Enquête : Le dur quotidien des parents d’autistes

jeudi 5 mars 2020 • 2011 lectures • 1 commentaires

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Enquête : Le dur quotidien des parents d’autistes

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IGFM - Donner naissance à un enfant autiste, le voir grandir, se développer et lui apprendre à devenir autonome, ce n’est pas toujours chose aisée. «L’Obs» a fait immersion dans le quotidien pas toujours commun ni commode de ces parents financièrement et émotionnellement éprouvés.

Comme assommée par un uppercut, Madame Ndour vacille, prend appui sur la table et hoquète. En face, le médecin, les yeux gorgés de sollicitude, lui tend un mouchoir. Mais, même le petit carré blanc peine à atténuer sa douleur, née du verdict sans complaisance de l’homme de l’art. Quatre mots prononcés, avec gêne, mais tellement précis. Véridiques. «Votre fils est autiste». Cette phrase, Madame Ndour ne l’oubliera jamais. C’était un jeudi et son fils avait 4 ans. Alors qu’elle avait constaté des troubles de comportement chez son enfant, Madame Ndour a sollicité les services d’un spécialiste.

Cet après-midi de mardi, la jeune dame, cheveux coupés à ras, élégante dans un jean noir sur un top fleuri, reçoit dans une structure hôtelière sise aux Hlm Grand Yoff. Souriante, malgré le drame qui escorte son quotidien, Madame Ndour, affable, rembobine le film, sur les chapeaux de roue. «C’est à l’âge de deux ans que j’ai détecté un trouble du comportement chez mon fils. Il avait commencé à parler, avant de s’arrêter brusquement. Il ne connaissait pas le danger, marchait sur la pointe des pieds ou faisait ses besoins n’importe où.»

La jeune maman ne s’en inquiète pas outre mesure, espérant que la situation allait s’améliorer. L’espoir dure un an, avant qu’elle ne se décide à aller consulter. D’abord, elle est orientée au centre verbo-tonal, puis vers un orthophoniste. Là, le diagnostic tombe, sans préavis. Le sol se dérobe sous ses pieds. Incrédule, elle reste silencieuse pendant quelques minutes. Une éternité si elle y repense aujourd’hui. «Je ne connaissais rien de la maladie et surtout, je me demandais pourquoi moi. Qu’ai-je fait à Dieu pour mériter un fils comme ça ? J’étais sous le choc, mais je me suis ressaisie. Ce n’était pas le moment de flancher. Il fallait que je me batte pour mon fils, mon Mahécor», glisse-t-elle, les yeux embués. Puis, passé le moment d’incrédulité, place aux questionnements et à l’information.

Madame Ndour se tourne vers la documentation pour mieux comprendre le handicap qui menace de freiner l’ascension de son fils. Elle consulte un neurologue, qui confirme le diagnostic de l’orthophoniste. «Cette confirmation m’a anéantie. Au fond de moi, je gardais espoir que le premier diagnostic soit infirmé. Hélas ! Je n’étais pas préparée à une telle éventualité C’était le chaos total. J’étais déboussolée, désespérée. C’était un enfant que j’ai désiré. Il était mon premier enfant. Je n’acceptais pas cet état de fait. J’ai beaucoup pleuré. Avoir un enfant autiste est une charge très lourde émotionnellement, surtout quand on l’éduque seule. Le handicap de mon enfant a tu toutes mes ambitions pour lui, parce qu’étant fils unique, j’ai beaucoup misé sur cet enfant.»

«C’est dur de vivre avec un enfant autiste quand votre mari, censé vous appuyer, vous plonge un peu plus dans le gouffre»  

L’espoir déçu de Madame Ndour affecte aujourd’hui de nombreuses familles sénégalaises. L’absence de statistiques officiels au Sénégal ne permet pas de mesurer avec exactitude l’ampleur du handicap, mais en France, par exemple, la prévalence de l’autisme se situe autour de 2 à 13/10 000, soit un taux de 1%, et de 3% en Californie. Le sexe ratio montre une prédominance des garçons. Le taux de récurrence familial est estimé entre 3 et 7%.

Au Sénégal, ils sont de plus en plus nombreux ces enfants qui souffrent de l’autisme ou «Nit ku bonn (en wolof)». Un handicap méconnu qui est défini comme «un trouble envahissant du développement (Tde), qui est un groupe de troubles caractérisés par des altérations qualitatives, des interactions sociales réciproques et des modalités de communication, ainsi que par un répertoire d’intérêts et d’activités restreints, stéréotypés et répétitifs. L’autisme infantile typique apparait précocement chez l’enfance, puis concerne tous les âges. Il peut altérer dès les premiers moments de la vie, la communication et l’interaction sociale (retard psychomoteur, retard de la langue, impression de surdité, tendance à l’isolement, maniérisme…)», explique le Docteur Lamine Fall, pédopsychiatre, dans la revue «Doom doom la» de l’Association sénégalaise pour la protection des enfants déficients intellectuels du 3 novembre 2013.

Fanta D. a 16 ans, mais elle semble en avoir bien plus. «C’est le traitement qui l’a rendue comme ça. Avec les médicaments, elle a développé un hobby pour la nourriture», souffle son père, qui lui lance un regard affectueux. Dans sa robe rose assortie à un short multicolore, la jeune adolescente, physique grassouillet, visage poupin, sourit à tout rompre en fixant obstinément sa tablette. Elle lève de temps à autre la tête, visse son regard sur un point invisible de leur salon tendu de beige, opine de la tête et éclate de rire. Puis sans transition, elle retourne à son jeu vidéo. A.D, son père : «Elle a toujours été comme ça depuis sa naissance. Au début, on ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait, parce que jusqu’à l’âge de 4 ans, elle ne parlait pas. On pensait qu’elle était possédée par des «rabb (esprits maléfiques)». Nous avons fait le tour des marabouts, qui nous ont mis sur les rotules financièrement, avant qu’un inconnu, conscient de son handicap, ne nous ouvre les yeux.» L’homme, un coach spécialisé en handicap, a diagnostiqué dès le premier jour, la pathologie dont souffrait Fanta, en la voyant fuir, apeurée à la vue d’animaux domestiques.

«C’est cet homme qui m’a mis la puce à l’oreille. Il nous a invités à leurs activités para-olympiques et là, j’ai rencontré d’autres parents dont les enfants souffraient de divers handicaps. Ils m’ont orienté vers un spécialiste, qui a diagnostiqué ma fille autiste», souffle-t-il. Depuis, le temps semble s’être arrêté pour A.D. «J’ai été obligé de faire le deuil brutal de toutes les ambitions que j’avais pour elle, de l’accepter telle qu’elle nous a été donnée, mais surtout de faire face au regard des autres», poursuit-il. Un regard parfois empreint de mépris, de dégoût ou même de révulsion. Madame Ndour : «Quand je sortais avec mon fils, le regard des gens était gênant, à la limite méprisant, voire dégoûtant. Certains expriment de la sollicitude. Là où d’autres sont insensibles. Le fait que parfois mon enfant constituait un objet de curiosité me chagrinait beaucoup.»

Un chagrin partagé par Madame Diop. Maman d’un garçon de 20 ans, diagnostiqué autiste à ses 6 ans, la couturière acquiesce. «Le regard des gens a été plus dur à supporter. On me disait : «Ki weroul. Dafa Doff (il est malade. Il est fou) etc.» Le jugement était le même dans ma propre famille. Leur intolérance m’a profondément choquée.» Surtout quand cela venait de son propre partenaire, le père de son enfant. «Il a été le plus cruel. Il est allé jusqu’à me reprocher l’attitude de notre fils. Il pensait que notre fils le faisait exprès et que je laissais trop faire. J’ai mal vécu cette situation, parce que c’est dur de vivre avec un autiste quand votre mari, censé vous appuyer, vous plonge un peu plus dans le gouffre, c’est intolérable. Nous avons fini par nous séparer.»

«Parce que ma fille autiste a besoin de beaucoup d’attention, de moyens et d’un accompagnement permanent, j’ai choisi de n’avoir qu’elle comme enfant»

A.D a eu plus de bol. Papa d’une fille autiste, lui a préservé son ménage, en endossant le rôle du père et de la mère. Pas parce que son épouse a «démissionné», mais plutôt parce que lui a un emploi du temps plus flexible. Sa femme, restauratrice, prise en tenaille entre son job et ses obligations familiales, le soutient de son mieux. Ce mardi-là, d’ailleurs, elle n’est toujours pas rentrée du travail quand son mari nous reçoit chez eux, à Pikine Icotaf. Las, corpulence moyenne, dans un jean bleu sur une chemise du même ton, il reçoit dans une humilité presque confondante.

Sa demeure proprette et simple témoigne de ses modestes revenus. Mais pour ce qui est du bien-être de sa fille, le papa poule ne regarde jamais à la dépense. Il a appris à se plier en quatre pour elle. Peu importe le coût. Parce qu’avec l’autisme, A. D a réalisé que le suivi de son enfant avait un coût. Lui, a opté pour les privations et les sacrifices. Par dessus tout, renoncer à son désir d’un autre enfant, au profit du bien-être de sa seule et unique fille. Un choix qui n’a pas été sans conséquences et qui a suscité moult commentaires.

Il dit : «Parce que ma fille autiste requiert a besoin d’attention, de moyens et d’un accompagnement permanent, j’ai choisi de n’avoir qu’elle comme enfant. Notre décision de nous limiter à elle n’a pas toujours été bien comprise. Surtout par nos parents, qui développaient toutes sortes de conjectures. On nous pensait stériles, malades. D’autres doutaient de notre foi. Les gens ne comprenaient pas notre choix. Mais il faut vivre notre expérience pour nous comprendre car l’autisme est un handicap très coûteux. Il n’y a pas d’appui de la part de l’Etat. Si tu n’as pas les moyens de l’inscrire dans un centre spécialisé où les inscriptions oscillent entre 120 000 et 240 000F, tu es obligé d’aller au centre Aminata Mbaye. Et là non plus, ce n’est pas donné, car l’inscription est à 70 000F et la mensualité à 60 000F.

En plus, il est nécessaire de recourir aux services d’un auxiliaire de vie scolaire (Avs) si on en a les moyens.» Car avoir un enfant autiste requiert une présence permanente d’un Avs, à défaut d’un ou des deux parents. Un impératif qui avait poussé Madame Ndour à songer, un moment donné, à tourner le dos à son boulot. «Cela m’a traversé l’esprit, un moment, pour me consacrer exclusivement à mon fils. Puis je me suis ravisée. Si je quitte mon boulot, qui va prendre en charge l’éducation et le suivi de mon fils ? L’autisme est un handicap coûteux et pesant qui regroupe plusieurs spécialistes : l’orthophoniste, le neurologue, le pédopsychiatre et le psychomotricien. Il faut au minimum trois consultations par semaine. Il est vrai que son père biologique m’appuie de temps en temps, mais la pension n’est pas aussi régulière.» Un bémol pour un handicap coûteux.

NDEYE FATOU SECK

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Daouda Mine

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