Comment quatre jeunes partis au Maroc ont péri dans la Méditerranée en tentant de rejoindre l'Espagne

mardi 3 décembre 2019 • 340 lectures • 1 commentaires

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Comment quatre jeunes partis au Maroc ont péri dans la Méditerranée en tentant de rejoindre l'Espagne

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IGFM - Quatre jeunes dont deux frères, habitant un même quartier à Yeumbeul-Sud, ont péri dans la Méditerranée après le chavirement de l'embarcation qui tentait de les convoyer vers l'Espagne. Ils avaient rallié le Maroc par des voies différentes grâce à des sergents-recruteurs, dont les agissements ont été dénoncés hier par les familles des victimes.

Choc - Au lendemain de la mort de quatre jeunes ressortissants de Yeumbeul-Sud, qui ont péri dans les eaux de la Méditerranée, le quartier de Thieurigne (Yeumbeul Sud) où sont établies leurs familles respectives, est plongé dans la consternation. Sur les visages endeuillés se lisent le choc, la tristesse et la colère. Hier lundi, les funérailles se sont encore prolongées dans les trois maisons prises d'assaut par les parents et les proches venus compatir à la douleur. Dans l'une de ces maisons, chez les Seck, les parents sont sans voix. C'est l'aîné qui reçoit et qui porte la voix de la famille : «Ils sont si jeunes», s'est plaint Ibrahima Seck, frère de Cheikh Tidiane Seck, 28 ans, l'un des disparus. Pourtant, que n'a pas fait Ibrahima pour dissuader son jeune frère. Les quatre garçons étaient décidés à partir, convaincus que le Royaume Chérifien ne serait qu'une étape pour rejoindre l'Europe, faire fortune là-bas et revenir pour améliorer le quotidien de leurs parents. «Tous n'avaient qu'une idée : partir, trouver de l'argent et revenir pour offrir à leurs parents des conditions de vie décentes», affirme Birane Wade. La voix cassée, il est le frère de Bassirou Wade, l'autre jeune qui a péri dans le chavirement de l'embarcation.

Le voyage - Selon des confidences faites hier par les familles des victimes, les quatre jeunes n'ont pas rejoint le Maroc ensemble. Ils avaient tous décidé de quitter le pays pour rejoindre la communauté sénégalaise établie au pays de Mohamed VI. Membres d'un même Dahira (groupes d'hommes et de femmes qui se regroupent pour réciter des poèmes de leurs guides religieux), ils profitaient toujours de leur rencontre pour discuter de leur projet de voyage. L'idée avait germé un an auparavant. Leurs familles réticentes au début ont fini par se plier à la volonté des quatre jeunes d'aller chercher fortune sous des cieux jugés plus cléments.  C'est ainsi qu'il y a quelques mois, le plus âgé du groupe, en l'occurrence Modou Matar Ndiaye, 33 ans, marié et père d'un garçon, choisit d'aller en éclaireur. Il sera suivi quelques semaines plus tard par Bassirou Wade qui, après deux voyages en Mauritanie, a rejoint le Maroc par la voie terrestre. Puis le 10 juin 2019, soit une semaine après l'Aid El Fitr marquant la fin du Jeûne musulman, Serigne Mbacké Ndiaye et Cheikh Tidiane Seck décident à leur tour de faire le grand saut, le premier par la voie terrestre, le second à bord d’un avion, pour rejoindre le Maroc. Voisins et camarades dans un même quartier à Yeumbeul, ils ont choisi à leur arrivée au Maroc, de reformer la même bande d'amis. Après un début difficile, ils réussissent chacun à décrocher un travail dans les plantations au Maroc à la grande joie de leurs familles respectives. «Lorsqu'ils nous ont dit qu'ils ont décroché un emploi dans les champs, nous les avons encouragés», ont dit en chœur hier, les parents des quatre jeunes, réunis dans les cours des trois maisons.

Ils étaient loin de se douter que Modou Matar Ndiaye et ses trois amis n'avaient qu'une envie : quitter le Royaume Chérifien et débarquer en Europe. Défier la Méditerranée ne leur faisait plus peur. Tous les jours, la nuit ils voyaient sur les côtes marocaines des embarcations «glisser» tranquillement dans la mer, profitant de la pénombre pour rejoindre le large et faire cap vers l'Espagne. Certes l'exercice était périlleux et le pari risqué, mais ils se disaient tous que l'échec n'est pas envisageable. «Si certains l'ont réussi, pourquoi pas nous», n'ont cessé de murmurer Modou Matar Ndiaye et ses amis. Et puis, il y a l'assurance des passeurs et des sergents-recruteurs. Ces derniers qu'ils ont connus au Sénégal les rassurent et promettent de ne pas les lâcher. Il ne leur restait plus alors qu'à solliciter les prières de leurs familles au Sénégal, sans rien leur révéler. «Ils nous ont appelés, certains le samedi et d'autres le dimanche, pour solliciter des prières. Mais ils ne nous ont pas dit qu'ils allaient tenter la traversée. Ils ont juste sollicité des prières  comme d'habitude», explique l'aîné de la famille Seck, dont le frère, Cheikh Tidiane, fait partie des victimes.

Le grand  départ - Selon les témoignages d'un rescapé qui a joint les familles des victimes pour les informer de la mort des quatre jeunes, c'est dans la nuit du dimanche 24  au lundi 25 novembre 2019 que «l'embarcation qui avait à bord une dizaine de passagers, s'est glissée dans les eaux marocaines  pour faire cap sur l'Espagne». C'était le grand départ : Certains parmi les passagers portaient des gilets, d'autres qui ont embarqué dans la précipitation n'en détenaient pas. Au milieu de la Méditerranée, l'embarcation défiant la mer en furie est prise dans un enchaînement de vagues hautes. «C'était une mer mouvementée», a raconté le rescapé qui révèle que l'embarcation subitement prises dans le piège, «s'est fracassée, se divisant en deux.» Il poursuit en indiquant que «seul le surnommé capitaine, deux de ses proches  membres de l'équipage et un ressortissant de Yeumbeul, (c'est lui qui a joint les familles des quatre jeunes) ont réussi à se tirer d'affaire. Ils ont assisté, impuissants, à la mort des autres passagers emportés par la mer», ajoute le rescapé.

Yeumbeul en pleurs - La nouvelle du chavirement de l'embarcation n'est parvenue à Yeumbeul que quatre  jours après le naufrage. «Les autres, y compris le rescapé qui habite Yeumbeul, ont longtemps hésité, avant d'annoncer la mauvaise nouvelle», a expliqué hier Abdoulaye Ly, oncle des frères Ndiaye (Modou Matar et Serigne Mbacké). Ce fut alors la consternation à Yeumbeul où les habitants du quartier Thieurigne, affectés, n'ont pu se retenir. Par vagues, ils ont envahi les maisons des disparus distantes de quelques mètres.

Les sergents-recruteurs indexés, l'État invité à sévir - En attendant l'arrivée des dépouilles, les funérailles se poursuivent encore. Chez les Seck, la famille étreinte par la douleur, a déversé sa colère sur les sergents-recruteurs qui ne cessent de convaincre les jeunes de tenter l'aventure vers l'Europe en passant par le Maroc. «Nous les avons bien identifiés. Ils manipulent les jeunes et arrivent même à les dresser contre leurs parents. Mon frère était dans un projet de poulailler qui lui a rapporté beaucoup d'argent après la dernière Korité. C'est alors qu'est intervenu un de ces convoyeurs qui l'a convaincu de lui verser 280 000 FCfa pour le conduire au Maroc. Certains réussissent certes, mais d'autres, y compris mon frère, y ont laissé la vie. Nous avons même tenté de l'éloigner de Yeumbeul. Nous l'avons emmené à Sébikhotane, mais le convoyeur ne cessait de l'appeler pour le convaincre et finalement, il a réussi, contre notre avis, à le persuader pour l'amener au Maroc. L'État doit prendre ses responsabilités et sévir sinon, il y aura d'autres départs. Et qui sait, d'autres morts dans la Méditerranée», a asséné hier, Ibrahima Seck, frère de Cheikh Tidiane.

Des corps ont échoué sur le rivage au Maroc

Hier en fin de journée, les familles des défunts ont appris la découverte sur les côtes marocaines de trois corps. «Ceux de Serigne Mbacké Ndiaye, Bassirou Wade et Cheikh Tidiane Seck», informe Abdoulaye Ly, ont été découverts et gardés à la morgue au Maroc. Pour l'heure, des quatre jeunes de Yeumbeul, morts à la suite du chavirement de leur embarcation dans la Méditerranée, «seul le corps de Modou Matar n'a pas été retrouvé.»

ALASSANE HANNE

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Daouda Mine

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