Crei : Les secrets de la mythique juridiction d'exception

vendredi 23 août 2019 • 395 lectures • 1 commentaires

Société 4 ans Taille

Crei : Les secrets de la mythique juridiction d'exception

PUBLICITÉ

IGFM - Le silence politico-médiatique autour de la Cour de l’Enrichissement Illicite (Crei) a poussé L’Obs à fouiller au fond des secrets de la juridiction d’exception, pour savoir la vérité (d’aujourd’hui) sur les dossiers Karim Wade, Aïda Diongue, Abdoulaye Baldé, Samuel Sarr, Ousmane Ngom, Madické Niang, Amadou Diadie Bâ et… Cheikh Oumar Camara.  Et on y a déniché de véritables «perles».

Au commencement était une idée, un sujet, une question posée un matin de conférence de rédaction sur la table de L’Observateur : «Qu’est devenue la Crei ?» Parce que la chronique politico-médiatique semble s’être détournée de la fameuse traque des biens mal acquis depuis que Karim Wade, cible principale, a épousé la nuit pour s’échapper à bord d’un coucou en direction du Qatar. Par la grâce de Macky Sall. Depuis, la controversée juridiction d’exception semble ou semblait en sommeil, jusqu’à ce que L’Obs ne vienne toquer à sa porte et découvrir que les apparences sont aussi trompeuses que les fausses évidences en matière de justice.

Face à l’émoi suscité par les poursuites contre Karim Wade par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), le président de la République niait toute idée d’une justice sélective. Dans une interview accordée à Jeune Afrique, publiée le 4 août 2014, Macky Sall rappelait avoir «décidé de défendre les intérêts publics de (son) pays» et disait avec fermeté ceci : «Je resterai inflexible. Il n’y pas d’acharnement sur qui que ce soit. Vous seriez surpris par le nombre de dossiers auxquels je n’ai pas donné suite». C’est une vérité absolue. Plusieurs dossiers bouclés par les enquêteurs de la Crei et remis à la hiérarchie, sont en attente d’instruction. Il lui suffira(it) de lever le coude pour que la machine judiciaire s’emballe à nouveau. En dépit de l’apparence, parfois savamment entretenue par les personnalités attraites devant la juridiction d’exception, Abdoulaye Baldé, Ousmane Ngom, Me Madické Niang, Samuel Sarr et autres ne sont toujours pas «blanchis» par la Crei.

Une source autorisée de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) a accepté de dire à L’Observateur toute la vérité sur les dossiers encore pendants devant la justice. «Aucun dossier n’a été retiré à la Crei. Tous les dossiers sont là. Les enquêtes préliminaires ont été bouclées.» Une mauvaise nouvelle pour ces barons du temps de Wade-Président, qui font souvent croire qu’ils n’étaient plus concernés par cette chasse à l’enrichissement indu. Mais à la Crei, on soutient fermement le contraire.

Baldé, cas bouclé. Selon cette source proche de l’enquête, le cas de Abdoulaye Baldé, l’ancien «jumeau» de Karim Wade, est le plus avancé. «Il pourrait être renvoyé en jugement, renseigne-t-on. C’est une possibilité, vu que son dossier a déjà été envoyé à la commission d’instruction, qui après avoir terminé les auditions, avait saisi le parquet spécial pour le réquisitoire définitif. Soit c’est un non-lieu, soit le jugement. Mais rien n’est encore décidé.»

En mars 2017, la presse avait fait écho d’un «non-lieu» pour le maire de Ziguinchor. Seulement, la source est catégorique : «Un non-lieu pour Baldé ? Ce n’est même pas possible. Son dossier est toujours là.»

Le maire de Ziguinchor, farouche adversaire de Macky Sall au début de sa présidence, puis devenu son soutien indéfectible à la Présidentielle de 2019, n’est pas le seul dans cette situation. D’anciens membres du Pds, qui flirtent actuellement avec le pouvoir, ne sont pas encore sortis de l’auberge.

«Pour les autres, comme Madické Niang, Samuel Sarr, Ousmane Ngom, les enquêtes ont été bouclées»

Ousmane Ngom, parmi les cibles du parquet spécial. L’interlocuteur de L’Observateur souligne que le «parquet spécial a diligenté toutes les enquêtes», avant de révéler pourquoi certains dossiers n’ont toujours pas été transmis à la commission d’instruction. «Je ne peux entrer dans les détails des dossiers pendants (devant la justice), mais aucun dossier, à part ceux de Karim Wade, Aïda Ndiongue et Abdoulaye Baldé, n’a été transmis à la commission d’instruction. Pour les autres, comme Me Madické Niang, Samuel Sarr, Ousmane Ngom, les enquêtes préliminaires ont été bouclées.» Pourtant, lors d’une interview accordée au quotidien L’Observateur (N°3756 du 31/03/2016), Ousmane Ngom disait : «Je n’ai pas besoin d’échapper aux poursuites ou à la traque, comme dit la personne (Mimi Touré, ancienne ministre de la Justice, NDLR) que vous citez, car il n’y a aucune poursuite contre moi, ni contre aucun de mes proches. Je défie quiconque de dire le contraire. Je ne connais pas la porte d’entrée de la Crei, où je ne suis jamais entré. Ce que beaucoup de gens ignorent, vous pouvez le vérifier en sortant la conférence de presse de Alioune Ndao, ancien Procureur Spécial, vous ne verrez pas mon nom sur la liste qu’il a lue lors de cette rencontre. J’ai été l’objet d’une enquête de patrimoine, comme tout cadre qui doit avoir ou qui a eu de hautes responsabilités. Il doit être l’objet d’une enquête de moralité. Est-ce à dire qu’il n’est pas de bonne moralité ? Je demande aux autorités judiciaires compétentes ou aux organismes de contrôle, la publication des conclusions des enquêtes menées sur moi, et mes réponses.»

La procédure devant la Crei suit un canevas bien précis. Et notre interlocuteur a bien voulu lever les amalgames sur le cas précis de Me Ousmane Ngom. «Le procureur spécial fait procéder à une enquête préliminaire sur les biens de la personne. A l’issue de son enquête, s’il estime que la personne a un train de vie, un patrimoine qui ne correspond pas à ses revenus, il la convoque et lui fait une mise en demeure pour qu’elle puisse justifier l’origine licite de ses biens. Si la réponse n’est pas satisfaisante, il saisit la commission d’instruction via un réquisitoire introductif. La commission d’instruction fait l’enquête. S’il estime qu’il y a des charges et que la personne s’est enrichie illicitement, il saisit la Cour. Après, ce sera à la Cour de juger. Il faut préciser que le procureur, avant de transmettre le dossier à la commission, communique les éléments de l’enquête au mis en cause, qui donne une réponse justificative.» Même si l’ancien ministre de l’Intérieur n’a pas reçu de mise en demeure, son dossier (r)est(e) bel et bien parmi ceux-là ciblés par le parquet spécial de la Crei.

«Seule Aïda Ndiongue a obtenu un non-lieu sur les trois dossiers transmis à la commission d’instruction»

Les magistrats affectés à la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) continuent donc la traque des biens mal acquis. Même si les choses n’avancent pas trop, il n’en demeure pas moins que les dossiers qui étaient ciblés depuis le départ restent encore d’actualité. Et, surtout, la plupart d’entre eux n’ont pas encore connu leur épilogue. La source autorisée de la Crei sourit en répondant à ceux-là qui accusent la juridiction d’exception d’avoir été ressuscitée pour juste écraser des ennemis politiques. Il a opté pour la même position que le juge Henri Grégoire Diop, président de la Crei, qui lors du procès de l’ancien Directeur du Cadastre Tahibou Ndiaye, pestait : «Nous ne sommes le bras armé de personne. Depuis que nous sommes là, des gens avancent des informations selon lesquelles nous recevons des instructions. Personne ne peut nous donner des instructions. Les magistrats du siège ne reçoivent pas d’instructions». Sans entrer dans les détails, l’homme, à l’aise dans son argumentation, explique : «Je ne peux entrer dans ce débat qui dit que la Cour a été remise en branle pour mettre Karim Wade en prison, que «c’était une demande sociale». Et le Président a utilisé la Crei pour la satisfaire.»

A l’instar du dossier Ousmane Ngom, toutes les procédures restent en cours à la Crei, notamment celles à l’encontre de Samuel Sarr et Me Madické Niang, ancien candidat à la Présidentielle 2019. «Dans le lot des premiers dossiers de la Crei, seule Aïda Ndiongue a obtenu un non-lieu, avance la voix autorisée. Un non-lieu justifié techniquement, car il est prouvé, témoignages à l’appui, que son argent provient du Trésor public. Les banques ont déclaré qu’elles recevaient des chèques. La quintessence de l’infraction de l’enrichissement illicite étant la détermination de l’origine des biens, si l’origine de l’argent est licite, il n’y a pas lieu de poursuivre. Maintenant, savoir si les marchés ont été oui ou non bien exécutés, ce n’est pas de notre ressort.»

Cheikh Ousmane Camara, inconnu à la Crei

Son dossier a été annoncé à la Crei. Récemment, la presse a fait écho de l’affaire de l’ancien inspecteur du Trésor, Cheikh Ousmane Camara, qui serait à la tête d’une immense fortune. Suite à son dépôt d’une plainte contre le cambiste Khadim Ndiaye pour abus de confiance portant sur une somme de 200 millions Fcfa, il était dit que la Police, intriguée par son patrimoine, avait demandé son déferrement au parquet spécial de la Crei. La presse soutenait que «l’enquête, diligentée par le Tribunal de Grande instance de Mbour, fait état de deals portant sur des milliards FCfa et des transactions suspectes aux relents de blanchiment d’argent, impliquant l’inspecteur du Trésor à la retraite». Seulement, ce dossier n’a jamais atterri à la Crei. L’interlocuteur de L’Observateur dément tout transfert du dossier de Camara à la Crei : «Ce que l’on sait, c’est que le procès a eu lieu au tribunal de Mbour i». Point barre.

Le douanier Amadou Diadié Bâ arrache le non-lieu

Le deuxième dossier, traité par la Crei et qui a bénéficié de non-lieu, est celui du douanier Amadou Diadié Bâ, victime d’un cambriolage à la cité Lobatt Fall de Pikine (banlieue dakaroise). Le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, doutant de la licéité des 150 millions FCfa volés au domicile de l’inspecteur des douanes, a saisi le Parquet spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite pour enquête.

Mais, lorsqu’il a été mis au courant des découvertes effarantes des enquêteurs de la Sûreté Urbaine sur le mode opératoire de «ses» voleurs, Amadou Diadié Bâ a tenu à éclairer la lanterne des enquêteurs sur l’origine des 150 millions FCfa qu’il avait jalousement gardés chez lui. Le douanier avait assuré que ces fonds étaient le résultat de trente ans de dur labeur. Ses explications ont sans doute fini par convaincre la Crei qui, après avoir fait l’inventaire de ses primes, ses revenus et son patrimoine, a trouvé que la différence était minime avec le montant dérobé chez Amadou Dadié Ba. D’où le non-lieu qu’elle a fini par lui accorder.

Karim Wade et Tahibou Ndiaye, les rares victimes

Elle avait soulevé des houles de contestations. Des critiques acerbes, de partout ou presque. La Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), «inventée» par Abdou Douf et dépoussiérée par Macky Sall, fraîchement élu président de la République pour succéder à Me Abdoulaye Wade du Parti démocratique sénégalais (Pds), a toujours été très controversée. Hommes politiques, membres de la Société civile et praticiens du droit étaient nombreux à critiquer cette juridiction d’exception qui, pour eux, était destinée à casser des adversaires politiques.

Jusque-là, à l’exception notable du douanier Amadou D. Bâ, toutes les personnes ciblées sont des dignitaires du pouvoir déchu de Me Abdoualye Wade. Un parfum de règlement de comptes qui s’est accentué quand Karim Wade, fils du Président Wade dont il était l’homme fort du régime, ouvre le bal des dignitaires libéraux poursuivis pour enrichissement illicitement. Oumar Sarr, Me Madické Niang, Abdoulaye Baldé, Samuel Sarr, tous ministres sous Me Wade, ont (ou ont été) les cibles de cette Cour, qui a charrié toutes sortes de critiques, y compris même sur sa légitimité. Malgré tous les tirs de barrage, elle parvient à écarter tous les obstacles sur son chemin, pour juger et condamner Karim Meissa Wade en mars 2015 à 6 ans de prison ferme pour un préjudice estimé à plus de 117 milliards francs Cfa. L’ancien Directeur du Cadastre, Tahibou Ndiaye, sera le seul à subir le même sort que Wade-fils. Et même si le procureur spécial près la Crei d’alors, Alioune Ndao, avait révélé que Oumar Sarr, Me Madické Niang, Abdoulaye Baldé, Samuel Sarr, Doudou Diagne, ex-directeur de l’Urbanisme, devaient suivre, rien n’est fait jusque-là. Mutisme total de la Crei, aussi bien sur les poursuites, l’instruction que les jugements. Une situation qui semble bien conforter certains de ses détracteurs qui, dès le départ, soutenaient qu’il ne s’agissait que d’une «chasse aux sorcières», une traque ciblée, sur commande. Aujourd’hui, malgré les enquêtes quasiment bouclées sur certains dignitaires de l’ancien régime qui, pour la plupart, ont rallié le camp de Macky Sall, machine de la Crei est au ralenti, presque à l’arrêt.

Cet article a été ouvert 395 fois.

Publié par

Daouda Mine

editor

1 Commentaires

Je m'appelle

Téléchargez notre application sur iOS et Android

Contactez-nous !

Daouda Mine

Directeur de publication

Service commercial