Il était une fois Serigne Mbaye Diakhaté, le veilleur d’Abdallah

mercredi 30 mai 2018 • 4169 lectures • 1 commentaires

Société 5 ans Taille

Il était une fois Serigne Mbaye Diakhaté, le veilleur d’Abdallah

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IGFM-D’une dextérité rarement inégalée en métrique arabe et wolof, Serigne Mbaye Diakhaté a, à la force de sa seule plume, contribué à la massification du mouridisme. Un haut fait d’arme qui lui vaut la mission de sa vie : ressusciter Khour Mbacké, le royaume d’enfance de Khadimou Rassoul.

La case est d’allure modeste. De même que le mausolée élevé à l’arrière de la mosquée de Serigne Touba à Khour Mbacké, dans la région de Diourbel. L’une a abrité Serigne Mbaye Diakhaté de son vivant. L’autre veille sur son sommeil éternel. Deux témoins qui sont loin d’égaler les chefs-d’œuvre architecturaux de la chambre de Mame Diarra, du mausolée de Habiboullah, du caveau familial… Tous des lieux de mémoire consacrés à Khadimou Rassoul. Lequel, à son retour de l’exil mauritanien, donna l’ordre à son talibé Serigne Mbaye de s’installer dans la localité de son enfance. Avec comme seule mission de rendre à ce village tapi à 25 km à l’ouest de la cité religieuse de Touba, ses lettres de noblesse.

Khour Mbacké est célèbre pour être le témoin des premiers pas de Serigne Touba sur le sable. Lorsque son père, Mame Mor Anta Salli, s’y installe à la recherche d’espace pour loger sa famille et ses élèves, le cheikh est entre la reptation et la marche. Sa mère, Mame Diarra, offrira en ce lieu un fort exemple de don de soi à la postérité culturelle, cultuelle et philosophique avec l’épisode du muret en paille en une nuit pluvieuse. Quand la famille migre dans la Saloum, Khour Mbacké est laissé à l’abandon. «Cinquante ans après, c’est un vaste désert inhabitable qui attend Serigne Mbaye Diakhaté», dit Serigne Modou Diakhaté, son deuxième petit-fils dans l’ordre de succession. Il porte la voix du khalife, serigne Abdou Diakhaté, à Touba pour les besoins du Magal de Darou Khoudoss. Assis en tailleur sur la natte étalée sur la grande place du village, il est la bienveillance incarnée. Sourires et petites attentions linguistiques émaillent ses explications. La famille a laissé à Oumar Bâ, un notable de 75 ans, la garde des lieux-mémoire du mourisdisme, ainsi que l’histoire de leur aïeul. Mais serigne Modou Diakhaté ne coupe jamais une occasion de creuser un épisode. Par exemple, lorsque son ancêtre a fait planter du manioc tout autour de la tombe du cadet de Serigne Touba. «Ce fut la mission principale du repeuplement de Khour Mbacké. Le Cheikh avait, à de nombreuses reprises, rêvé de son frère qui l’enjoignait de s’occuper de sa sépulture», précise-t-il. La case de Serigne Mbaye Diakhaté est à quelques empans du mausolée de Habiboullah. Les deux sont en chantier, mais l’envergure du second éclipse le premier. En réhabilitation depuis quelque temps déjà, les descendants s’échinent à trouver les fonds pour finir le carrelage au sol et l’armature du toit. Ornée de carreaux blanc et vert à l’extérieur et fermée par une porte en fer forgée, la case est de forme irrégulière avec un toit qui pointe vers le ciel. L’impression d’inachevé est renforcée à l’intérieur par le sable qui court sur toute la surface du sol, sur lequel sont empilés des livres. Il y a là aussi un lit en fer d’une autre époque avec posé dessus un matelas très fin. Sur les murs, une rangée de carreaux des mêmes couleurs à mi-hauteur détonne sur l’autre moitié en dallage. C’est ici qu’a vécu Serigne Mbaye Diakhaté, de son vrai nom Ababakar Sadiq, le patriarche du village.

La rencontre du désert

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A l’origine, Ababakar est loin de son travail de conservateur. Il est ce qu’on peut appeler un poète dans son acceptation la plus mystique. Omar Bâ : «Serigne Mbaye Diakhaté est au futur ce que Serigne Moussa Kâ est au passé. Il produisait des vers prémonitoires.» L’étude de sa vie et de ses œuvres retiendra de lui qu’il fut plutôt un moralisateur, une sorte de gardien de la bonne moralité. Ses œuvres que ses descendants n’ont pas encore réussi à quantifier, sont écrites en de courts poèmes, dans un wolof châtié et exhortent au perfectionnement spirituel. Une quantité est, bien sûr, dédiée aux panégyriques du Cheikh et au Mouridisme. La famille est aidée dans ce travail de réunification de toutes les œuvres par le professeur Lamane Mbaye de l’Université de Dakar. Mais, il reste encore beaucoup à faire pour connaître l’étendue de l’érudition du poète-autodidacte. L’adjectif n’est pas vérifié, mais à Khour Mbacké, on aime penser que le jeune Ababakar Sadiq avait des prédispositions naturelles.

Né à Aïnoumane dans la Kadior en 1875, il est le fils de Khali Madiakhaté Kala. Chef de village, professeur, cadi et secrétaire de Lat Dior, ce dernier qui taquine aussi la métrique arabe, traîne une réputation d’homme le plus lettré à l’époque. «Il a enseigné la Grammaire et la Versification arabes à Ahmadou Bamba. Le Cheikh le fréquentait pour approfondir sa connaissance de la langue arabe», dit-on à Khour Mbacké. Pourtant, à l’âge de raison, Ababacar déserte Aïnoumane pour rejoindre la légion, lui étant en exil au Gabon. Il est placé sous la responsabilité de Mame Thierno qui se charge de ses études en attendant le retour de Bamba. En 1902, il revient en triomphe au Sénégal sans que Ababacar ne puisse le voir. Il faudra attendre l’année suivante et l’exil en Mauritanie pour que la rencontre se fasse sous la houlette de Ndamal Darou. Serigne Touba qui est sur le départ, part alors faire ses adieux à ses proches. Une rencontre éphémére dont ne se contente pas le jeune talibé. «Il a alors décidé de se mettre à son service dans le désert mauritanien», dit Omar Bâ. Cette tarbiya durera près de 4 ans et se solde par l’honneur de se voir confier, à son retour dans le Jolof,  l’éducation islamique de Serigne Bassirou, père de l’actuel Khalife général des Mourides.

Le manioc de la tombe de Habiboullah

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Lorsque l’élève revient en maître, il s’installe dans le Jolof et se donne pour mission de vulgariser les enseignements religieux. Ses premiers vers ont été datés, selon la famille, de l’époque mauritanienne. Mais sa plume s’affermit véritablement à son retour. Ses écrits (wolofal) sur Khadimou Rassoul et sur la voie du mouridisme contribuent à massifier la tarikha. Peut-être la raison pour laquelle, de retour à Diourbel, Serigne Touba lui confie la mission de faire renaître son village d’enfance. Nous sommes en 1918, le dernier passage de l’homme à Khour Mbacké est noté d’il y a un demi-siècle, lors du départ de Mame Mor Anta Salli et de sa famille pour le djihad de Maba Diahou Bâ. «Dans les premiers temps de leur installation, il se dit que Serigne Mbaye Diakhaté et ses élèves se nourrissaient du manioc planté autour de la tombe de Habiboullah et qu’il n’en manquait jamais», explique Omar Bâ. La tombe du frère cadet de Serigne Touba, mort à bas âge, est le premier lieu réhabilité. Viennent ensuite la chambre de Mame Diarra et l’école de Mame Mor Anta Salli qui deviendra le daara du village. A Khour Mbacké, il reste encore des vestiges de la première réhabilitation faite par Serigne Mbaye. Plus tard, le Cheikh obtiendra du colon la permission d’y faire une visite d’inspection. Il ne resta que le temps d’effectuer les prières de l’après-midi et du soir en face du daara de son père. Ce sol a maintenant été élevé en mosquée dont le minaret, altier, domine le paysage du village. Il en a donné les mesures. Tout comme il a donné l’emplacement exact du puits creusé à l’entrée du bourg et qu’on appelle le Puit de grâce, différent du Puits de Mame Diarra situé à la sortie. Serigne Touba ne s’arrête pas là, il fera inhumer 11 de ses enfants à Khour Mbacké. Les dix reposent dans un sanctuaire dont les premiers murs ont été des ronces assemblées par le patriarche. Lorsque Khadimou Rassoul s’éteind en 1927, Serigne Mbaye Diakhaté est pratiquement parvenu à sa mission de redonner vie à Khour Mbacké. Conforté par le premier khalife de Bamba, il réussit, à force d’enseignements et d’agriculture, à sédentariser une population qui maintenant s’élève à 525 habitants. Décédé à l’âge de 73 ans, il repose à l’arrière de la mosquée. Dans un bel et modeste ensemble de tapis versifié en lettres d’or d’où s’échappe des effluves d’encens.

AICHA FALL (Envoyée spéciale à Diourbel)
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Daouda Mine

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