Enquête : L’histoire jamais dévoilée de l’imam Ndao

jeudi 19 juillet 2018 • 968 lectures • 1 commentaires

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Enquête : L’histoire jamais dévoilée de l’imam Ndao

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IGFM-Imam Alioune Badara Ndao, 58 ans, fait, depuis près de trois ans, l’actualité judiciaire. Arrêté pour apologie du terrorisme, l’homme a fait son nid à Kaolack, plus précisément à Ngane Alassane Extension, quartier périphérique de ladite ville, depuis 1997. Dans cette partie du Saloum, Imam Ndao est connu de tous. L’Obs qui a mené une enquête dans son fief, a découvert d’autres facettes de l’homme. Maître coranique, conférencier, cultivateur et éleveur, Imam Ndao est surtout célébré dans cette contrée, pour son humanisme et ses actions sociales.

Quand son nom et sa photo ont occupé la «Une» de la presse, ceux qui ont croisé sa route ou l’ont connu sont «tombés des nues». C’était le 26 octobre 2015. Un lundi pas comme les autres. Ce jour-là, les éléments de la section de Recherches de la Gendarmerie, dans une forte délégation, ont débarqué à Ngane Alassane Extension, quartier périphérique de la ville de Kaolack et ont embarqué manu militari Imam Alioune Badara Ndao. Motif ? L’homme serait au cœur d’un vaste réseau de terrorisme. Tremblement de terre. Sa famille, sous le choc, n’en revient toujours pas. Abdoulaye Ndao, son frère, témoigne : «Ce jour, après son retour des champs, imam Alioune Ndao est allé aux funérailles d’un de nos voisins. La Gendarmerie l’a interpellé la nuit même.» Son arrestation en pleine nuit a surpris le voisinage. Malgré tout, la vie continue à Ngane Alassane. Difficilement ! L’incarcération de l’Imam Ndao reste taboue dans le quartier. Commencer une enquête sur Imam Alioune Badara Ndao, poursuivi pour actes de terrorisme par menace ou complot, financement du terrorisme, blanchiment de capitaux dans le cadre du terrorisme en bande de terrorisme, association de malfaiteurs et détention d’armes sans autorisation, c’est déjà se confronter à des portes closes. A Ngane Alassane Extension, personne ne veut moufter sur le sujet. Dans cette bourgade lovée à 157 km de la capitale, il n’est plus question d’aborder cette affaire qui, pourtant, occupe toujours l’actualité nationale et internationale. Les quelques personnes rencontrées préfèrent plutôt conter l’homme. Et là, les témoignages sont unanimes. «C’est un homme disponible et sociable. Il a rendu beaucoup de service au quartier. Il a enseigné le Coran à nos enfants», chante-t-on dans tout Ngane Alassane. Ou presque.

«Imam Ndao nous a donné le courage de venir habiter dans le quartier»

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16 juillet 2018. Sous le ciel gris de Kaolack, les rues sont presque désertes. Un vent poussiéreux balaie les ruelles de Ngane Alassane. Ses rafales font claquer les vêtements sur le corps maigre d’Ibrahima Sow. Trouvé devant la porte d’une maison, le bonhomme d’une cinquantaine d’années nous indique le chemin qui mène chez Imam Ndao. Le soleil est au zénith. Couchée sur plusieurs hectares, la concession d’imam Ndao est composée de petites maisons en tôle ceinturant une mosquée modeste à l’intérieur de laquelle, des jeunes garçons et filles apprennent le Coran. Les murs délabrés réclament désespérément une couche de peinture. Trouvé sur place, Abdoulaye Ndao, jeune frère d’Imam Ndao, est désormais le maître des lieux. L’homme est le mieux placé pour parler de la vie et de l’œuvre de son frère, actuellement en mal avec la justice. D’emblée, la discrétion et l’humilité du jeune frère d’Imam Ndao séduisent. L’homme parle de son frère d’une voix empreinte de respect : «Imam Alioune est un exemple de générosité qui a dédié sa vie à l’enseignement du Coran.» Comme en témoigne son parcours.

Né un soir de mai 1960, à Ndalane Malick, localité située dans la commune de Diébel (Kaolack), Imam Ndao est entré au Daara de Coki, à l’âge de 7 ans (1967). Trois ans après, en 1970, il a mémorisé le Coran. Il a ensuite intégré le Daara de Serigne Mor Mbaye Cissé de Diourbel, pour approfondir ses études. Imam Alioune Badara Ndao qui a également fait une formation de deux ans avec la Ligue mondiale islamique, animait des conférences et des séminaires religieux. «Après ses études coraniques entre Coki, Diourbel (Ndiarème) et Kaolack, il est retourné à Ndalane Malick, pour gérer le Daara de son défunt père», apprend son jeune frère. Bronzé par le soleil de plomb de ce mois de juillet, barbichette bien entretenue, le quinqua Abdoulaye Ndao, un boubou traditionnel gris sur le dos, explique les raisons qui ont conduit son grand frère à quitter son village natal et à s’installer définitivement à Kaolack. On est en 1992. Imam Ndao quitte son Ndalane Malick natal pour se retrouver au cœur du Saloum. «Il avait besoin de plus d’espace, vu le nombre de ses apprenants qui ne cessait d’accroître. C’est par la suite qu’il est venu à Kaolack et s’est installé, pour la première fois, à Fass Ndorong, chez Bathie Samb. Plus tard, il est venu à Ngane Saër. Il dirigeait la prière à la mosquée de ce quartier et les riverains, constatant qu’il contribuait beaucoup à l’enseignement islamique, ont décidé de lui octroyer des terres. Deux familles, les Ndour, avec le soutien d’un de ses amis, Aliou Gueye, lui ont donné deux parcelles. Parce qu’ils ont trouvé en lui un homme modeste, un modèle», explique-t-il. Alioune Badara Ndao s’est ensuite installé dans cette partie du quartier de Ngane, entre 1997 et 1998, appelée Ngane Alassane Extension. Abdoulaye Ndao poursuit : «Mais Imam a ensuite cédé une partie de ses parcelles à des gens qui n’avaient pas les moyens pour venir s’installer dans la zone. Il n’y avait pas de maisons, quand Imam Ndao s’installait ici. Il n’y avait que des arbres et de l’herbe. Personne ne voulait y habiter. Mais quelques années plus tard, des gens sont venus habiter avec lui. Maintenant et on peut dire grâce à lui, il y a beaucoup d’habitations à Ngane Extension.» Pour beaucoup d’habitants de ce quartier rencontrés, c’est grâce à Imam Alioune Badara Ndao qu’ils ont osé venir habiter dans cette partie dénuée de tout de la région de Kaolack. «Il a permis et facilité notre installation dans le quartier. A son arrivée, il n’y avait personne, mais quelques années après, nous avons décidé de le rejoindre», souligne un voisin. Ainsi, avec l'aide du service du Cadastre de Diourbel, des parcelles de terrain ont été mises à la disposition d’Imam Alioune Badara Ndao, afin qu'il les redistribue aux moins nantis. Ce sont ces mêmes parcelles qu’il avait mises à la disposition de l’Etat pour la construction d’une école franco-arabe. L’établissement composé de six classes, se tient juste derrière sa mosquée. Selon son frère, Imam Ndao pouvait vendre cet espace à plus de 100 millions FCfa. Mais, il a décidé de le céder à l’Etat. Et pendant 4 ans, avant la fin des travaux de cette école, il avait mis à la disposition toujours de l’Etat une partie de son daara.

«Imam Ndao n’est pas un homme violent»

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Homme aux multiples casquettes (cultivateur, éleveur, maître coranique), Imam Alioune Badara Ndao a consacré toute sa vie ou presque à l’enseignement religieux. «Imam Ndao est un grand cultivateur. Le jour de son arrestation, ce fameux lundi, il venait de quitter les champs le matin», révèle Abdoulaye. Aujourd’hui marié à quatre épouses, il est père d’une fratrie de 17 enfants. Au delà de ses casquettes, l’homme se distingue par son attachement à l’être vivant. Homme comme animal, Imam Ndao choyait tous les êtres. «Dans le quartier, tout le monde connaissait Imam Ndao qui, au delà du titre d’Imam, était une personne accessible et disponible. «J’ai grandi sous son aile, mais jamais il ne m’a battu. Il faut demander aux maîtres coraniques qui sont dans son Daara. Ils n’osaient frapper les enfants en sa présence», dit-il. Abdoulaye Ndao : «Aux heures des repas, tous les enfants préféraient partager avec lui le même plat. Parce qu’il adore les tout-petits. C’est la raison pour laquelle depuis son arrestation, les gens ne cessent de lui manifester leur soutien. Chaque fois, les gens viennent de toutes les régions pour manifester leur soutien à Imam Ndao.» Aujourd’hui, avec son absence, la concession semble dépeuplée. Des bêtes, canards et poulets, complètent le décor d’une concession dont l’atmosphère renvoie à un lieu de recueillement. «Il était aussi éleveur et avait des poulaillers dans la maison. Cela prouve qu’Imam n'est pas un homme violent. Celui qui n’est pas capable de faire du mal à un petit poussin, pourra-t-il le faire à un être humain ?» Depuis l’incarcération de son frère, notre interlocuteur a repris les rênes de son Daara. Parce que lorsqu’il a été arrêté, Imam Ndao avait demandé à son frère, Abdoulaye Ndao, de continuer de faire fonctionner son école coranique. Son Daara compte aujourd’hui entre 400 et 500 apprenants. C’est un grand Daara qui abrite un internat. Ceux qui en ont les moyens paient pour leurs enfants. Dépeint comme un philanthrope, Imam Ndao a toujours été au chevet des populations en difficultés. «La preuve, lors de l’incendie du marché de Kaolack, il a été le premier à demander, lors de ses prêches, une collecte de dons pour soutenir les sinistrés. Il avait fait collecter des habits, du riz et divers denrées qu’il a mis dans un camion et remis aux sinistrés de l’incendie», révèle un voisin qui a requis l’anonymat. Malgré les conditions de vie très précaires qu’il partageait avec ses talibés, Imam Alioune Badara Ndao a toujours apporté son soutien aux autres. Il s’était aussi illustré lors des inondations à Kaolack. «Lors de ces inondations, il a renouvelé la même action, appelant ses collègues imams à faire des collectes pour assister les familles touchées.» Dans son combat contre Dame Justice, Imam Alioune Badara Ndao peut compter sur le soutien de ces gens qui, dans des moments difficiles, l’ont vu à leurs côtés. «Nous voulons lui rendre la monnaie de sa pièce. Avec tout ce qu’il a fait pour nous, ce n’est pas possible de l’abandonner dans ces moments où il a besoin de soutien», disent-ils. Ses rapports allaient au delà de ses frères musulmans. A en croire Abdoulaye Ndao, il entretenait des relations plus que cordiales avec des personnes d’autres confessions religieuses. «Il y avait une association de jeunes chrétiens qui, souvent, échangeait beaucoup avec Imam. Il était un grand humaniste. Ansoumana Dione, le président d’Assam, avait soutenu juste après l’arrestation d’Imam Ndao, que les malades mentaux ont perdu un grand défenseur», révèle l’actuel maître des lieux. Abdoulaye Ndao ajoute : «Il donne sans calculer, surtout lorsqu’on partait en voyage. Parfois, il nous empruntait de l’argent pour en donner aux autres.» Quelques mois après son interpellation, Imam Ndao a été transféré de Kaolack à la prison de Saint-Louis. Et ce transfèrement n’était pas du goût de ses proches qui avaient décidé, à l’époque, de manifester pour montrer leur mécontentement. Mais Imam Ndao avait dit niet et interdit à ces derniers d’occuper les rues pour une quelconque manifestation. «Il nous a donné une bonne éducation. Je me rappelle quand il a été transféré à Saint-Louis, je lui avais demandé de nous laisser manifester pour exprimer notre colère. Il s’était fâché contre moi. Parce qu’il ne nous a pas inculqué cela. Il nous a demandé de mettre tout entre les mains de Dieu et de pardonner à tous ceux qui nous ont causé du tort», confie Abdoulaye Ndao. Quid du déroulement de son procès ? Son frère s’adosse au mur de la résignation et du stoïcisme : «Nous avons foi en la justice de notre pays et espérons qu’aujourd’hui, Imam va revenir parmi les siens, car rien dans ses faits et gestes ne militaient en faveur des motifs pour lesquels il est jugé.» Poursuivi pour des faits d’actes de terrorisme, Imam Alioune Badara Ndao croupit depuis 3 ans, dans les geôles du Camp pénal. Ce conférencier de 58 ans pourrait passer 30 ans en prison (Réquisitoire du Procureur de la Chambre criminelle spéciale de Dakar). Et ce 19 juillet, sa vie connaîtra un autre tournant. Ngane Alassane Extension retient son souffle.

JULES SOULEYMANE NDIAYE (ENVOYE SPECIAL A KAOLACK)
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Daouda Mine

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