Keur Marème Mbengue : Aux origines de la radicalisation de Lamine Ndiaye, le djihadiste sénégalais
lundi 30 décembre 2019 • 1681 lectures • 1 commentaires
Société 4 ans Taille
Un soleil flambait au ciel, à Niagues, la chaleur étouffante n'entame pourtant pas l'ardeur des populations. Il était déjà midi ce samedi 28 décembre à la gare routière appelée «Garage clando», où les conducteurs guettent désespérément l'arrivée de voyageurs. Ici, tous les véhicules ne font pas le plein de passagers à tout moment de la journée. «A cette heure de la journée, le trajet qui mène vers Keur Maréme Mbengue n'est pas trop fréquenté. Les voyageurs sont peu nombreux», se plaint un jeune rabatteur aux yeux rougis profondément enfoncés dans leur orbite. Une heure plus tard, voilà qu'un quatrième passager se pointe, installé dans le véhicule par le rabatteur, avant que le chauffeur ne démarre sans plus attendre.
Lancé à toute vitesse, le véhicule semble avaler l'asphalte, avant qu'on ne découvre subitement le Lac Rose. Puis la route devient mauvaise, les passagers sont cachotés sans ménagement. Fort heureusement, longer le lac Rose, avec les amoncellements de sel se dressant par endroits sur le rivage, fait oublier les secousses qui envoient les passagers les uns sur les autres. Au bout d'une dizaine de minutes, lorsqu'on finit de longer le lac, le véhicule s'engage sur une route boisée, parsemée de nids de poule. Lorsqu'il s'immobilise enfin au bout d'une piste en latérite, on découvre Keur Maréme Mbengue, qui contrairement à Niagues, est balayée à cette heure de l'après-midi par la brise marine. Le village n'est séparé de l'océan que par une bande de filaos.
Tandis qu'on découvre le village, l'appel du muezzin à la prière du Dohr (Tisbar), relayé par des haut-parleurs, retentit. A la mosquée Ibadou Rahmane, on découvre enfin la communauté des barbus. L'endroit est calme. Point de discours ni de prêches virulents. Juste quelques rangs derrière l'imam pour les quatre Rakaas dans l'humilité et la dévotion, puis seul un petit groupe reste à discuter dans la mosquée, alors que les autres fidèles, dont l'imam, rejoignent leurs domiciles respectifs. Dans les rues sablonneuses, aucune animation. «Ici, on n'écoute pas de la musique», souffle un habitant, devenu subitement muet lorsqu'on veut évoquer «l'affaire des djihadistes» sénégalais, Lamine Ndiaye, son épouse, Aida Sagna, actuellement en détention, et le couple Sarr, partis combattre en Libye dans les rangs de l’Etat islamique. Il faut emprunter une pente raide pour se retrouver sur la latérite où enfin deux individus, tous barbus, acceptent de lâcher quelques confidences.
..... Daech : c'est au lendemain de l'appel de L'Etat Islamique (EI) invitant des volontaires étrangers à aller combattre en Libye que l'effervescence s'est emparée du quartier Ibadou Rahmane situé dans le village de Keur Maréme Mbengue. Des vidéos d'exécutions sommaires ou d'appels au Djihad ont très vite commencé à circuler là-bas. "Lamine en détenait et il était fréquent qu'il en montre ici pour convaincre ses amis. C'était tout au début de l'année 2016», témoigne un habitant qui a accepté de se confier sous le couvert de l'anonymat. Seulement, souffle notre interlocuteur, ce n'était pas tout le monde qui avait adhéré à l'idée d'aller combattre en Libye ou sur les autres fronts djihadistes. «Il y avait de vives discussions dans la mosquée», confie-t-il. Puis, ce que tout le monde avait craint a fini par arriver. «La communauté s'est fissurée. Désormais, il existait deux camps dans le quartier : d'un côté les radicaux, que Lamine Ndiaye avait réussi à convaincre et à enrôler. D’un autre, les attentistes. C'était très complexe et à la fois très dur à vivre car certains en étaient même arrivés à ne plus se fréquenter. Ils se limitaient juste à se saluer de manière froide d'ailleurs, alors que nous formons tous une même communauté».
Comment Lamine Ndiaye a été démis de son statut d'émir
Pendant ces moments tumultueux de la communauté Ibadou Rahmane de Keur Maréme Mbengue, le fossé n'a fait que s'accentuer. Et sentant son discours devenu accrocheur, Lamine Ndiaye va tenter de «sonner l'assaut» en portant le dernier coup à la citadelle, devenue prenable à ses yeux. «Son discours devenait de plus en plus virulent. Il s'est beaucoup radicalisé, ses sermons à la mosquée étaient très engagés. Pour lui, partir combattre était la meilleure chose à faire», se souvient notre interlocuteur, les yeux braqués sur notre téléphone portable. «N'enregistrez surtout pas», prévient-il. En effet, «malgré tout ce qui est arrivé, nous demeurons des frères, ils se sont peut-être égarés, mais nous ne pouvons pas oublier les moments que nous avons passés ensemble», confesse notre interlocuteur. Ses prêches devenus acerbes, Lamine Ndiaye a été finalement privé de micro dans l'enceinte de la mosquée.
«Ses appels au Djihad ont fini par nous indisposer, nous l'avons à nouveau rencontré pour le rappeler à la raison, il ne nous a pas écoutés, nous l'avons alors destitué», tranche net notre interlocuteur. La crise s'est alors accentuée dans le village, tant et si bien qu'il a fallu faire intervenir Dr Cheikh Ahmad Lô. Islamologue émérite titulaire d'un doctorat d'Etat en études islamiques obtenu en Arabie Saoudite, il est très écouté par la communauté des Ibadou Rakhmane de Keur Maréme Mbengue.
«Il a tranché contre les voyages pour aller combattre aux côtés des Djihadistes de l'Etat Islamique», confie encore notre interlocuteur, qui semble d'ailleurs satisfait de cette décision de l'érudit. Cependant, dès leur retour au village de Keur Maréme Mbengue, Lamine Ndiaye et son clan campent sur leur position. Même un émissaire dépêché par Dr Cheikh Akhmad Lô pour les convaincre par des causeries, n'a pas réussi à les faire renoncer à leur idéologie. Et pour montrer leur détermination, sans en informer personne, ils s'organisent et commencent à rejoindre les champs de bataille. «Il était fréquent de voir des jeunes et des moins jeunes manquer à l'appel et lorsqu'on s'inquiétait de leur absence, on a été alors informés plus tard de leur départ ou de leur arrivée en Libye ou ailleurs pour combattre. Ils partaient sans informer les familles. Peu avant qu'ils ne partent au front, certains parmi eux nous qualifiaient carrément de poltrons». C'est dire qu'il en fallait plus pour entamer la détermination du clan de Lamine Ndiaye.
ALASSANE HANNE
Publié par
Daouda Mine
editor
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