Adoption : Les mille et un contours d’une nouvelle tendance

vendredi 14 décembre 2018 • 1124 lectures • 1 commentaires

Société 5 ans Taille

Adoption : Les mille et un contours d’une nouvelle tendance

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IGFM-Pratique jadis «taboue», l’adoption est devenue un phénomène de plus en plus couru sous nos cieux. Qu’est-ce qui explique cette tendance ? «L’Obs» a mené l’enquête.

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Dans son berceau surmonté de figurines, Ousseynou* gigote joyeusement. Ses petites menottes serrent doucement le doigt de Maïmouna* qui émet un discret sourire heureux à la douce étreinte. Les deux semblent dans leur monde, indifférents au brouhaha ambiant des cris et gazouillis de mômes de la pouponnière de la Médina. Toute à sa joie, Maïmouna ne sent même pas la présence de la sœur qui lui rappelle gentiment qu’il est l’heure. L’heure de partir. De quitter «son» enfant qu’elle apprend doucement à connaître. Jusqu’à la prochaine visite qui aura lieu le lendemain. Vingt-quatre longues heures que Maïmouna appréhende. Tellement chaque seconde qui passe dure une éternité et la sépare de son nouvel amour. Maïmouna, 40 ans, n’a pas eu la chance d’enfanter et Ousseynou, mignon bambin de 6 mois, abandonné à la naissance, par une mère incapable de l’élever, comble son désir d’avoir enfin son enfant à elle. A la pouponnière des sœurs franciscaines de la Médina, la jeune dame a trouvé son bonheur dans ce petit bout de chou lové dans son berceau. Dans cet univers de cris, gazouillis et pleurs, Ousseynou a trouvé derrière ces murs, l’amour maternel que le monde lui a refusé à sa naissance. «Il a intégré la pouponnière à la naissance. C’est sa maman qui nous l’a déposé, parce qu’il était le fruit d’une grossesse non désirée et qu’elle était dans l’impossibilité de le garder. Nous l’avons reçue, écoutée, essayé de la dissuader, mais face à son «refus», nous avons compris et l’avons soutenue de notre mieux», confie l’intérimaire de la pouponnière qui a requis l’anonymat. Un certificat d’abandon est signé, en présence de l’agent de police et le nouveau-né baptisé Ousseynou, est déclaré «adoptable». Mais contrairement à une idée répandue, tous les 218 nourrissons de la pouponnière de la Médina et de Mbour ne sont pas adoptables. «99% des enfants que nous recevons sont des orphelins de mère, avec des pères vivants, mais qui sont dans l’impossibilité, à leur naissance, de s’occuper d’eux. Nous les prenons jusqu’à l’âge de 12 mois et ensuite, les pères viennent les récupérer, sauf pour des cas exceptionnels où nous sommes obligés de les retenir un peu plus longtemps. Soit parce que ce sont des cas sociaux compliqués ou parce qu’ils sont adoptables», confie notre source.

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«J’ai adopté pour me sauver»


Au Sénégal, la pratique de l’adoption, chose rare dans le temps, est devenue aujourd’hui le recours pour parents «en mal d’enfants». K. M, 45 ans et cadre dans une boîte de communication de la place, a trouvé son «bonheur», en adoptant un enfant. Divorcée et sujette à des interventions chirurgicales répétées pour cause de fibromes, la jeune dame s’est résolue à avoir recours à l’adoption pour satisfaire son envie d’enfanter.


La voix fluette, le sourire en offrande, K.M déborde d’énergie. Dans son loft spacieux où elle reçoit, la quadra jette, de temps à autre, un regard attendri en direction du berceau où dort sereinement son «bout de chou». Lorsqu’elle parle, K.M tonne d’assurance et met très vite son hôte à l’aise. Elle offre un verre, puis prend place sur le sofa tendu de beige qui orne son studio au décor totalement épuré. Puis sans s’encombrer de fioritures, elle enchaîne : «J’ai décidé d’avoir recours à l’adoption pour des raisons de santé. J’ai fait, à plusieurs reprises, des fibromes et j’ai subi plusieurs interventions chirurgicales. Comme le temps passait et en plus, j’ai divorcé, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et me suis résolue à adopter, avant que mon corps ne soit plus en mesure de s’occuper d’un enfant. Je vis aujourd’hui avec mon fils de 6 mois. Il est mon rayon de soleil.» Un morceau de bonheur qu’elle a réussi à arracher au bout de 8 mois d’attente et de mépris face à l’incrédulité de certains.


«Ce n’est pas facile d’adopter. Pour mon cas personnel, je me suis rendue à la pouponnière de la Médina où j’avais l’habitude de faire des dons. Je me suis renseignée sur les procédures à mener pour une adoption. La sœur m’a remis un petit bout de papier avec les documents à fournir et m’a référée au tribunal, auprès de l’Aemo, qui gère tout ce qui est adoption. J’ai fait la démarche et huit mois plus tard, c’est-à-dire au mois d’août dernier, j’ai eu mon fils.» Le temps d’une grossesse ? Elle éclate de rire : «Comme vous avez raison ! Huit mois, cela peut paraître long, mais pour mon cas, cela a filé vite. Parce qu’une procédure d’adoption, c’est plus long d’habitude. Cela peut prendre des années. Je pense que le fait de m’être attachée les services d’un avocat a accéléré les choses.»


Aujourd’hui, K.M est une femme épanouie qui croque la vie à pleine dent, avec le soutien inconditionnel de ses parents. «Je vis sereinement mon rôle de mère. C’est un bonheur. Il n’y a pas de mots pour décrire cela. Certains pensent que j’ai adopté pour sauver un enfant, mais je l’ai fait pour me sauver moi-même. Mais aussi et surtout pour combler un vide. C’est beaucoup statique, parce que c’est un enfant, mais ce n’est rien comparé au bonheur qu’il apporte dans la maison. Et ce n’est même pas un bonheur personnel parce qu’on vit en famille. C’est un bonheur pour tout le monde. Ma famille a bien accueilli la nouvelle. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui sont très ouverts d’esprit et qui m’ont beaucoup soutenue dans ma décision», sourit-elle, en déposant un bisou sur la joue de son poupon endormi.


Une chance qui a souri à K.M et qui n’est pas toujours commune aux couples qui nourrissent le désir d’adopter. Confrontés aux codes qui régissent la société et aux contraintes liées à la longueur de la procédure, certains finissent par baisser les bras. Ramatoulaye Ndiaye Seck, coordonnatrice de l’Action éducative en milieu ouvert (Aemo) : «Adopter au Sénégal était une chose rare, voire exceptionnelle, même si elle est autorisée depuis des lustres, par le Code de la Famille. Nos codes traditionnels le bannissaient carrément, mais aujourd’hui, de plus en plus de nationaux adoptent pour plusieurs raisons. Soit parce qu’ils n’ont pu avoir d’enfant, soit parce qu’ils ne peuvent plus en avoir. Et dans ce cas, il leur est impératif de disposer d’une dispense du président de la République.


Là aussi, c’est une procédure qui passe par le ministère de la Justice. Cette dispense consiste à voir pourquoi le couple qui a déjà un enfant veut en adopter un autre, il faut ensuite connaître les réelles motivations du couple. Pour cela, une enquête soumise à notre structure est réalisée. Une femme ou un homme seul peut aussi adopter, mais il faut avoir 35 ans au minimum. Il est bon de signaler une chose : aujourd’hui, la demande est supérieure à l’offre.»


«Une demande supérieure à l’offre»


Un état de fait qui explique les difficultés qu’a rencontrées Germaine Diatta*, alors qu’elle manifestait son désir d’adopter. Chrétienne de confession, la jeune dame a eu à faire face à deux obstacles. D’abord, il fallait trouver un enfant à adopter. Ensuite, il fallait rallier à sa cause belle-famille et parents. Mission quasi impossible, puisqu’elle s’était heurtée au mur de leur refus catégorique.


Dans ce shopping-mall dakarois qui a pignon sur la Corniche, Germaine se perd dans la masse des acheteurs. Suspendue au téléphone pour localiser son hôte, elle fait un petit signe de la main, avant de tirer délicatement sur la pipette du verre de jus de ditakh placé devant elle. Elle lâche un discret sourire qui laisse paraître une belle dentition rehaussée par un diastème. Avec elle, on a vite fait d’être à tu et à moi. «Tu peux me tutoyer», lâche-t-elle dans une poignée de mains ferme, mais chaleureuse. Puis comme si elle était tenue par le temps, elle embraie : «Ma belle-famille et mes propres parents n’ont jamais compris mon besoin d’adopter. C’était plus par nécessité que par choix. En fait, je n’avais pas le choix. J’avais des difficultés à procréer, malgré mon désir de maternité. J’ai fait plusieurs fausses couches et j’avais perdu tout espoir d’avoir enfin un enfant. C’est à ce moment que m’est venue l’idée d’adopter. J’en ai fait part à mon époux qui m’a beaucoup soutenue, mais sa famille a opposé un niet catégorique. Avec eux, nous sommes passés par toutes les étapes. Chantage, manipulation, menace. Ils ont même allés jusqu’à demander à mon époux de se séparer de moi et de prendre une autre femme.» Mais la loi de l’amour a été le plus fort.


Au bout de plusieurs mois de lutte, de tension, de stress et de pleurs, Germaine et son mari ont dompté le courroux de la belle-famille. Il restait maintenant à engager un autre combat : celui de la procédure. «Ce fut long, pénible et éreintant», lâche-t-il dans un sourire froid. Mais aujourd’hui, les bouilles enjouées de ses deux enfants valaient toutes les peines. «Mes enfants ont 4 ans. Avec mon mari, nous avons dû attendre deux longues années avant de pouvoir enfin les appeler nos enfants. Quand nous avons manifesté notre désir d’adopter, nous nous sommes rendus à la pouponnière de la Médina, prendre un flyer expliquant la procédure. Nous avons constitué le dossier que nous déposé au Tribunal de grande instance de Dakar. Nous sommes passés par la case «Enquête» avec l’Aemo. Puis, silence radio. Nous avons un moment pensé que notre dossier n’était pas concluant, mais un beau jour, une dame de l’Aemo nous a contactés pour nous dire que notre dossier était presque bouclé, mais il n’y avait pas d’enfants adoptables pour le moment.»


La grosse déception ! Germaine et son époux ont tenu, s’accrochant à leur foi. Leurs prières ne seront pas vaines, puisqu’un an et demi après avoir entamé les démarches, le coup de fil salvateur va tomber. Germaine manque de tomber de la chaise sur laquelle elle est assise, tellement elle sautille de joie. Un bonheur presque contagieux. «Quand on nous annoncé qu’on a trouvé des jumeaux, je n’en revenais pas. Deux au lieu d’un, on ne pouvait espérer mieux. Dieu a exaucé nos prières et récompensé notre patience.» Aujourd’hui, ces jumeaux font le bonheur de toute une famille et ont réussi à taire toutes les rancœurs, alors que leur mère a pris sa revanche sur la vie. Loin de tous les préjugés.


*Les noms ont été changés

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Publié par

Daouda Mine

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