Militaire invalide: Ousmane Sarr*, debout contre vents et marées
mercredi 8 janvier 2020 • 563 lectures • 1 commentaires
Société 4 ans Taille
Portrait.
Grand et robuste, jogging bleu marine et T-shirt blanc à rayures bleues, baskets aux pieds, on ne pourrait deviner que cet homme est amputé. Il marche vers son bureau pour se prêter à l’entretien, loin des regards indiscrets, et seulement ainsi, on remarque qu’il boite. Ousmane Sarr a des gestes carrés et un petit sourire sérieux au coin des lèvres.
Vingt-deux ans après l’accident qui lui a coûté un tiers de sa jambe droite, il se rappelle de ce douloureux moment : «J’ai sauté sur une mine. Nous étions deux. L’autre est amputé des deux jambes.» Il était en mission à Badème, un village situé en Basse-Casamance.
Sous le coup de l’émotion, blessé, choqué et désorienté, Ousmane n’avait qu’une envie : en finir avec sa vie. Il se souvient : «C’était au cours d’une mission. J’étais dans un groupe dont j’étais le chef. Et à chaque fois, quand nous étions en marche, j’allais devant pour rassurer ceux qui étaient sous mes ordres. Ce jour-là, ce n’était pas mon jour.»
Il devient silencieux. Son regard est absent. Un soupir et il reprend : «J’ai entendu une détonation, je croyais que nous étions tombés dans une embuscade. Or, c’est la mine qui venait d’exploser. Je suis resté debout, sur une jambe, sans savoir ce qui m’arrivait. Un de mes éléments m’a crié : « Caporal, couche-toi !»
Il a refusé d’obtempérer. Il voulait d’abord savoir d’où venaient les tirs. «Ne voyant rien, j’ai voulu aller me planquer. J’ai avancé, je suis tombé. Je me suis levé, je suis tombé une deuxième fois. Ensuite une troisième fois. Je me demandais ce qui m’arrivait.»
Et quand il s’est assis, il a tendu les deux jambes, et il a alors vu que l’une était déjà amputée. Il ne restait plus que le tendon qui saignait. Il n’a pas vu le reste de la jambe. «C’était horrible. Insupportable. J’ai eu envie de mourir. J’ai mis une arme dans ma bouche.»
Si aujourd’hui Ousmane est en vie, il le doit à un de ses éléments qui a essayé de le convaincre d’avoir foi en Dieu. Il lui a retiré l’arme des mains, avant qu’il ne s’évanouisse, pour se réveiller à l’hôpital Principal de Dakar.
Militaire un jour, militaire toujours
Ousmane est resté un an couché sur un lit d’hôpital. Mais pas un seul jour, il n’a regretté d’avoir servi dans l’armée : «Je ne regrette rien. Je me suis porté volontaire. Si je pouvais retourner en mission, dans une zone de guerre, je n’hésiterais pas. C’est un métier que j’aime.»
Malheureusement, après son amputation, il a passé une dizaine d’années à attendre que l’armée veuille bien le recaser. La petite pension (dont il hésite à donner le montant) qu’il reçoit de l’État sénégalais ne pouvait pas nourrir et soigner sa femme et ses six enfants. Puis un bon jour, son dossier a fini par passer. Il a alors commencé à travailler «dans la paperasse», car, s’indigne-t-il «les missions, on ne peut plus en bénéficier quand on a perdu un membre. Les stages, non plus. On a beau tout faire, on ne passe pas.»
Mais dans ce petit bureau, face à un ordinateur et un gros tas de documents administratifs, Ousmane estime ne pas être à sa place. «Tout ceci, c’est fait pour les intellectuels. C’est un confort que je n’ai pas choisi. J’aimerais être sur le terrain avec mes frères. De l’autre côté, c’est l’ambiance, la solidarité, l’amitié, la fraternité…» À l’abri des mines et des coups de feu cinglants, entre ces quatre murs, il voit dans le regard de ses collègues l’incompréhension. Ils n’ont pas fait face aux mêmes combats que lui.
Avoir la foi
Ousmane est blessé physiquement. Mais sa plus grande blessure est morale. C’est très dur pour lui de voir, après plus de 20 ans dans ce métier, que «des jeunes qui sont à peine arrivés, après un an ou deux, arrivent à bénéficier de choses que nous ne pouvons même pas espérer. Grâce à cette validité que je n’ai plus.»
À cause de son accident, ses rêves professionnels ont volé en éclats. Sa vie amoureuse de l’époque aussi : «Je me rappelle de deux filles qui n’ont pas voulu de moi parce que j’étais devenu handicapé.» Heureusement, plus tard, «j’ai rencontré une femme pieuse, qui a bien voulu de moi.» C’est avec cette dernière qu’Ousmane a fait sa vie.
Il n’a pas de maison et il ne lui reste que quelques années pour aller à la retraite. «Je n’ai pas les moyens d’en avoir. Je mourrai en locations, après avoir tant sacrifié pour mon pays», se désole-t-il.
Ousmane Sarr a eu deux choix : s’apitoyer sur son sort, ou se battre et survivre. Il a choisi de se relever et de s’appuyer sur sa foi et sa famille. Il est debout.
(Ousmane Sarr est un nom d'emprunt*)
Par Monia Inakanyambo
Publié par
Daouda Mine
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