Il était une fois «Roukou Djinné», le trou des coups tordus

mercredi 9 mai 2018 • 406 lectures • 1 commentaires

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Il était une fois «Roukou Djinné», le trou des coups tordus

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iGFM - (Dakar) Appelé autrefois «Roukou djinné», devenu au fil du temps, «Roukou nandité», l’endroit n’a rien perdu de ses vices. Cette ruelle serpentée de terre logée dans le fiévreux marché Colobane est un coin réputé malfamé. A cause des mille et une duperies de ses occupants, les «Market men», elle continue de dribbler son monde. Le site garde toujours son aura de coin de supercheries. Où seuls les «nandités» (plus malicieux) arrivent à y entrer et en ressortir. Sans séquelles. L’Obs a traversé ce couloir étroit truffé de pièges tordus.

Pape porte le masque des mauvais jours. Il a mal et le regard désarçonné d’un malheureux gardien de but qui a causé la défaite de son équipe. Une bourde qui coûte bigrement cher. Alors qu’il avait toutes les cartes en main, le bonhomme demeure lèvres closes et garde le silence, les bras croisés sur la poitrine. Sur son visage se lit sur une grosse déception. Apparemment, l’homme a été grugé et ne sait plus où donner de la tête. Tandis que sa mine des mauvais jours le trahit, des pleurs trahissent sa vive émotion. Comme un torse oint de beurre de karité, la sueur perle sur son physique gringalet englobé dans un Polo rouge sur un pantalon Kaki. Puis d’un geste excédé, il tonne : «Boy, on me l’a fait. On m’a vendu un téléphone sans batterie qui, d’ailleurs, ne fonctionne pas. A la place d’une batterie, j’ai trouvé du papier dur. C’est inimaginable. Du jamais vu ! Je ne sais pas comment j’ai pu être aussi naïf. C’est un Motorola de seconde main dont le flash K ne marche pas. Et pourtant, on a essayé et tout marchait, le téléphone était en bon état. Donc, je ne sais pas comment on m’a grugé aussi facilement. Du vrai toc !»

Une véritable affaire de «dijnné» (diable). Ici, le coin traîne cette réputation sulfureuse de coups tordus. Pape et son ami Seydou ont eu la malchance de se retrouver à «Roukou djinné». Un bout de terre logé en plein cœur du marché Colobane, encore appelé «Colways». Où des «Market men», véritables génies de l’achat et de la vente, dictent leur loi. Ici à «Roukou djinné», plus connu aujourd’hui sous le nom de «Market» ou encore «Roukou nandité», on use et abuse d’artifices pour faire écouler du toc dans un emballage de qualité. Un marché noir où règne la loi du plus rusé. Où de petits «diablotins» massacrent de ruse des «innocents». Pape et son ami Seydou ne sont pas les seuls étudiants à avoir été dribblés par les «Boy Town» de «Roukou djinné».

Ce mardi-là, le soleil se lève plus tôt que de coutume. Et le marché Colobane, situé à la lisière du centre-ville dakarois, dans la commune de Gueule Tapée-Fass-Colobane, s’embrase déjà d’un nouvel accès de fièvre. Une atmosphère d’effervescence générale. «Colways» (Colobane) reprend progressivement ses couleurs. Avec à la clé un monde foisonnant de toutes parts. Les cantiques des marchands ambulants, mêlées au vrombissement des moteurs des véhicules et motos, rythment le lieu. Ici, marcheurs et automobilistes se disputent la chaussée. Le marché Colobane a aussi ses charmes : Parc «daal» (site où on trouve des chaussures de tout genre), Pak (ex-fief des ferrailleurs et poulaillers) et Rue 14 X Niangor (domaine de la friperie). Mais «Colways», c’est aussi et surtout «Roukou nandité» ou «Market», appelé autrefois «Roukou djinné». Situé entre le quartier de la friperie et le grand Centre commercial aux couleurs éteintes, cet endroit est le plus fréquenté du marché. Ou presque. C’est le lieu par excellence des businessmen. Souvent pris au collet par la dèche et le manque d’emploi.

A «Roukou djinné», il est vendu toutes sortes d’articles. Chaussures, vêtements, téléphones portables, ordinateurs et accessoires, tout y passe. Si certains vendeurs exposent leurs marchandises, d’autres les planquent, attendant de trouver un éventuel client. D’où l’appellation de marché noir qui lui colle à la peau.

«On m’a vendu un téléphone, avec un savon à la place de la batterie»

Seydou garde toujours en mémoire cette fameuse matinée de juin. Où il a été roulé dans la farine, dribblé comme un défenseur en perte de repères dans un terrain glissant, à «Roukou djinné». Homme de peu de mots, visage rigide, le jeune flic s’était fait avoir. Comme un vulgaire débutant. Il raconte, le sourire en coin : «C’était il y a 8 ans. Je me suis fait avoir par un vendeur de téléphone à «Roukou djinné». J’étais pourtant en compagnie d’un ami, qui m’a aidé à négocier le prix d’un téléphone de marque Alcatel. Ce jour-là, après avoir foulé le sol de Colobane, on nous a montré du doigt «Roukou djinné». Là où on vend tous les types de téléphone et de matériel électronique. Arrivés sur place, on s’est fondu dans la foule qui se bousculait. C’est ainsi qu’on a croisé un vendeur de téléphones portables, qui avait dans sa marchandise celui que je cherchais. Je n’ai pas hésité à négocier et avancer un prix. Après moult négociations, on est tombé d’accord sur le prix. Finalement, il m’a vendu le téléphone à 18 000 FCfa. Il nous a ensuite proposé de chercher une boîte pour l’appareil et on est parti ensemble. Après avoir pris le téléphone, on est vite reparti sur nos pas, avec l’espoir d’avoir réussi le négoce. Une fois à l’Université, j’ai ouvert la boîte et à ma grande surprise, j’ai été choqué de trouver du savon à la place de la batterie du portable. On est retourné le soir au même endroit, mais on n’a jamais revu le monsieur qui nous avait fourgué le portable. Depuis, je ne fréquente plus ce coin de Colobane.» Leçon de vie.

Thier est un «Market man» qui trône sur ses 26 piges. L’homme grand et fin, tient une sacoche de cuir contenant ses téléphones portables. De temps en temps, il lance un bref salut matinal aux passants. Lui dit tout haut avec fierté que c’est un «Come on Town», venu du Baol des profondeurs, pour faire profit dans la capitale sénégalaise. Et pour gagner sa vie à Dakar et aider ses géniteurs, il a opté pour la vente de téléphones de seconde main. «Je suis vendeur de téléphones de seconde main. Honnêtement, je ne cherche pas la provenance du matériel et ne m’attarde pas sur ce qu’en pensent mes clients. J’achète tout court et je revends tout simplement. A bon prix. Ni plus ni moins. Depuis 4 ans, je fréquente «Roukou nandité», mais je n’ai jamais eu maille à partir avec Dame Justice. Je rends grâce à Dieu. Il m’arrive de faire des économies et d’envoyer quelques sous à ma maman et quelques proches.» Pour Thier, «Roukou djinné» traîne, comme une balafre, la mauvaise réputation d’être un «Roukou nandité». Où les plus rusés déplument les moins connectés, les moins branchés. «J’estime que quand un client se sent déplumé, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même. Nous, on n’a rien à nous reprocher. Le métier de Market man est un travail noble, comme tous les autres. Ceux qui se font duper n’ont qu’à faire plus attention. Parce que l’argent ne se gagne pas facilement. En le dépensant donc, il faut veiller à ne pas se faire rouler dans la farine.»

«Ceux qui achètent sans vérifier se tirent une balle dans le pied»

A «Roukou nandité», ils sont nombreux ces jeunes, vieux, femmes et hommes à se faire narguer par de petits «génies» futés «Market men». Aujourd’hui, le mythe est tombé, mais la réalité demeure vivace. Naguère coin de duperies et de subterfuges, lieu de prédilection du recel, «Roukou djinné» n’a rien perdu de ses vices de toujours. L’endroit a certes changé de nom, il est aujourd’hui appelé «Roukou nandité», mais le site tient encore son rang de coin malfamé. D’endroit de businessmen roublards qui driblent tout le monde. Fiévreux, animé à longueur de journées, cette ruelle étroite serpentée de terre nichée en plein marché Colobane vit au jour le jour. Sous le Diktat des caprices de ses occupants. Ici se côtoient au quotidien, vendeurs à la sauvette, commerçants et acheteurs à bons prix. Où le recel, le vol, la tromperie sont monnaies courantes. Bref, c’est un vivace secteur informel en mouvement très fréquenté par les pickpockets, agresseurs et autres malfrats.

Devant une cantine de fortune, l’homme se tient immobile, deux ordinateurs de marque en main. Sa barbichette bien entretenue surmonte un patchwork cachant mal sa forte corpulence. Amadou Ciss est un Businessman qui a fait de la vente d’ordinateurs son gagne-pain. Depuis plus d’une décennie, le natif de Thiaroye, banlieue dakaroise, exerce ce boulot. Pour lui, les populations font un mauvais procès à «Roukou djinné», devenu «Roukou nandité». Selon lui, seules les personnes insensées y sont grugées. «Je me demande pourquoi, comment un homme normal peut être grugé. Ceux qui nous taxent de délinquants racontent du n’importe quoi. Nous ne faisons que vendre, rien d’autre. Des policiers et gendarmes patrouillent incessamment sur le site. Donc, tous ceux qui achètent nos matériaux sans vérification n’ont qu’à se tirer une balle dans le pied. C’est leur faute. C’est tout», lave-t-il à grande eau les «Market men» de «Roukou djinné». Où il est formellement interdit d’être un «Ngaka». Pape et Seydou ne diront pas le contraire.

IBRAHIMA KANDE

 

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Daouda Mine

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