Affaire Mansour Faye-Sonko : «L’éthique n’aurait jamais dû quitter le champ politique»

samedi 3 octobre 2020 • 1813 lectures • 4 commentaires

Politique 3 ans Taille

Affaire Mansour Faye-Sonko : «L’éthique n’aurait jamais dû quitter le champ politique»

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IGFM - Ils occupent l’actualité ces derniers jours et pas de la plus belle des manières. Mansour Faye et Ousmane Sonko se mènent une bataille sans merci par presse interposée. Une guerre politique sur fonds de délation, qui entache l’image déjà bien pâle de l’homme politique sénégalais.

C’est une vieille et sale guerre. Une bataille politique, sans quartier, au stratagème révolu, mais au mode operandi bien connu du Sénégal politicien. Par le passé, il y a eu dans la retentissante affaire des «Chantiers de Thiès», Idrissa Seck et Me Wade, une histoire de «Lui et Moi» qui se résume en une seule phrase, maintes fois rabâchée par l’ex-chef de l’Etat. Une plainte qui a fini en rengaine dans les oreilles de tous ceux qui ont voulu jouer les bons offices, de tous les faiseurs de paix qui avaient senti, à l’époque, le besoin de rabibocher les relations entre le Pape du Sopi et son fils putatif d’alors, Ndamal Kadior. «Mais pourquoi, il (Idrissa Seck) m’a enregistré», s’étranglait de rage le successeur de Diouf, dont le pardon à Seck n’a jamais été jugé sincère.

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Quelques années plus tard, rebelote ! Aujourd’hui, c’est le ministre du Développement communautaire et de l’équité territoriale Mansour Faye qui parade, face caméra, avec une fausse nonchalance, entouré d’une meute de partisans qui soufflent, hors-champ, sur les braises. A la main du beau-frère du Président, une arme non-conventionnelle, prohibée par la justice, honnie par la morale. En face, se dresse Ousmane Sonko, opposant radical au Pouvoir de Macky Sall, friand de déballage, qui aurait pu s’épargner un tel débat sans grand intérêt. Mais qui s’en donne à cœur joie. De quoi raviver le spectre d’une longue guerre partisane dont la menace de diffusion d’un enregistrement audio sur une prétendue demande d’intervention du leader de Pastef auprès de son «ennemi politique», le Président Macky Sall, vaut ce qu’elle annonce : une saison de délations politiques, avec des feuilletons à rebondissement.

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Coups et contrecoups


Tout a commencé par une déclaration du ministre du développement communautaire, de l’équité sociale et territoriale. Invité de l’émission dominicale Grand jury sur la Rfm et interpellé sur les deux plaintes déposées contre lui au sujet de sa gestion de l'aide alimentaire d'urgence au bénéfice des populations dans le contexte du Covid-19, Mansour Faye a semblé banaliser l’affaire : «J’ai entendu ces plaintes à travers les médias. Et je n’ai pas encore été convoqué. Mais si l'Ofnac me convoque, je n'irai pas (…) Cela ne fait pas partie de ses compétences. En tant que ministre, je ne répondrai pas. Si d’autres membres du Cabinet sont convoqués, ils peuvent aller répondre, mais pas moi parce que l’Ofnac n’a pas compétence à me convoquer.» Une déclaration qui a choqué plus d’un, dont le leader du Pastef, Ousmane Sonko, qui n’a pas tardé à réagir pour traiter Mansour Faye d’ignorant, protégé par sa proximité avec le chef de l’Etat. Ce qui n’a pas laissé indifférent le frère de la Première dame, qui a répliqué, non sans faire des révélations : «Je n’ai pas de commentaire à faire parce que ce jeune ne sait pas ce qu’il dit. Lorsque tu ne sais pas, tu dois te taire. On va tous rendre des comptes. Un ministre va rendre compte. Quelqu’un qui a des charges publiques est également dans l’obligation de rendre compte. On ne peut pas se dérober. Je rendrai compte Inch’Allah à qui de droit. (…) C’est vrai que je suis un beau-frère du Président de la République à 100% et je le revendique. Lui-même (Ousmane Sonko) est venu solliciter une audience au beau-frère. Il voulait que je fasse une intervention auprès du Président de la République pour son propre compte. Il m’a demandé une audience. Je l’ai reçu dans mon bureau pour une médiation auprès du Chef de l’Etat et devant témoin. Je ne vais pas entrer dans les détails. Demandez-le lui. C’est un jeune, j’espère que son esprit ne va pas lui jouer des tours comme avec les affaires Mercalex et Atlas.»


Comme dans un jeu de ping-pong, la réponse du leader du Pastef n’a pas tardé. «Mansour Faye a menti, froidement. Cet homme, en plus d'être l'un des principaux acteurs de la gestion sombre et vicieuse de son beau-frère, est le plus grand menteur que le Sénégal ait jamais vu naître.» Démentant formellement Mansour Faye, Ousmane Sonko l’a enjoint de divulguer les preuves de ses accusations. Pour ce faire, le ministre du développement communautaire a demandé l’autorisation du principal concerné. Donnant des précisions face à la presse, il a affirmé détenir un enregistrement sonore prouvant ses dires. «S’il me donne le signal, je balance l’audio». Un signal que Sonko lui a gracieusement donné. «Mansour, puisque je suis votre tuteur, je vous autorise immédiatement à publier, afficher, divulguer, partager, ... tout élément écrit, sonore, visuel à votre disposition.» Depuis, tout le Sénégal est resté scotché à son fauteuil, attendant cette nouvelle qui, si elle est vérifiée, serait renversante.


«Ce n’est pas digne d’une République qui se respecte»


Mais ce jeu de yo-yo à peu de vertu politique n’est pas sans conséquence sur la politique sénégalaise, ses acteurs et ses animateurs. «Cette guerre de délation que se livrent des personnalités politiques n’a absolument aucun impact sur la solution des véritables problèmes des Sénégalais, estime Dr Pape Fara Diallo, enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Le pays est en train de vivre des problématiques beaucoup plus importantes que le fait de s’accuser mutuellement. La politique a souvent une image dévalorisée, parce qu’on y associe les coups bas, les invectives, la violence, le conflit, toutes ces choses négatives que réprouvent la morale et l’éthique politique. Ce qui se passe dans ce pays est de loin beaucoup plus sérieux que cette guerre de délation interpersonnelle.» Pour le Dr Diallo, il y a des problèmes d’ordre politique liés à notre démocratie, des problèmes d’ordre économique, social et même sociétal, et au lieu de chercher à y apporter des solutions, des hommes politiques se lancent dans une guerre qui n’a aucun impact sur la recherche de solutions. Dr en communication et Marketing politique, Momar Thiam abonde dans le même sens. «Cette polémique stérile entre Mansour Faye, ministre de la République, et Ousmane Sonko, député de la République, porte un coup de massue au débat politique. La politique est une chose sérieuse, et le débat doit tourner autour des solutions pour résoudre des problèmes comme la santé, l’éducation, la bonne gouvernance… mais des leaders politiques s’attardent sur des considérations personnelles au point de réduire le discours politique à des invectives, menaces et insultes. Ce sont des débats de basse facture et ce n’est pas digne d’une République qui se respecte. Aujourd’hui malheureusement, tout le débat tourne autour de démentis, alors que les vrais problèmes demeurent.» Momar Thiam est d’avis que les hommes politiques gagneraient davantage à parler des véritables questions qui intéressent les citoyens, et ne pas s’attarder sur des invectives et querelles, qui sont plus dignes des faits divers que de l’actualité politique réelle.


«Des tentatives désespérées pour discréditer une personne»


Surtout que cette guerre de délation entre hommes politiques est menée avec des armes non conventionnelles. Des enregistrements sonores faits à l’insu des concernés sont brandis comme menace, parfois au mépris de la loi. «Quand on a épuisé tous les moyens conventionnels pour détruire un adversaire, et que cette personne reste toujours debout, (et dans ce cas, Sonko est même l’un des principaux challengers du régime en place), on utilise des moyens non conventionnels pour essayer de le discréditer aux yeux de l’opinion, explique Dr Diallo. A mon avis, ce sont des tentatives désespérées pour essayer de discréditer une personne qui jusqu’à présent, si le régime n’avait ne serait-ce qu’une once de mobile pour l’accuser, l’aurait déjà fait. Et cela n’enrichit en rien le débat politique.» Il rappelle que l’utilisation des moyens non conventionnels existe depuis Machiavel, mais malheureusement à chaque fois, on se rend compte qu’on fait dire à Machiavel ce qu’il n’a jamais dit. «Machiavel n’était pas aussi machiavélique qu’on le décrit, il était beaucoup plus machiavélien. Il dit que quand les circonstances l’exigent, quand l’Etat est menacé, l’homme d’Etat peut utiliser des moyens parfois non conventionnels, en invoquant la raison d’Etat, parce que l’homme politique est toujours tiraillé entre l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction. Et c’est cela qui fait que la politique a souvent une image dévalorisée, surtout dans nos pays.»


«L’éthique n’aurait jamais dû quitter le champ politique»


Selon l’enseignant-chercheur, la manière de faire de la politique au Sénégal ne prend pas en compte tout ce qui est exigence de moralisation de la vie politique. Et au lieu de chercher à moraliser la vie politique, les hommes politiques s’adonnent à des coups bas et invectives, en utilisant des armes non conventionnelles pour se défendre ou pour attaquer, et la politique n’a pas besoin de ça. «Nous avons des enjeux beaucoup plus pressants qui ne permettent pas à notre classe politique d’agir de la sorte. La vie politique sénégalaise a besoin aujourd’hui plus que jamais d’être moralisée, l’éthique n’aurait jamais dû quitter le champ politique, l’éthique doit être le viatique de l’action politique. Il faut une autre race d’hommes politiques, une nouvelle élite qui place l’éthique et la morale au cœur de l’action politique. Et pour le Dr en communication et marketing politique, M. Thiam, même le terme arme non conventionnelle est plus ou moins relégué aux oubliettes, pour la bonne et simple raison que la communication politique est concentrée autour des réseaux sociaux, qui n’ont ni soupape de sécurité ni filtre. «On est dans une espèce d’imbroglio communicationnel où les armes conventionnelles se mêlent à celles non conventionnelles, on en arrive à croire qu’il n’y a plus d’armes conventionnelles, explique-t-il. Et à partir du moment où le grand public l’accepte, et que les hommes politiques s’expriment sur les réseaux sociaux de manière surdimensionnée et sous-contrôlée, la notion même d’arme conventionnelle perd de sa quintessence. Aujourd’hui, c’est aux hommes politiques de s’autoréguler et de faire de l’introspection, et de savoir que la politique est une chose sérieuse. Il faut qu’ils redescendent sur terre et évitent de tomber dans ce cataclysme des réseaux sociaux et des enregistrements sonores.»


«Il y a une déconsidération du personnel politique»


Momar Thiam constate, pour le déplorer, qu’il y a une déconsidération du personnel politique. «L’homme politique n’est plus vu comme avant, ce sont davantage des personnes qui sont là pour leurs intérêts personnels. On réduit à sa plus simple expression le débat politique, et la confiance de l’opinion, qui était déjà très entamée auprès des hommes politiques, en prend un sacré coup. Et si on ne fait plus confiance aux hommes politiques et à leurs discours, le débat va se déplacer chez les populations, qui n’ont pas forcément une prise sur la chose politique, et ce sera l’anarchie totale. Ce qui n’est bon ni pour la démocratie ni pour notre république.» Un point de vue partagé par Pape Fara Diallo, qui signale que les citoyens se désintéressent de plus en plus de la chose politique. «L’image de l’homme politique sénégalais continue d’être complètement dévalorisée et discréditée, et la conséquence ultime c’est que les citoyens développent un sentiment de désenchantement à l’égard de la politique, et on a commencé à le voir à travers le taux d’abstention de plus en plus élevé aux différentes élections. Les citoyens se désintéressent de plus en plus de la chose politique. Alors que la politique, c’est quelque chose de noble en principe. Le niveau du débat public est tellement bas qu’on ne peut pas donner aux citoyens la possibilité d’accéder à la quintessence des offres programmatiques des différents candidats ou chapelles politiques, il a donc du mal à se forger une opinion et à faire un choix rationnel. Ce qui fait qu’il y a plus de votes affectifs ou ‘’alimentaires’’.» D’après lui, il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire que les hommes politiques se ressaisissent et relèvent le niveau du débat public, en cessant ces invectives et guerres de délation, et en proposant des offres programmatiques qui permettent aux citoyens de faire un vote rationnel. De choisir des hommes d’Etat et non des politiciens à la petite semaine, roublards et peu vertueux.


ADAMA DIENG


 

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Daouda Mine

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