Fort B : Quand les gardes pénitentiaires se transforment en "parents par procuration"

mardi 26 mars 2019 • 6283 lectures • 2 commentaires

Société 5 ans Taille

Fort B : Quand les gardes pénitentiaires se transforment en

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IGFM - Ancien fort, la Maison d’arrêt et de correction pour mineurs de Hann est une prison exclusivement dédiée aux mineurs. Ici, les matons jouent un double rôle : rééducation et réinsertion. «L’Obs» est allé à la rencontre de ces éducateurs hors-pairs qui, de jour comme de nuit, contribuent à forger des destins jusque-là brisés. Reportage !

La Maison d’arrêt et de correction pour mineurs de Hann est un lopin de terre perché sur l’épine dorsale du chic quartier des Maristes, à un jet de pierres de l’autoroute Seydina Limamou Laye. Ancien fort, cette prison à la forme d’un trigone, abrite des mineurs âgés de 13 à 18 ans. Outre son caractère carcéral, ce centre de détention est par excellence un lieu de réinsertion pour enfants délinquants. Ici, les mineurs ne sont pas cloisonnés derrière des cellules, empêchant tout contact humain entre eux et les surveillants ou encore laissés à leur propre sort comme des grands. Au Fort B, ils sont suivis, éduqués et accompagnés par des matons. La rééducation est au cœur du projet dans cette geôle. Un idéal commun que porte fièrement le surveillant de prison, Mama Amar Niang. Un homme athlétique qui trône sur ses 40 piges. Et qui a consacré 15 longues années de sa vie à la surveillance de prison. «La vie est presque pareille partout dans les prisons. La seule différence, c’est qu’ici, on s’occupe exclusivement d’enfants. Et qui dit s’occuper d’enfants, dit consacrer d’énormes sacrifices, surtout qu’il y a parfois certains insoumis. Même si on les considère comme nos propres enfants, on veille néanmoins au respect strict des règles de conduite. Quitte à utiliser le bâton», dit-il, fourré dans une chemise et un pantalon bleus.

«Des relations de père à fils»

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Ce vendredi-là, le soleil au zénith darde ses fins rayons sur les corps ruisselants de sueur des ados. Assis en petits groupes de dix autour des bols de riz blanc, arrosé d’une sauce ocre dans laquelle les morceaux de viande fument encore, ils savourent leur déjeuner en silence. Sous le regard des gardes pénitentiaires qui veillent quotidiennement au grain. Une tâche qui n’est pas de tout repos et demande beaucoup de sacrifice et une grande maîtrise de soi. Au Fort B, il faut faire preuve de tact pour «dompter» des délinquants mineurs et capricieux, se rebellant à tout-va. Mama Amar Niang : «C’est une fierté de voir les jeunes sortir de taule et prendre enfin le bon chemin. Même si on a mal et qu’on est souvent submergés d’émotions, quand un détenu recouvre sa liberté. Parce qu’on entretient des relations de père à fils.»

Ancien Fort, la Maison d’arrêt et de correction pour mineurs de Hann n’est pas commode pour l’isolement des mineurs, les locaux sont vétustes et presque étroits, le sol crasseux. Des efforts sont faits, mais sont souvent minimalistes et ne sauraient pallier les besoins importants d’accueil des jeunes en conflit avec la loi. Ici, les dortoirs ressemblent à un moulage de béton, sur quoi sont posés de simples matelas qui s’effritent. Pour autant, les mineurs ne sont pas abandonnés à eux-mêmes, ils ont l’essentiel. Des chambres et couloirs avec lumière et télévisions, 5 box, dont l’un menace ruine. Et malgré la crasse qui semble s’être inexorablement incrustée, les enfants balayent leur dortoir, récurent les sanitaires et font constamment le linge. Les jours passent et se ressemblent pour Pape Ousmane Guèye. Un bout d’homme au teint clair, le regard tendre et généreux. De jour comme de nuit, l’infirmier et surveillant de prison est au service des ados. Lui, c’est le Monsieur Santé de la prison. Le Major ! Le «papa» confident. «Les enfants ne me cachent rien, ils se confient sans réserve à moi. Ici, ils ont le nécessaire et ne se plaignent pas beaucoup, eu égard à leur ancienne vie de délinquants. Ils sont bien nourris et bien traités. Il y a 3 ans, ils s’étaient rebellés pour fustiger les longues détentions préventives. Mais depuis, la prison est au calme. Il y a des restrictions en prison. On note quelquefois des bagarres. Certains jeunes caressent ou font des avances à leurs camarades de chambre. Et ce n’est pas tout le monde qui accepte cela. Plus forts, d’autres tentent d’intimider leurs camarades. Et à notre niveau, on sanctionne sévèrement ces actes contre nature.»

«Un jour, le papa d’un ancien détenu est passé pour nous remercier»

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Major a la lourde charge de guérir les malades. Une tâche qu’il abat avec sérénité. Puisqu’il s’est donné comme sacerdoce : guérir ces enfants au prix de sa vie. Pape Ousmane Guèye : «Avant d’intégrer la prison, tout détenu passe une visite médicale. Il y a des détenus qui tentent de dissimuler la drogue par l’anus. Pis, on accueille des sidéens, des asthmatiques, des cancéreux, des diabétiques et des tuberculeux. D’autres mineurs arrivent avec de graves blessures à la tête ou atteint de dermatose, de gale ou d’Ist (infections sexuellement transmissibles). Ces malades-là ne peuvent pas cohabiter avec les autres, ils bénéficient de traitements spéciaux. Si le cas est très sérieux et dépasse nos compétences, le malade est transféré à l’hôpital. Pour hospitalisation ou intervention chirurgicale, sous la supervision et la prise en charge totale de l’Administration pénitentiaire.» Toujours selon le garde pénitentiaire, la dermatose, les blessures graves et l’asthme sont les cas les plus fréquents. Et le cas de l’asthme est surtout lié au fait que ces enfants errent dans les rues et dorment dans les canaux près des fosses septiques où les conditions de vie sont exécrables.

«Une fois, raconte toujours Major, le papa d’un ancien détenu est passé nous féliciter et prier pour nous. Il disait qu’il lui était impossible de payer les soins à son fils, parce que la prise en charge demandait de gros moyens. Donc n’eut été l’apport de la Mac de Hann, son fils allait certainement trépasser. C’est ce réconfort qui nous pousse à redoubler d’efforts. Malheureusement, on abat un énorme travail qui n’est pas connu du grand public. Et pourtant, on passe plus de temps avec les détenus qu’avec les membres de nos familles», dit la blouse blanche, les trémolos dans la voix.

Pape Ousmane Guèye de souligner : «La vie en prison est difficile. Une fois, un détenu est passé me dire qu’il allait craquer, parce qu’il ne pouvait plus rester en taule. J’ai contacté l’assistance sociale qui essaye de gérer sa situation.»

«Difficile de gérer des gamins»


Dans leur mission première de sécurité, les gardes pénitentiaires du Fort B œuvrent quotidiennement pour la réinsertion des détenus dans la société. Malgré la difficulté à canaliser ces ados et à leur offrir un lendemain meilleur. Une manière de sauver l’enfant des influences néfastes de son milieu urbain ou rural et de ses copains de mauvaise vie. D’autant plus que la plupart de ces enfants délinquants sont en rupture de ban avec leurs parents ou proches. Il arrive également que des anciens détenus récidivent et reviennent au point de départ. Échec de réinsertion ? Le maton Codé Bâ réfute. Coiffé d’une casquette sur un Polo rouge, il affirme : «C’est difficile de gérer des enfants, mais on essaye de leur inculper des règles de conduite pour qu’ils puissent, une fois libres, intégrer la société. Mais c’est souvent très compliqué, on n’a pas tout le temps ce que l’on veut. On essaye tant bien que mal de les comprendre. En leur forgeant le caractère qui sied pour vivre en société.» Le natif de Thiès et surveillant principal de prison est enseignant d’éducation physique de formation. Pour lui, les activités physiques constituent une part importante dans la politique de réinsertion des détenus. «Malgré l’espace réduit, on a pu développer et adopter certains nombres de disciplines pour participer à l’épanouissement des jeunes. La prison a un terrain de 200m carrés, les jeunes pratiquent le sport : basket, volleyball, lutte et font souvent de l’animation socio-culturelle», a listé Pr. Bâ. Qui affiche un flegme à toute épreuve.

Des cas de décès, la prison n’en a pas encore enregistré. Des évasions, non plus ! Et comme toute prison, Fort B a son mur des lamentations et ses pitoyables secrets souterrains. Mais il ne faut point compter sur les gardes pénitentiaires pour lever un coin du voile sur les mille et un problèmes de cette geôle. «Il y a des problèmes. Mais on rend grâce et encourageons notre directrice qui, depuis son arrivée à la tête de cette prison, ne cesse de mettre les bouchées doubles pour son rayonnement», a salué Major. La mission est ardue et Major le sait. Seulement, l’infirmier s’attèle à vivre sa passion. Son métier de surveillant de prison. Pape Ousmane Guèye : «Un ancien drogué de surcroit alcoolique qui tenait à peine debout, a aujourd’hui repris ses esprits grâce à nous. Il est maintenant devenu un adulte qui mène une vie normale et qui gagne sa vie. C’est notre but.»

Aujourd’hui, des destins brisés se sont refaits à la Maison d’arrêt et de correction pour mineurs de Hann. Des loques humaines y ont repris goût à la vie et se construisent une place au soleil. Grâce au travail remarquable et dévoué des gardes pénitentiaires qui, jour et nuit, surveillent et éduquent les ados. Pour les remettre sur le droit chemin.

IBRAHIMA KANDÉ

 

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Publié par

Daouda Mine

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