Débat sur le 3e mandat: échec des constitutionalistes ou ruse des politiciens ?

samedi 17 octobre 2020 • 1241 lectures • 4 commentaires

Politique 3 ans Taille

Débat sur le 3e mandat: échec des constitutionalistes ou ruse des politiciens ?

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Curieusement, il n’y a que dans les pays Africains colonisés par la France où la problématique de la clause limitative du mandat présidentiel suscite des débats et met parfois en colère les peuples contre les régimes politiques au pouvoir.

Les exemples en cours, sont la Guinée, la Côte d’ivoire et le Sénégal. Mais aussi un pays comme le Bénin a connu en 2016, les velléités de l’exercice du troisième mandat présidentiel. Il y a également le Burkina Faso qui, en fin octobre 2014, a eu son ancien président Blaise Compaoré emporté et contraint à l’exil sous la clameur publique, suite à ses tentatives de tripatouillage de la constitution et à sa volonté de vouloir briguer un troisième mandat.

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Bref, les cas sont nombreux et on peut en citer encore ! Mais, au-delà de toutes les tentations de ces brigueurs du troisième mandat présidentiel, des manifestations populaires et des débats diatribaires « pour ou contre », on devrait réfléchir sur la responsabilité des constitutionnalistes africains !  Ce n’est d’ailleurs pas fortuit que l’ambigüité lacunaire de la rédaction des constitutions soit indexée un peu partout dans ces pays. Même s’il reste évident que les constitutionalistes n’ont pas les prérogatives d’initier des lois, mais quand même, les privilèges leur reviennent d’être généralement auteurs des manuscrits dans le processus d’élaboration des textes constitutionnels !

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II s’y ajoute étrangement que ces pays secoués par la crise du troisième mandat ont tous en commun la même formulation dans leurs constitutions concernant la clause limitative à deux mandats présidentiels consécutifs ! Est-ce à dire que c’est du hasard ou simplement c’est un travail de copier-coller ?


Les réalités propres et contextuelles sont déterminantes dans l’inspiration et l’élaboration de toute bonne loi. Sous ce rapport, c’est alors une hérésie de voir la reproduction intégrale de la même phrase dans les textes constitutionnels des pays culturellement différents comme la Guinée, la Côte d’ivoire et le Sénégal !  Ce qui est valable pour un pays peut forcément ne pas l’être pour l’autre !


En vérité, l’histoire des constitutions africaines est étroitement au passé colonial de chaque pays. Elle révèle un réel plagiat et tous les pays de l’Afrique francophone ont pratiquement recopié la constitution du colonisateur !  Plus d’un demi-siècle d’indépendance après, c’est toujours le statut quo, alors que le continent regorge d’éminents universitaires enseignants formés dans les grandes écoles de partout dans le monde !


D’ailleurs, s’interroge-t-on, pourquoi encore cette passivité ?  Les constitutionalistes Africains sont-ils capables de produire des manuscrites lisibles fondées sur leurs propres réalités et leurs spécificités culturelles ? La controverse sur la clause limitative du mandat présidentiel et le silence assourdissant de l’élite du droit constitutionnel, dénotent-ils, un certain complot contre les peuples africains ?


Dans un livre écrit par Vabigne Donzo et intitulé « le mimétisme juridique de l’Afrique francophone », l’auteur invite les juristes et les législateurs à avoir une inspiration originale en termes de lois. La quasi-totalité des textes de lois, dénonce-t-il, qui régit le fonctionnement des pays d’Afrique francophones, n’est que la photocopie parfaite des textes français. Ainsi, poursuit-il, on constate un manque d’efforts des grands intellectuels spécialistes du droit public depuis des années 60 jusqu’à nos jours, ils ne font que des copier-coller !


Faisons la lecture croisée des dispositions qui dénotent le mimétisme de la constitution française promulguée le 04 octobre 1958 par l’ancien Président René Coty. Au premier coup d’œil du sommaire et des titres thématiques, alors on pense avoir entre les mains la constitution guinéenne promulguée le 7 avril 2020 par le Président Alpha Condé, ou la loi n°2016-886 du 8 novembre 2016 portant constitution de la république de Côte d’ivoire, ou la loi constitutionnelle modifiée du Sénégal n°2001-03 du 22 janvier 2001. Tous ces pays et d’autres comme le Mali, le Tchad, le Togo, le Bénin, et le Niger ont pratiquement reproduit les mêmes phrases et agencements de ce texte constitutionnel du colonisateur français !


L’histoire de la clause limitative à deux mandats présidentiels consécutifs dans les pays de l’Afrique francophone est fortement liée au rythme des modifications de la constitution française. Et, jusqu’à une certaine époque avant 1962, le Président français était élu pour sept ans au suffrage indirect par un collège de grands électeurs, il bénéficiait d’une rééligibilité indéfinie et il n’y avait aucune interdiction à l’exercice du troisième mandat !


La notion de « rééligibilité indéfinie et immédiate » était fortement clamée sous la Cinquième république par le Général Degaulle qui prônait à la prééminence du pouvoir présidentiel et en faisait son cheval de bataille. Cette position fut alors confortée par la fameuse théorie de Montesquieu qui soutenait, je cite : « le peuple est admirable quand il s’agit de choisir ses dirigeants. II devrait, en toute logique, être tout aussi admirable pour se débarrasser de dirigeants qui ne répondent plus à ses attentes, et assurer ainsi l’alternance » !


  Contrairement à Alexis de Tocqueville, le constituant de la Deuxième république, qui s’opposait à l’exercice indéterminé du mandat présidentiel et était réputé un ardent défenseur de la non-réélection du Président sortant. Des dispositions constitutionnelles y étaient prévues à cet effet. C’est d’ailleurs dans cette foulée que le président Louis Napoléon fut élu en 1948 pour un mandat de quatre ans non-renouvelable !


Pour ainsi dire que le débat sur la clause limitative du mandat présidentiel et celui du septennat ou quinquennat, ont à l’époque occupé la vie du peuple français et ils ont traversé les régimes politiques, de la Deuxième à la Cinquième république !  


Il a fallu, bien après, une révision constitutionnelle, tenue le 23 juillet 2008, sous l’impulsion du président Nicolas Sarkozy. Ceci a alors permis de modifier l’article 6 de la constitution et d’y réintroduire la clause limitative de mandat, avec l’inscription de la formule usuelle « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».


Tous les pays de l’Afrique francophones ont collectivement et mécaniquement incorporé cette disposition dans leurs constitutions, sans tenir compte des réalités d’adaptation et des particularités culturelles !


La désolation c’est de voir les constitutionnalistes français travailler dans les intérêts exclusifs de leur peuple et soumettre au besoin à leur gouvernement des textes de lois lisibles, alors que leurs homologues africains préfèrent produire des fac-similés, en y apportant parfois des modifications avec des ajouts de dispositions embrouillées et entortillées. Et ceci, pour complaire les brigueurs du troisième mandat, comme c’est le cas de la controverse entretenue sur la clause du mandat présidentiel !


Un régime politique au pouvoir n’engage jamais des modifications ou des réformes sur sa constitution sans prendre auparavant l’attache d’un constitutionnaliste qui lui prodigue des conseils ou lui propose généralement une esquisse de texte !


A la question est de savoir, par exemple, pour le cas du Sénégal comme pour les autres pays africains, si ce sont les constitutionnalistes qui veulent brûler leurs pays, en usant des stratagèmes dans leurs manuscrits et foulant aux pieds toutes les règles déontologiques pour aider des dirigeants à briguer un troisième mandat présidentiel. Ou bien, ce sont les dirigeants, eux-mêmes, qui ont tronqué le contenu des manuscrits pour s’imposer contre la volonté du peuple !


En tout état de cause, il y a lieu de publier les manuscrits pour édifier l’opinion publique et permettre de situer les responsabilités sur le débat de la clause limitative du mandat présidentiel !


Du reste, il y a au moins le professeur agrégé de droit public, le burkinabais Augustin Loada qui sauve l’honneur, en publiant en 2003 une belle contribution intitulée « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone ».  A la lecture de ce document, on retient tout le mérite de l’auteur, en tant qu’intellectuel Africain, de poser le débat et de décliner les positions controversées.


Même, s’il n’a pas donné sa position personnelle, il a tout au plus clarifier les choses avec les différentes expériences des pratiques évoquées et le bien-fondé du débat par rapport au  principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels dont il retrace l’historique. Pour ainsi mettre en relief, la diversité des idées et arguments soutenus en faveur ou en défaveur de la limitation du nombre de mandats électifs. Lesquels concourent à la vitalité de la démocratie. Il appartient, ajoute-t-il, aux constituants de faire leurs choix de modèle en tenant compte de l’histoire et des particularités de chacun des pays. Quel que soit le choix effectué, conclut-il, ceci ne doit être remis en cause que par consensus des acteurs politiques, et non unilatéralement !


Alioune Souaré (Citoyen - Rufisque)


 

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Publié par

Youssouf SANE

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