Une journée dans l'enfer des migrants, porte de la Chapelle, à Paris

vendredi 17 août 2018 • 271 lectures • 1 commentaires

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Une journée dans l'enfer des migrants, porte de la Chapelle, à Paris

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iGFM - -(Dakar) - Dans le quartier de la Chapelle, au nord de Paris, des centaines de migrants vivent dans des conditions déplorables. Parmi eux, de nombreux jeunes hommes mais aussi des mineurs et des familles avec de très jeunes enfants. Ils cohabitent avec des toxicomanes, accrocs au crack, délogés, eux aussi, de leur campement de fortune. Récit d’une journée dans un quartier marqué par la détresse.

Devant le 56 du boulevard Ney, à deux pas du métro porte de la Chapelle, une queue s’est déjà formée. Des dizaines de migrants attendent que la distribution de petit déjeuner débute. Mais la préparation du repas est perturbée par une jeune droguée, agressive.

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À quelques mètres de là, Nilab, 19 ans, attend avec ses trois frères et sœurs d’être servie. La famille a fui l’Afghanistan il y a trois ans. Depuis leur arrivée à Paris, il y a trois semaines, Nilab, ses frères et sœurs et sa mère, sont ballotés d’hébergement provisoire en hébergement provisoire. Ils passent toutes leurs journées dans la rue.

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Mortaza et Sana, les jumeaux de 4 ans et Amir, 3 ans, semblent habitués à prendre leur petit-déjeuner debout sur un trottoir. Mais face au comportement de la toxicomane, ils sont médusés.


La semaine dernière, Nilab a coupé court les cheveux de la petite Sana pour qu’ils restent propres malgré le manque d’hygiène. "J’ai peur que mes frères et sœur attrapent des maladies dans la rue", confie la jeune femme.


Depuis plusieurs semaines, les quelques 700 migrants qui vivent porte de la Chapelle, dans des conditions plus que précaires, cohabitent avec des toxicomanes dont les abris de fortune, installés à quelques dizaines de mètres d’eux, ont été démantelés fin juin. Depuis, les ONG alertent sur une dangereuse mixité des populations où la misère côtoie la misère, les toxicomanes se mêlent aux distributions de repas, où les drogués déambulent au milieu des enfants.


Fin juillet, dépassé par la présence des toxicomanes, le collectif Solidarité migrants Wilson, en charge de la distribution des repas, a jeté l’éponge. Une autre association, Aurore, mandatée par la ville de Paris, a pris le relais.


9h30 : Distribution dans le calme


La distribution se passe dans le calme. L’association Aurore distribue chaque jour de 9h à 12h entre 600 et 700 petits déjeuners. Les migrants y reçoivent chaque jour le même plateau, composé d’une boisson chaude, de deux petits pains, de quelques carrés de chocolat, d’une briquette de jus de fruits et d’une compote.


C’est presqu’un miracle que la distribution se passe sans encombre. Il y a encore quelques jours, le point de rendez-vous pour les repas était le lieu de toutes les tensions. Toxicomanes et migrants en sont déjà venus aux mains. "Parfois les drogués arrivent, s’énervent et renversent toute la nourriture sur les tables […] Pour éviter les problèmes, on est obligé de les servir en premier", avait raconté Slimane, membre du collectif, à InfoMigrants en juillet.


Aujourd’hui le calme est revenu. Des barrières séparent les migrants des toxicomanes. Quand les migrants ont obtenu de quoi se restaurer, ils s’installent sur les petites barrières qui délimitent le carré de pelouse jauni et couvert de déchets au centre du boulevard Ney. Certains somnolent, d’autres discutent entre eux. Un jeune homme est plongé dans un livre sur le Soudan du sud et le Darfour.


10h : Se faire soigner dans la rue


Sur le trottoir d’en face, Médecins sans frontières a installé sa clinique mobile. L’ONG médicale est présente tous les mardis de 10h30 à 16h jusqu’à la fin du mois août. À partir de septembre, les consultations auront lieu le jeudi.

Les migrants peuvent être reçus en consultation dans le camion de l’ONG et bénéficier de soins primaires. "Les personnes que nous recevons viennent pour tout ce qu’une vie à la rue peut engendrer." Des blessures superficielles, aux maux de tête et rages de dents.


L’ONG n’est pas seule à apporter une assistance médicale aux migrants. Juste à côté des robinets installés par la mairie, l’association britannique FAST (pour First Aid Support Team) procure aux migrants qui en ont besoin des soins de base.


Elena est infirmière. Elle explique que les migrants qu’elle soigne souffrent de déshydratation, de malnutrition mais aussi de problèmes liés aux mauvaises conditions d’hygiènes dans lesquelles ils vivent. Pendant sa consultation organisée sur un banc, elle explique à un jeune homme comment prendre les antalgiques prescrits. À côté d’elle, une seconde infirmière ausculte au stéthoscope les poumons d’un autre patient.


11h : Les cabanes de chantier des Afghans


La distribution de petits déjeuners se poursuit. Des bénévoles du collectif Solidarité migrants Wilson apportent des kits d’hygiène et quelques vêtements propres. C’est vite l’attroupement. Les migrants souffrent du manque d’hygiène inhérent à la vie à la rue. D’autant plus que, pendant l’été, les douches publiques du boulevard Ney sont fermées.


Un peu plus loin sur le boulevard, une centaine de personnes - des Afghans en majorité - ont construit des abris avec des barrières métalliques. Ici, les nationalités se mélangent peu. Les Afghans restent entre eux, loin des personnes originaires d’Afrique subsaharienne, généralement du Soudan, du Tchad et du Mali.


Depuis les démantèlements des différents camps parisiens porte de la Villette et près du canal Saint Martin au printemps, les migrants qui n’ont pas été pris – ou n’ont pas voulu être pris – en charge dans les centres d’accueil, se sont regroupés là.


Les Afghans ont troqué les tentes contre des barrières de chantier. Ces abris de fortune ne les protègent pas plus des intempéries - quand il fait chaud, ils se transforment en fournaises, quand il pleut, l’eau ruisselle sur les affaires des migrants - mais leur permet de se créer un espace d’intimité.


En cette fin de matinée, certains Afghans essayent de contacter la plateforme téléphonique de l’Ofii (Office français pour l’immigration et l’intégration) pour obtenir un rendez-vous et enregistrer leur demande d’asile. En vain. L’Ofii a annoncé début août sur son compte Twitter que le numéro de téléphone en question n’était plus disponible.


Samadjita et Hassan Bobacar, eux aussi, ont besoin d’informations sur l’asile. Ces deux amis d’enfance qui disent être âgés de 16 et 15 ans sont partis ensemble du Tchad. Ils sont arrivés à Paris le 5 août après avoir fui les exactions du groupe jihadiste Boko Haram. Leurs parents ont été assassinés par les combattants de ce groupe jihadiste. En tant que mineurs, ils ont droit à une protection mais ils ne savent pas comment débuter la procédure de reconnaissance de leur minorité.


Depuis dix jours, ils viennent prendre leur petit déjeuner auprès de l’association Aurore. Le soir, ils dorment porte d’Aubervilliers, près du périphérique. "On a froid parce qu’on a juste un petit carton sur lequel on dort", raconte Samadjita.


Les deux jeunes garçons assurent qu’ils n’ont jamais eu de problème avec les toxicomanes de la porte de La Chapelle, plutôt avec les policiers. "Ils nous empêche de dormir une nuit complète". Entre les évacuations et le froid, ils ne dorment qu’une ou deux heures par nuit.


Depuis les évacuations de campements du mois de mai, les policiers ont la consigne d’empêcher tout point de fixation à Paris. Les migrants qui se regroupent pour dormir quelques heures au niveau de la porte de la Chapelle et de la porte d’Aubervilliers sont systématiquement réveillés et évacués. Seul le petit campement d’Afghan constitué de barrières métalliques fait, pour l'heure, exception.


3h : Retour au calme


La distribution est terminée, le boulevard Ney s’est vidé et les rats ont pris d’assaut la pelouse centrale. Les deux adolescents tchadiens se rendent à la clinique mobile de MSF car Hassan Bobacar a très mal à une dent.


Un membre de l’ONG va les accompagner jusqu’au Demie, cette structure gérée par la Croix rouge qui vient en aide aux migrants de moins de 18 ans.


Chaque soir, le même rituel recommence porte d’Aubervilliers. À partir de 18h, des dizaines de personnes affluent vers le jardin Anaïs-Nin, tout près de la porte d’Aubervilliers. Chaque soir, en effet les membres de l’association Utopia 56 se démènent pour trouver un logement à un maximum de mineurs isolés, de femmes seules et de familles – qui n’ont pu (ou su) trouver de places dans les traditionnels centres d’accueil en région parisienne. L’hébergement fonctionne grâce à un réseau solidaire de citoyens qui acceptent d’ouvrir leurs portes pour une nuit ou deux.


"Nous mettons tous les soirs environ 70 personnes à l’abri mais nous ne pouvons pas toujours loger les couples ", explique Alix, coordinatrice du projet par l’association à Paris.


Parmi les familles qui attendent d’être prises en charge, il y a Kiraz, son mari et ses enfants âgés de 3 à 17 ans. En 2015, la famille a quitté la Syrie après le bombardement de leur quartier à Idlib. Le petit Youssef, 6 ans, porte encore les stigmates de l’attaque. Il a été très gravement brûlé au poignet et au ventre. À Paris depuis huit mois, la famille attend désespérément d’obtenir l’asile et un logement. Les parents et les six enfants passent leurs journées dans la rue.


Le soir, ils se restaurent grâce au dîner distribué par les Restos du cœur. Les distributions ont lieu dans le jardin Anaïs-Nin, à 20 heures, du mardi au vendredi.


Ce soir-là, la file d’attente est déjà longue. "L’ambiance est toujours plus tendue le mardi", explique un membre des Restos du cœur. "Nous ne sommes pas là le week-end et le lundi donc les gens sont affamés quand nous revenons".


Khadija, 13 ans, la fille aînée de Kiraz, est chargée de faire le guet. Elle doit prévenir ses parents quand la distribution commence. Après le dîner, vers 22 heures, la famille sera accompagnée par une personne d’Utopia 56 jusqu’à son hébergement du jour. Kiraz est fatiguée de changer chaque jour d’endroit. "Parfois nous ne dormons même pas dans une chambre. Hier nous étions dans un bureau", raconte-t-elle.

Un petit peu plus loin, pendant qu’une partie de l’équipe d’Utopia 56 vérifient que tout le monde aura une place pour la nuit, d’autres bénévoles ont allumé quelques bougies sur un gâteau pour fêter un anniversaire. Tous les enfants accourent. On chante, on distribue les parts de gâteau et on ouvre des paquets de bonbons. Pendant quelques minutes, les jeunes migrants de la porte d’Aubervilliers retrouvent un petit peu de leur vie d’enfants.

Auteur : InfoMigrants 
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Publié par

Daouda Mine

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