Enquête : "Mon enfant a le Vih"

dimanche 8 juillet 2018 • 489 lectures • 1 commentaires

Société 5 ans Taille

Enquête :

PUBLICITÉ

IGFM-L’affaire avait défrayé la chronique, il y a de cela deux mois. En mai dernier, le quotidien «Vox Populi» affichait à sa «Une», la dramatique histoire de M.N.T, un bébé d’un an atteint de Vih. Infecté alors que ses parents étaient sains, le bébé a été contaminé lors d’une hospitalisation. Deux structures médicales sont mises sur le banc des accusés et une plainte déposée. Prétexte ne pouvait être mieux choisi pour s’intéresser au quotidien des enfants vivant avec le Vih. «L’Obs» s’est penché sur la question et a mené l’enquête. Leur quotidien, les tracas des familles, le sentiment de culpabilité ressenti par les parents suite à la contamination de leurs enfants, la vie dans un perpétuel secret, tout y passe. Sans tabou. 

«Mon mari a gâché ma vie et celle de ma fille, mais pour me consoler, je me dis que je ne suis pas malade, mais juste infectée. Je porte le virus dans mon sang. Ma fille aussi.» La phrase répétée à l’envi sonne comme un hymne à la désespérance soutenue par le fil ténu de la vie. Une ode à l’amour que Thérèse Gomis* aime fredonner. Tous les jours. C’est cela sa thérapie, son slogan, sa force pour faire face. Plus à la maladie de sa fille de 14 ans qu’à la sienne. A 50 ans, la dame, mère de deux enfants, dont une issue d’un précédent mariage, traîne son spleen dans les dédales de ce quartier semi-bourgeois de Dakar. Teint clair, embonpoint très marqué par le «stress», comme elle le dit, Thérèse est la maman d’une jeune adolescente, Sophia, infectée au Vih-Sida. Et c’est justement à travers cette 2e fille, fruit de son second mariage, qu’elle a découvert sa maladie. Dans ses yeux bridés, dénués de tout artifice, le visage grassouillet, se lit une résignation face à l’épreuve. Elle dit : «J’ai eu le Vih à travers mon mari, mais je n’ai su mon infection qu’à travers ma fille. Elle tombait souvent malade alors qu’elle avait un an. Elle était suivie par d’autres médecins, mais c’est par la suite qu’on m’a orientée ici. Et c’est suite aux analyses qu’on a découvert qu’elle était infectée.» Un tremblement de terre accompagné d’un féroce tsunami. Thérèse marque une courte pause, range une mèche de cheveux échappée de son foulard avant de poursuivre. Sans discontinuité : «J’ai senti le sol se dérober sous mes pieds. J’étais anéantie et je m’en suis voulu, parce que durant cette grossesse, le gynécologue m’avait recommandé de faire des analyses sanguines, mais trop heureuse de cette seconde grossesse que je n’espérais plus, je les ai négligées. Jamais au plus grand jamais, je ne pouvais m’imaginer que je pourrai un jour être infectée par le Vih. J’avais une confiance aveugle en mon mari. Voilà le résultat aujourd’hui. Il a gâché ma vie ainsi que celle de ma fille de 14 ans.»

«J’ai failli mettre fin à ma vie»

PUBLICITÉ


Le drame de Thérèse et de sa fille n’est pas un cas isolé. C’est le quotidien de plus d’une centaine de familles qui vivent au quotidien, avec le remord en travers de la gorge. Au Sénégal, ils sont environs 300 enfants vivant avec le Vih à être suivis dans une structure hospitalière dédiée. Trois cent (300), dont les parents vivent en permanence avec la psychose de voir leur «secret» révélé au grand jour. Comme ce fut le cas de cette famille qui a fait la «Une» du mercredi 16 mai dernier du quotidien «Vox Populi». L’histoire du bébé M.N.T infectée au Vih par on ne sait quelle gymnastique, alors qu’elle était internée dans une structure hospitalière de la place. L’affaire a fait grand bruit avant que la famille du bébé ne décide de la porter devant les tribunaux. Aujourd’hui en instance, elle remet au goût du jour le calvaire quotidien des familles dont les enfants sont infectés par le Vih. Un mal certes chronique, mais surmontable, avec une rapide prise en charge et un bon suivi médical. Thérèse Gomis témoigne : «Quand les médecins m’ont annoncé la maladie de ma fille, j’étais dévastée et je m’étais culpabilisé à mort. Par moments, je nourrissais le sombre dessein de mettre fin à ma vie. Si je n’avais pas eu la foi, ni le soutien du personnel médical qui suivait ma fille, je pense que j’aurais mis fin à mes jours. Il y a 3 ans de cela que ma fille a été informée de son statut sérologique et heureusement, elle l’a bien pris. Elle commençait à faire sa crise d’adolescence et elle était suivie par un psychologue. C’est l’assistance sociale qui l’a encadrée avant de lui annoncer sa maladie. Elle n’a pas fait de crise. Elle est même devenue plus mature et se prend en charge pour ses médicaments. Aujourd’hui, voir ma fille grandir et vivre sereinement avec le Vih me fait moins ressentir ma culpabilité. J’essaie de rester digne et forte. Pour elle.» Sous le couvert de cette culpabilité mise à rude épreuve par une conscience torturée, beaucoup de mères la traîne comme un énorme boulet et en parler sert de catharsis. Même si c’est toujours douloureux comme une vilaine injection.

UNE MÈRE : «Je me culpabilise à chaque fois que je regarde mes enfants»

PUBLICITÉ


«Ce n’est pas évident !», lâche dans un rire creux où se mêlent tristesse et impuissance, Nogaye Diop. Cette mère de 3 enfants, dont deux de 14 et 12 ans infectés par le Vih (Virus immunodéficience humaine), semble perdue au milieu de ce container exigu où elle reçoit. Le regard las, corpulence moyenne moulée dans une camisole fleurie, écorce de jais, Nogaye accouche ses mots dans un débit saccadé. Elle les souffle presque sous le ton de la confidence, comme pour masquer une gêne discrète et sautille de nervosité dès que quelqu’un s’approche de la porte. Puis, rassurée, elle installe un code de connivence ponctué par de regards entendus avant de se confier. «Je suis devenue l’esclave de mes enfants. A chaque fois que je les regarde, un lourd sentiment de culpabilité me noue la gorge et ce n’est pas facile de vivre avec», glisse-t-elle le regard figé au mur. Entre ses mains, elle triture nerveusement son porte-monnaie, puis secouant énergiquement la tête, comme pour chasser ses démons, elle appuie son discours par des touchers. «Mon 2e garçon qui était alors âgé de 3 ans et demi, tombait souvent malade et il se faisait suivre à l’hôpital de Ouakam. A ce moment, les médecins n’avaient pas encore décelé la maladie. Un jour, alors que je l’avais emmené en consultation, le médecin m’a immédiatement renvoyé à l’hôpital Albert Royer. Là, les médecins lui ont fait des analyses et c’est ainsi qu’ils ont détecté la maladie. Ils m’ont ordonné de faire des tests qui se sont avérés positifs. Mon mari, lui, n’était pas infecté, donc les médecins en ont conclu que c’est moi qui ai contaminé mes deux enfants, puisque j’allaitais le dernier à ce moment. Je m’en suis voulu à mort. Je me sentais fautive et jusqu’à présent, ce sentiment ne m’a pas quittée. Je me culpabilise à chaque fois, car je me dis que c’est de ma faute. Pour diminuer ce sentiment, je fais de mon mieux pour les bichonner et les câliner. Je cède à leur moindre caprice.» Une compensation derrière laquelle se réfugie Nogaye pour expier sa faute après que son monde se soit écroulé ce fameux jour où les médecins l’ont mis face à la cruelle réalité. Elle dit : «C’est mon mari qu’on a informé en premier. Il a demandé au personnel de m’en aviser, car lui ne pouvait pas. Ce jour-là, j’ai cru que c’était la fin. J’étais désarçonnée et déboussolée, mais je me suis reprise grâce au soutien du personnel médical. Je vivais un drame et je n’avais personne avec qui le partager en dehors de mon mari qui ne cessait de me soutenir et du personnel médical.» Aujourd’hui, incapable de détecter la source de sa propre contamination, Nogaye, qui est sortie d’un premier divorce, s’en remet à Dieu et se dévoue corps et âme à son traitement et à celui de ses enfants qui sont, aujourd’hui, indétectables. «Voir mes enfants s’épanouir et bien vivre avec la maladie est mon plus grand réconfort. Ils ont dédramatisé la situation à leur manière et suivent scrupuleusement leur traitement à base d’antirétroviraux. Aujourd’hui, ils prennent eux-mêmes leurs médicaments aux heures prescrites et souvent, c’est le plus jeune qui rappelle son aîné l’heure de la prise en lui disant qu’il faut qu’ils aillent prendre leur «essence». Un nom de code dédié qui renseigne à volonté sur la grande confidence qui entoure la maladie. Et le mystère est difficile à percer.

«Mes enfants et moi sommes dans le secret absolu»


Niania D. (38 ans) est femme au foyer. Sous ses airs de femme forte et accomplie, le vernis craque dès qu’on dévoile sa part d’ombre liée à son drame. Un coup d’œil dans le rétroviseur qui, loin d’expier ses démons, la plonge dans un profond silence. D’abord, c’est un rire creux qu’elle offre dès qu’on aborde le sujet. Ensuite, un regard vide, puis un air de chien abattu qui attendrirait le cœur de plus d’un. Niania D. est la maman de quatre enfants, dont deux garçons de 13 et 12 ans, infectés au Vih. Avec elle, la tristesse affleure à chaque question et chaque réponse est une torture. On marche sur des œufs. Il faudrait plusieurs fois l’intervention de l’assistante sociale, courroie de transmission, pour l’aider à faire le point sur ses sentiments. Chaque intervention lui prend 5 minutes. Cinq minutes thérapeutiques pour que Niania concède à poursuivre l’entretien. A chaque fois, le même scénario : elle s’excuse, se rassoit, tortille ses doigts, baisse son regard. Quelques secondes de contemplation du sol nu de sa demeure sobrement décorée. Avant que la machine ne s’huile et qu’elle démarre son récit. «Mon fils, aujourd’hui âgé de 13 ans, tombait constamment malade. Il était chétif et vulnérable. Moi, je n’y comprenais rien. Je l’ai amené en consultation et les médecins l’ont hospitalisé. Il a subi une série d’analyses et c’est au terme de ses analyses que les médecins m’ont dit qu’il était infecté. Ils m’ont demandé, suite à cela, de faire des analyses et c’est là qu’ils ont détecté que moi aussi, j’étais infectée. Par contre, mon mari dit ne pas être infecté quand il a fait les analyses et je n’ai pas insisté outre mesure. Quand j’ai su que mon enfant était malade, j’ai souffert dans ma chair, mais je me suis résignée. Et j’ai enduré cela avec foi. J’ai deux garçons infectés. Par contre, mes deux derniers enfants sont indemnes. Je n’ai jamais eu à me culpabiliser, car je ne sais pas si c’est moi qui ai contaminé mon enfant. Les médecins ne m’ont fait aucune confidence sur le sujet. L’aîné avait 5 ans à l’époque. Aujourd’hui, il en a 13», souffle-t-elle d’une voix entrecoupée de trémolos. Huit ans. Huit longues années que Niania D. garde enfouie son indicible drame. Son lourd secret. Depuis, elle vivote, essayant tant bien que mal de garder son lourd secret. Et protéger au maximum ses enfants contre le regard des autres et leur jugement. Elle se lève un moment. Comme une automate, elle effectue quelques pas, tripote son foulard et visse son regard vers un point invisible à l’horizon. L’air frais embaume l’atmosphère et seul le ressac des vagues s’échouant sur les rochers perturbe la quiétude de l’instant. Le dos voûté, Niania D. prend une profonde inspiration, soulève la tête et enchaîne son récit, la voix basse. «Mes enfants ignorent encore leur statut sérologique. Je n’ai pas la force de le leur dire. L’aurais-je jamais ? J’en doute. De tout mon entourage, seul mon mari est au courant. Même ma belle-famille, chez qui nous vivons, ignore tout de cette histoire. Si elle venait à être au courant, ce serait catastrophique pour mes enfants et une humiliation pour moi, vu que mon mari persiste à dire qu’il n’est pas infecté. Le moment venu, les médecins se chargeront d’informer les enfants, mais pour l’instant, on vit dans le secret absolu.» Pour parer à toute question indélicate quant aux fréquents allers et retours des enfants à l’hôpital, Niania et son mari se réfugient derrière l’argument du traitement d’une maladie bénigne. En attendant. Comme pour jouer à cache-cache avec une société obnubilée par les affaires d’autrui…

Comme Niania, Adja Guèye vit la maladie de son aîné de 12 ans dans le plus grand des secrets. Et la hantise d’être un jour découverte pèse constamment sur ses frêles épaules. Toute menue dans sa robe en dentelles fleurie, casque de mèches courtes sur la tête, regard embarrassé, la jeune maman se rappelle, comme si c’était hier, de ce jour où on lui a annoncé la maladie de son fils. Même si elle s’attendait un peu à ce scénario improbable. «Baby», comme elle le surnomme affectueusement, avait tout juste 2 ans. Conduit à l’hôpital, il a été diagnostiqué positif. «Je m’attendais à 50% à ce résultat. Même si je gardais un faible espoir de voir mon bébé y échapper, puisque je suivais normalement mon traitement et je savais que c’était possible. Je suis infectée au même titre que mon mari et c’est au cours de la grossesse de «Baby» que j’en ai été informée», souffle-t-elle. Mais contrairement à Niania, Adja s’est résolue à annoncer elle-même la nouvelle à son fils. Avait-elle d’ailleurs le choix puisqu’à 10 ans, son «Baby» chéri commençait à se rebeller et à refuser systématiquement tout traitement. Elle dit : «C’est moi-même qui ai annoncé à «Baby» qu’il était infecté. Il avait 10 ans. J’y étais obligée, parce qu’il ne respectait plus son traitement et c’est son petit frère qui, lui, est sain, qui m’en a informé. Je l’ai appelé. On en a discuté et il m’a dit qu’il en avait marre de prendre des médicaments sans comprendre dans quel but. Il m’a fait comprendre qu’il voulait savoir ce qui lui arrivait. Là, j’ai réalisé qu’il était temps que je lui fasse part de sa maladie. Il avait déjà des doutes, parce qu’à l’école, il avait eu des leçons sur la maladie.» Plus de peur que de mal. Son aîné l’a bien pris, mais vit sa maladie dans la plus grande discrétion. «Dans notre entourage immédiat, nul ne sait qu’il est infecté. Aujourd’hui, mon aîné est un garçon épanoui. Il est ambitieux. Il sait ce qu’il veut. Il suit normalement son traitement et cela ne le handicape aucunement. D’ailleurs, il ambitionne de devenir médecin une fois adulte. Notre maladie est notre secret. Même à l’école, ses camarades et ses professeurs ne savent pas qu’il est infecté. On n’en parle qu’entre nous, on communique et on se réconforte mutuellement.» Pour faire corps contre le Vih. Comme les cinq doigts de la main.

*Les noms ont été changés

PAR NDEYE FATOU SECK
')}

Cet article a été ouvert 489 fois.

Publié par

Daouda Mine

editor

1 Commentaires

Je m'appelle

Téléchargez notre application sur iOS et Android

Contactez-nous !

Daouda Mine

Directeur de publication

Service commercial