(Dossier) Enfance et violence : Le traumatisme d’une vie

jeudi 9 janvier 2020 • 772 lectures • 1 commentaires

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(Dossier) Enfance et violence : Le traumatisme d’une vie

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IGFM - Qu’ils soient physiques, psychologiques ou par négligence, les mauvais traitements représentent un des facteurs de risque principaux du comportement violent des enfants exposés. Oscar, Doudou et Samba, victimes de violences, directes comme indirectes, en sont les preuves vivantes.

Oscar* a trente ans, en paraît le double dans ses habits trop grands pour sa petite silhouette. Sur son visage, les stigmates d’une vie insalubre le font paraître plus agressif qu’il n’est dans ce carrefour de Grand Yoff qu’il squatte pour vendre sa marchandise. Un bric-à-brac à l’origine douteuse, qu’il refourgue pour quelques pièces. «Pour survivre», dit-il de sa voix éraillée. La nourriture pour lui se résume à un liquide versé dans un morceau de tissu, qui lui permet de planer. D’oublier qui il est et d’où il vient ? De ne pas se remémorer qu’il est devenu le résultat d’un pan de sa vie où la violence était quotidienne.

Originaire d’une maison décatie dans un quartier populeux de la région de Thiès, Oscar a très tôt subi la violence de ses oncles, importunés par le divorce de leur sœur. Il étrenne sa 10e année d’existence entre les coups et les noms d’oiseaux. Sa mère qui vit de larmes et de frustrations, finit par quitter les bourreaux de son fils pour investir une chambrette dans un quartier tout aussi pauvre. Oscar se rappelle cette année avec tendresse. «J’allais à l’école et je revenais dans le giron de ma mère. Nous n’avions rien à manger, mais je me souviens avoir été heureux».

Le bonheur vole en éclats quelque temps après. L’enfant, qui revient de l’école plus tôt que d’habitude, trouve sa mère au lit avec un homme, qui refuse de partir avant d’en avoir fini. «J’ai compris que ma mère se prostituait pour mon bien-être. Je ne pouvais le supporter». Oscar, 11 ans, fugue. Au début, c’était juste pour punir sa mère. Mais ensuite, la rue l’a happé pour en faire un de ses enfants. Il laisse éclater sa colère et reproduit le schéma violent de ses oncles. Il se bagarre, se livre à des larcins et tourne mal. Placé par la justice dans un foyer pour jeunes, il s’en échappe. «Je ne suis à l’aise que dans la rue, il n’y a pas d’autorité et les relations sont franches», explique-t-il, en tirant un briquet de son sac, qu’il remet à un acheteur. Aujourd’hui, Oscar a quitté sa région pour se faire plus d’opportinités dans la capitale. Pourtant, il continue de traîner dans la rue, se shoote à mort au «guinz» et fait des allers-retours fréquents entre la prison et l’hôpital. Il ne se fait pas d’illusions pour la suite. «Je n’ai jamais pu être assez fort pour oublier la violence de mon enfance. Maintenant, c’est cette violence qui me fait vivre. Je serai certainement retrouvé mort dans la rue. Tôt ou tard».

Doudou : «Je n’ai connu que la violence, je ne savais pas comment vivre autrement»

Doudou* a eu plus de chance. Sur la pente descendante, il a rencontré Aïta, une ancienne prostituée, qui est devenue sa femme. Ils vont avoir un enfant. Une fille qui portera le nom de sa marraine. Cette femme l’a aidé à faire face à la violence qu’il avait en lui. Une violence qu’il tient de son père, qui battait sa mère. Il a vécu dans cette atmosphère jusqu’au jour où il s’est rebellé. «Je n’en pouvais plus de cette violence, de ces cris, de ces pleurs, de tout ce drame. J’ai supplié ma mère de partir, elle n’a pas voulu, alors j’ai attaqué mon père pour mettre fin à tout cela», se souvient-il.

Doudou a été chassé de chez lui après cet acte de défiance. Il avait 15 ans et n’avait personne pour l’héberger à part la rue. Là dehors, il a reproduit ce qu’il connaissait. Bagarreur, il reçoit des coups plus qu’il n’en donne. Mais l’important pour lui est d’être dans sa zone de sécurité. «Je n’ai connu que ça, je ne savais pas comment vivre autrement», explique-t-il. Un jour, il entend parler d’un foyer d’accueil pour jeunes où on lui permet de vivre et d’avoir une activité semi-rémunérée. Où on lui apprend surtout à faire face à son traumatisme d’enfance.

«En parlant à une éducatrice, j’ai compris que c’est mon père la base de tous mes problèmes. En chaque homme que j’agressais, je retrouvais mon père». L’éducatrice lui apprend à surmonter sa violence et à entrevoir un avenir. Il n’est pas des plus radieux, mais Doudou sait qu’il a échappé au pire. Menuisier métallique, il vit dans une pièce dans un quartier de la banlieue de Yeumbeul avec sa femme, qu’il a sortie de la prostitution. A l’origine, il voulait témoigner à visage découvert, avant de se rétracter par peur du «qu’en dira-t-on». Il sait que la violence n’est pas complètement partie, qu’elle est là à la surface et réclame de temps en temps ses droits. «Il lui arrive encore de se battre. Il arrive aussi que j’aie peur de ses réactions lorsqu’on se chamaille», dit sa femme dans sa robe de grossesse. Doudou, qui essaie de la rassurer, sait que l’exposition pour un enfant à la violence conjugale peut entraîner des conséquences comme l’effet miroir.

Samba, issu de viol, a violé

Samba*, enfant issu de viol, a lui-même violé. Il n’aime pas beaucoup revenir sur cet aspect de sa vie. Il n’en parle que pour expliquer son passé de prisonnier. Aujourd’hui, il n’aspire qu’à surmonter tout cela. Il vend de petits objets d’art près du canal de la Gueule Tapée où il a son «atelier». Il loue à côté une chambre dans une masure qui lui permet de passer inaperçu. Son père est la cousine de sa mère. Lorsqu’il a émigré, sa femme est partie voir un marabout pour des prières. Le charlatan lui donnera à boire une potion somnifère. Elle se réveille avec une grossesse et la honte de rester au domicile conjugal. «On m’a raconté que ma mère a choisi de disparaître. Elle est allée dans un village et y est restée jusqu’à 8 mois après ma naissance», dit Samba.

Elle sera découverte par une connaissance qui séjournait dans ce même village. Son beau-père la contraindra à revenir dans son ménage. Son mari accepte, à la seule condition de se débarrasser de l’enfant. Très jeune, Samba se retrouve donc à vivoter entre le foyer et la famille. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, c’étaient les plus beaux jours de sa vie. Il jouait avec ses amis, excellait à l’école et partait voir sa mère de temps en temps. A l’époque, dans son esprit immature d’enfant, il s’explique son placement par l’indigence de sa mère. Sans pour autant faire le lien avec son père, émigré. Il explique : «Je ne comprenais rien à la vie. Je ne voyais pas la douleur sur le visage de ma mère lorsqu’elle me regardait. Je ne voyais pas la suspicion sur le visage de mes tantes et oncles. Je ne voyais surtout pas le mépris sur le visage de celui que je pensais alors être mon père». Ce père qui, lors de vacances, lui jettera des mots qui le détruiront.

«Je rendais visite à ma mère et je l’ai vu. J’ai couru vers lui en l’appelant papa. Il m’a rétorqué en se dégageant de mon étreinte : «Fiche-moi le camp, je ne suis pas ton père. Bâtard !» Ce sera le début de la descente aux enfers pour Samba. A 12 ans, il entre en conflit avec l’autorité, crée des bagarres, tente de blesser ses enseignants et finit par fuguer du foyer. Tout à sa douleur, il refuse de reprendre contact avec sa famille et devient un parmi tous les «bujuman» qui surpeuplent les ruelles de Dakar. Entre drogues, agressions et vols, il grandit sur la mauvaise pente. Un homme qui aujourd’hui ne voit toujours pas le bout du tunnel. Dans son atelier fait de briques, de bois et de draps tendus, il sniffe son morceau de tissu imbibé de guinz, parle d’une voix cassée et regarde d’un œil vitreux. Sa mère est morte, alors, plus rien ne le retient vraiment pour basculer dans le vide. Si ce n’est par moments, la conscience que les choses auraient pu se passer différemment s’il n’avait pas rencontré la violence de son «père» ce fameux jour.

AICHA FALL

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Publié par

Daouda Mine

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