe-t-elle, arrachant un sourire à ses deux collègues. Les deux dames se lancent des œillades timides ; leur sourire est juste une réaction de leur capitaine. Lorsqu’elle parle, Mame Rokhaya installe un code de connivence. Elle secoue énergiquement la tête dans ses dénégations, appuie ses plaidoiries par des touchers, roule des yeux pour chercher l’approbation de ses paires. Toutefois, elle ne manque pas de ponctuer ses réponses par une petite pause respiration. Elle dit : «Pour mes deux grossesses, je n’ai jamais jugé nécessaire de prendre un emploi sédentaire et j’ai piloté jusqu’à 7 mois.»

Un exploit ? Oh que non ! Plutôt un métabolisme résistant. Mame Rokhaya, durant ses deux grossesses, n’a connu ni nausées, ni complications qui auraient pu l’empêcher de prendre les airs. «Je me considère comme chanceuse. Aucune de mes grossesses ne m’a fait souffrir, ni contraint à abandonner mon poste», argue-t-elle. Quid de la tenue? Là aussi, pas de quoi se faire du mouron. Puisqu’à la Gendarmerie, les textes ont été adaptés pour mettre les femmes enceintes dans des conditions optimales pour exercer. Mame Rokhaya Lô : «A la gendarmerie, les textes nous permettent, à partir du 4e mois de grossesse, de porter des tenues civiles. Et ils nous autorisent même d’aller à l’atelier nous faire confectionner des habits plus amples dans lesquels nous serons plus à l’aise pour nous mouvoir et travailler.»

«Mes arrivées en uniforme, avec mon ventre rebondi, étaient un vrai spectacle»

La grossesse chez les femmes d’armes. Le schéma en intrigue plus d’un. Alors on a été tenté d’intégrer la grande muette pour en savoir davantage et connaître le mode d’emploi. Comment se passe la maternité pour une femme en tenue ? La situation est-elle la même que pour les civiles ? Comment allient-elles travail de terrain et grossesse ? Et qu’en est-il du port de la tenue ? «Mes arrivées en uniforme étaient un vrai spectacle», pouffe le commissaire principal de police Sanou Diouf. Parce que pour le corps masculin de son régiment, voir une femme de tenue en état de grossesse était un fait inhabituel.

Dans la tenue noir et blanc de son unité, la directrice adjointe des ressources humaines de la police nationale et point focal genre se remémore cet épisode, dans un rire contagieux : «Au départ, mes collègues hommes n’étaient pas très habitués à voir leur cheffe de service dans une tenue ample avec un gros ventre. A chacune de mes arrivées, ils se regroupaient tous au poste de garde comme pour honorer un rendez-vous. C’est bien après que j’ai compris qu’ils se réunissaient là juste pour me regarder passer avec des regards entendus mais bienveillants. Cependant, ils se limitaient à cela et ne poussaient pas la curiosité jusqu’à la blague. Je les comprenais parce que c’était nouveau et différent. D’autres étaient pleins d’attention

A la police nationale qui compte environs 900 femmes, tout comme à la Gendarmerie où on dénombre 438 femmes, dont 30 officiers, la sollicitude est de mise pour les femmes en état de grossesse. Elles sont ménagées et des agencements sont prévus par rapport à la fiche de poste, au service et aux horaires. Commissaire Sanou Diouf : «Celles qui sont affectées à la circulation sont, par exemple, relevées et placées en emploi sédentaire. De même, des tenues avec des pointures plus grandes sont prévues.» Aussi, Sanou Diouf tient à préciser que contrairement à l’idée répandue, la maternité ne constitue aucunement une entrave à l’évolution de la carrière. «Si vous devez avancer, ce n’est pas une maternité qui va vous retenir. Si vous remplissez les critères, vous êtes automatiquement inscrite au tableau d’avancement. La maternité ne constitue pas un frein à l’ascension professionnelle de la femme», poursuit-elle.

C.M, une femme de tenue qui a requis l’anonymat, acquiesce. Actuellement en congé maternité, la quadragénaire, surprise à son domicile sis à Pikine, dissimule son ventre rebondi sous une robe large en coton. Le regard las, le pas lourd et traînant, C.M se dirige vers un sofa où elle s’affale de tout son poids. «J’en suis au dernier virage et là, je suis vraiment épuisée. J’ai juste hâte qu’il sorte», démarre-t-elle. C.M porte sa 4e grossesse et de la première à celle en cours, la femme de tenue confie n’avoir jamais connu de réelles complications. Elle réussissait crânement à les mener toutes à terme. Malgré la pression d’un travail harassant et requérant une grosse aptitude physique. «On pourrait spontanément penser qu’avoir un enfant est incompatible avec une carrière au sein de l’armée. Fort heureusement, ce n’est pas le cas. Le congé maternité, sa préparation, ainsi que la réintégration sont des étapes qui se déroulent de manière sereine. Pour mon cas, heureusement, j’ai eu la chance d’être à un poste qui ne requiert pas un effort physique intense. J’ai toujours été ménagée, malgré mes inquiétudes.»

Car le principal souci de C.M était comment sa hiérarchie allait accueillir l’annonce de sa grossesse. Mais surtout si son congé maternité, puis l’arrivée de son enfant seront un obstacle au bon déroulé de son parcours professionnel ? Ses craintes vont fondre comme beurre au soleil. Elle souffle : «Ma hiérarchie a très bien réagi lorsque j’ai annoncé que j’attendais un heureux événement. C’était le premier pas. Par la suite, elle a pu mettre en place des aménagements pour que je vive au mieux ma grossesse. À la fin de mes dix semaines de congé maternité, j’ai réintégré mon régiment et ces interruptions d’activité n’ont pas été un frein à ma progression professionnelle, puisque j’ai pu évoluer et acquérir des responsabilités après mes trois grossesses.» La maternité, loin d’être un frein, est donc avant tout une étape naturelle de la vie de ces femmes de tenue qui sont des militaires comme les autres.

«Me séparer de mon enfant était une déchirure»

Aïssatou Diouf en est convaincue. A 36 ans, la Maréchal des Logis chef à la caserne Samba Diéry Diallo de la Gendarmerie a su gravir les échelons sans entraves et accéder au statut de gradée. Ce, malgré sa grossesse et la naissance de sa petite «princesse», qui gambade aujourd’hui vers sa première année sur terre. Pour cette première expérience, Aïssatou qui a intégré la gendarmerie en 2008, confie n’avoir pas connu de grosses complications. Un motif suffisant pour la Mdl chef de travailler jusqu’à la veille de son accouchement. Aïssatou Diouf : «Quand j’ai contracté cette grossesse, j’étais en position hors cadre. J’étais l’assistante du secrétaire général du ministère de la Justice. Et à aucun moment, je n’ai senti le besoin de prendre des congés maternité. Raison pour laquelle, j’ai travaillé jusqu’à la veille de mon accouchement. La tenue aussi, je l’ai portée jusqu’à mon 5e mois avant de la troquer contre une tenue civile. Ce qui collait parfaitement avec nos textes qui exemptent la femme en état de grossesse avancée du port de la tenue.»

Jusque-là, rien à signaler. Le plus difficile a été la reprise. Pour Aïssatou, se séparer de sa fille fut l’étape la plus douloureuse. Sourire contrit, yeux fixant obstinément le carrelage gris du bureau où elle reçoit, la jeune maman prend une profonde inspiration. Dans sa combinaison en wax, tissage retenu dans un chignon strict, elle se réajuste sur son siège et lâche : «Par contre, c’était difficile de me séparer de ma fille et de la laisser à la maison. C’était comme une déchirure.» Heureusement, une affectation est venue remettre les pendules à l’heure, lui offrant l’opportunité de travailler à 100m de son domicile et de sa fille. Mutée à la caserne Samba Diéry Diallo où elle loge aussi, la Mdl Chef n’est, aujourd’hui, jamais trop loin de sa fille et peut même se permettre, à la pause, de passer du temps avec elle.

Un petit plaisir que ne peut pas se payer son collègue, Jeanne Ndiaye, 33 ans, mère de deux enfants et Maréchal chef de Logis chef à la caserne Samba Diéry Diallo. Elle a dû couper le cordon ombilical très tôt. Aussitôt après le premier anniversaire de sa fille. Triturant nerveusement son béret, bégaiement à peine perceptible, elle annone : «J’ai dû sevrer ma fille alors qu’elle avait un an parce que je devais rejoindre un stage. Je l’ai laissée avec sa grand-mère, avec qui elle vit toujours. N’empêche, je vais la voir chaque week-end.» Cette situation, loin de l’attendrir l’a endurcie. Pour Jeanne, l’appel de la tenue a été plus fort. C’est parce que chez la maman de deux enfants, la tenue a toujours été un rêve de gamine.

«J’ai grandi dans un environnement militaire, c’est donc tout naturellement que j’ai opté pour la tenue. C’est un rêve d’enfant qui se réalisait. Donc, quand la décision de stage est sortie, je n’ai pas hésité. En plus, j’avais recouvré toutes mes forces car pour cette première grossesse, je n’ai pas eu de grosses difficultés. Pas de vertiges encore moins de nausées. D’une part, je dirai que cela est dû à la formation physique, d’autre part, je dirai que mon organisme a toujours été endurant. Pour mon premier enfant, j’ai travaillé jusqu’à 8 mois de grossesse et pour la seconde, j’ai travaillé jusqu’à 20 jours de mon accouchement. Je portais la tenue jusqu’à 7 mois de grossesse. Les congés maternité ne se sont jamais imposés à moi bien que je ressentais en permanence des courbatures, des maux de dos, de ventre etc. Mais rien qui pouvait m’indisposer au point que je ne puisse travailler.» Parce qu’avant tout, «nous sommes des soldats», ergote-t-elle, fièrement.

NDEYE FATOU SECK

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Publié par

Daouda Mine

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