Jean-Pierre Senghor : «Personne ne m’entendra parler du Prodac...»

mercredi 29 août 2018 • 931 lectures • 1 commentaires

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Jean-Pierre Senghor : «Personne ne m’entendra parler du Prodac...»

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IGFM-L’homme est un bosseur impénitent. Un parfait connaisseur de l’Agriculture et principal accoucheur des programmes du régime Sall dans ce domaine. Père du Prodac, qu’il a quitté juste avant le scandale à milliards, Jean Pierre Senghor couve aujourd’hui un futur champion : les Ntr (Nouveaux terroirs résilients). Un programme qui viendra demain, selon sa conception, installer l’abondance dans tout le pays. Rencontré dans ses bureaux sis au Point E, le boss de la sécurité alimentaire a dévoilé à «L’Obs» le nouveau plan de guerre de l’Etat contre la faim au Sénégal. 

Vous êtes au Secrétariat exécutif du conseil national de sécurité alimentaire depuis près d’un an. Comment gérez-vous la situation actuelle ?

Depuis 2012, je parle de sécurité alimentaire. Pendant que certains de mes confrères et consœurs parlaient souvent d’autosuffisance, je parlais plutôt de sécurité alimentaire. Déjà, à cette époque-là, au ministère de l’Agriculture, avec le ministre Benoît Sambou, je lui disais que nous devions nous préoccuper davantage de la sécurité alimentaire du pays.

Mais pourquoi aujourd’hui, les gens parlent plus d’autosuffisance que de sécurité alimentaire ?

En fait, c’est une autosuffisance ciblée sur le riz. Et cela se comprend aisément, du fait qu’il s’agit d’une denrée stratégique au Sénégal. Pour une céréale que nous pourrions produire en quantité suffisante et satisfaire les besoins en consommation des populations, il est totalement aberrant que nous en importons plus de la moitié des quantités consommées au Sénégal. Effectivement, nous pouvons atteindre l’autosuffisance alimentaire en riz. C’est d’ailleurs, le pari que le président de la République a fait et que le ministère de l’Agriculture essaie de mettre en œuvre, avec beaucoup d’engagements. Je suis parfaitement d’accord que nous nous attelions à produire tout le riz que nous consommons. Cela dit, la disponibilité des produits alimentaires ne représente qu’un élément de la sécurité alimentaire. L’accessibilité en est un autre, l’utilisation de ces produits est le troisième pilier, la stabilité est le quatrième pilier qui, elle, est transversale. Il faut dire que la sécurité alimentaire est un enjeu humanitaire et social, avant d’être un enjeu politique que tous les pouvoirs publics des pays concernés cherchent à juguler, je pense aux pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, à ceux de la Corne de l’Afrique. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’a été créé le Réseau de prévention des crises alimentaires (Rpca), une plateforme composée des pays de l’Afrique de l’ouest, d’institutions régionales comme l’Uemoa, la Cedeao, mais aussi d’Ong et de partenaires multilatéraux, comme le Programme alimentaire mondial (Pam) et d’organisations paysannes. Son objectif est d’assurer une veille des productions agricoles en Afrique de l’ouest afin de prévenir l’insécurité alimentaire.

Pour le cas du Sénégal, on parle de 245 000 personnes touchées par l’insécurité alimentaire…

Avant d’en arriver aux chiffres, je souhaite expliquer un peu le processus qui a abouti à la production de ces chiffres. J’ai parlé d’un réseau au niveau sous-régional, en expliquant l’enjeu de la sécurité alimentaire, qui est un enjeu stratégique pour tous nos pays. Un pays qui se veut émergent doit forcément juguler ces questions. C’est dans cette lancée et perspective que s’inscrit le Sénégal. Le Conseil national de la sécurité alimentaire a été créé en 1998. Sa mission est d’assurer le pilotage de la politique nationale et la concertation en matière de sécurité alimentaire. Ce conseil est présidé par le Premier ministre. Ses membres sont une douzaine de ministères, des partenaires techniques et financiers, des organisations de producteurs, d’éleveurs, bref tous ceux qui cotisent au panier de la sécurité alimentaire, c’est-à-dire tous ceux qui participent à cette lutte contre l’insécurité alimentaire. Ce conseil se réunit une fois l’an et donne des orientations stratégiques à son bras séculier qu’est son Secrétariat exécutif. C’est, en effet, en 2000 que le Secrétariat exécutif du Conseil national de sécurité alimentaire (Se-Cnsa) a été créé et placé sous l’autorité directe du Premier ministre. Bras séculier du Cnsa, au nom et pour le compte duquel il agit, le Se-Cnsa coordonne, assure le suivi et l’évaluation de tous les projets et programmes, en somme, de toute les activités de sécurité alimentaire, à l’échelle nationale. A ce titre, plusieurs enquêtes sont régulièrement menées sur le terrain dont l’analyse de l’économie des ménages connue sous l’acronyme de HEA(Household Economy Analysis) qui se tient sur les 42 départements du pays (hormis les 3 de la région de Dakar). Le HEA dresse le tableau de la situation alimentaire des ménages du pays. D’autres types d’investigations viennent le compléter : l’enquête sur les sites sentinelles, l’enquête sur les paramètres clés, l’enquête Out Come Analysis, etc. Nous travaillons, tous les jours, sur le terrain. Nous menons des enquêtes dans toutes les régions.

Comment est dressée la cartographie de l’insécurité alimentaire au Sénégal ?

Les résultats de ces enquêtes sont analysés avec des outils communs et validés par le Cilss. Le Cadre harmonisé (Ch) est un de ces outils partagés par les pays de la Sous-région. Il réunit deux fois par an (en mars et novembre), tous les acteurs (sectoriels comme partenaires techniques et financiers) en vue d’analyser et traiter les données recueillies sur le terrain. Le Ch permet de dresser, de manière consensuelle, la cartographie de l’insécurité alimentaire dans le pays. C’est aussi le Cadre harmonisé qui, dans chacun des pays membres, prépare et fournit des inputs au Rpca qui se tient un mois après le Ch  (en avril et en décembre).

A quel niveau étaient les départements touchés par la crise alimentaire ?

Le dernier Cadre harmonisé au Sénégal a fait ressortir 6 départements en situation projetée de crise : il s’agit de quatre départements du nord du pays (Matam, Kanel, Ranérou et Podor) et deux à l’Est (Tambacounda et Goudiri). Ce sont ces six départements qui étaient répertoriés comme risquant d’entrer en crise en juin, juillet et août. Une fois le constat fait, nous ne sommes pas restés les bras croisés. Nous avons élaboré un Plan d’urgence sécurité alimentaire (Pusa) qui a été validé par le Premier ministre en vue de venir en aide aux populations concernées. Il s’agit de 47 251 ménages et 378 000 personnes. Cette année, le plan d’urgence a tenu compte, dans le même temps, de la situation du bétail.

Quand on met en place un plan, c’est pour anticiper. Est-ce parce que vous n’avez pas alerté tôt que le bétail a tellement souffert au Nord et que la crise s’est installée ?

Quand une telle crise présente des risques de s’installer, le principe de base, et c’est ce qui régit notre mode de fonctionnement, c’est de pouvoir anticiper et d’éviter sa survenue ; c’est ce qui justifie toutes ces enquêtes préalables et ces analyses croisées. Mais dans un contexte marqué par des mutations climatiques, difficiles à prévoir, ce n’est pas si simple d’anticiper. Pourquoi le bétail a souffert cette année dans le Nord ? C’est parce qu’il n’y a pas eu assez de précipitations. Un département comme celui de Podor a subi de plein fouet cet état de fait. De plus, ses populations vivaient, pour une large part, des cultures de décrue. Il n’y en a pas eu cette année. Cette décrue dépend de  deux paramètres : les précipitations, mais également les lâchers d’eau qui se font à partir du barrage de Manantali. L’absence de l’un comme de l’autre a exacerbé la situation. Sur instruction du Premier ministre, mon équipe a effectué une tournée dans la zone en janvier 2018, en compagnie du directeur de l’Elevage. Pendant trois semaines, nous avons constaté la situation et surtout discuté avec les populations locales, ainsi que les autres acteurs présents. Il se trouve que le Sénégal n’est pas seul dans cette lutte contre l’insécurité alimentaire. Nous sommes accompagnés par beaucoup de partenaires : le Pam, la Fao, l’Unicef, l’Ue, mais aussi d’Ong, comme Acf, Crs, Oxfam et d’autres partenaires bilatéraux, comme le Japon, le Canada, la liste est loin d’être exhaustive, car beaucoup d’autres projets interviennent pour soulager les populations confrontées à ces crises alimentaires ou leur les éviter. Autant les humains bénéficient de l’aide du gouvernement, accompagné en cela par tous ses partenaires, autant le bétail bénéficie d’une Opération sauvegarde du bétail menée spécifiquement par le ministère en charge de l’Elevage et des productions animales.

Est-ce qu’aujourd’hui la solution, c’est d’attendre, de subir les effets des changements climatiques, pour ensuite réagir ? 

La réponse à cette question est définitivement NON ! D’ailleurs, le chef de l’Etat a souvent alerté sur l’urgence d’apporter des réponses structurelles, donc durables pour que les plans d’urgence deviennent circonstanciels, exceptionnels. Tout récemment, dans son message lors de la fête de la Tabaski, il l’a rappelé. Les plans d’urgence doivent être une exception. Construire la résilience de nos terroirs et celle de nos ménages, telle est la nouvelle démarche, la nouvelle ligne adoptée par le Sénégal en réponse aux directives du chef de l’Etat. C’est pourquoi, en 2016, le Sénégal s’est doté d’une Stratégie nationale de sécurité alimentaire (Snsar). La résilience apparaît dans l’acronyme. La Snsar définit la démarche en vue de construire cette résilience. Puis, en 2017, a été validé le Programme national d’appui à la sécurité alimentaire et à la résilience (Pnasar). Son but est de contribuer à l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages, les plus vulnérables, en particulier, en mettant davantage l’accent sur la construction de la résilience. Ce programme qui fixe désormais le cadre opérationnel unique d’intervention des acteurs impliqué dans la lutte contre l’insécurité alimentaire au Sénégal, comprend cinq sous-programmes, dont un, les Nouveaux terroirs résilients (Ntr), constitue une innovation de taille. L’idée des Ntr est simple : elle se veut construire des remparts contre l’insécurité alimentaire. Il est question de partir des Zones de moyens d’existence (Zme) pour délimiter de nouveaux terroirs. Ces Terroirs nouveaux sont obtenus à partir d’une clé d’intégration de connaissances physiques, sociales et économiques. Les Ntr comportent 3 composantes : un système d’information qui nous permet, au Se-Cnsa, de passer de la situation de consommateur d’informations à celle de véritable producteur d’informations traitées et analysées. C’est pour cela que nous avons renforcé nos représentations régionales, c’est-à-dire les Bureaux régionaux de sécurité alimentaire. Il nous faut aller à la recherche de l’information parce qu’on nous reproche souvent le manque de fiabilité de nos données. Nous allons nous-mêmes au contact des populations, de la réalité, recueillir l’information nécessaire à nos analyses. C’est d’ailleurs ce qui justifie la signature récente d’un protocole d’accord avec l’Union nationale des consommateurs du Sénégal, laquelle est présente dans tous les départements du Sénégal. C’est l’Etat qui s’allie à la société civile pour, justement, régler cette question de l’information. Les Exploitations familiales résilientes (Efr) constituent la deuxième composante des Ntr.  Enfin, la troisième composante, ce sont les Unités mobiles de services agricoles (Umsa), entités économiques portées par des jeunes (en binômes ou trinômes) chargées de délivrer un service agricole payant aux Efr. Le modèle économique des Ntr est le suivant : 1 ménage = 1 hectare de terres = 1 Exploitation familiale résiliente. Chaque Umsa va pouvoir couvrir 40 à 60 Efr au titre de clients. Sur chaque Efr, s’assurer qu’il y ait une source d’énergie, une source d’eau et permettre au ménage de pouvoir s’occuper, toute l’année, dans des systèmes de production diversifiés (végétales et animales et développer des petites unités de stockage). Chaque Efr est donc capable de constituer sa propre réserve en produits alimentaires. Au cours de cinq prochaines années, 60 000 ménages au moins sont ciblés, à commencer par les plus vulnérables. C’est cette vision que le Sénégal développe par le biais du Se-Cnsa, avec le concours de ses partenaires techniques et financiers en vue de bâtir des remparts solides, structurelles, qui bouteront hors de nos frontières l’insécurité alimentaire chronique. Pour que les Efr soient viables, puissent fonctionner, être durables, il faut des services agricoles de qualité. C’est ce qui manque parfois dans nos pays. Les exploitations familiales sont laissées à elles-mêmes. On vient de parler des pluies qui arrivent tard et ne sont pas assez abondantes. Comment les gens vont-ils à s’adapter à ces changements climatiques ? Ils ont besoin d’être accompagnés, d’être mis au courant. C’est en cela que les Nouveaux terroirs résilients mettent en place des Unités mobiles de prestations de services agricoles. On identifiera dans chacun des terroirs, des jeunes et des moins jeunes qu’on va aider à monter des Unités mobiles de prestations de services agricoles. Chaque année, tout l’argent destiné à l’aide humanitaire pour revenir l’année suivante et refaire la même chose, nous proposons d’en consacrer une partie au financement de ces trois piliers de construction de la résilience. On finance des entités économiques pour permettre aux jeunes d’offrir des services. Nous sommes dans un pays où il y a 365 jours de soleil et l’énergie solaire n’est pas exploitée à sa juste valeur. Sans énergie, on ne peut rien faire. Il faut aussi qu’il y ait de l’eau, intrant numéro un. Dans la production, c’est l’eau d’abord. Le Sénégal est un pays dont les nappes regorgent d’eaux souterraines. Nous avons presque une quarantaine de milliards de mètres cubes d’eau qui se renouvellent chaque année. A partir du moment où vous avez de l’eau, vous pouvez travailler toute l’année. Vous diversifiez votre production.

Tout cela est bien pensé, mais demande un budget colossal. Comment trouver cet argent ?

Le Pnasar chiffre le budget des Ntr à 110 milliards sur 5 ans. Chaque composante doit faire l’objet d’un projet bien à part, le tout intégré dans un ensemble harmonieux et cohérent. Le Pnud comme le Pam participent, en ce moment, au financement de l’étude technique Ntr qui, d’ici à fin octobre, nous permettra de ficeler l’étude complète et chiffrée. Bien d’autres partenaires suivront. Un tour de table sera organisé en novembre prochain, en vue de compléter le financement nécessaire au démarrage sur le terrain des activités, par les opérateurs qui seront choisis en vue d’assurer la mise en œuvre des Ntr. C’est cela que nous sommes en train de construire. Evidemment, nous savons que tout ne pourra être résolu en même temps, mais nous nous donnons un horizon de cinq à six ans pour que l’insécurité alimentaire soit réduite à sa plus simple expression et 10 ans pour que cette question ne soit plus qu’un mauvais souvenir au Sénégal.

Donc, il n’y a pas d’exploitation type, préfabriquée à la fois pour le Nord, l’Est et le Sud ?

Non, chaque terroir offre des avantages comparatifs spécifiques ; ce sont ces spécificités de terroirs qui détermineront les systèmes de productions les plus performants pour chaque terroir. Toutefois, le principe de base reste la diversification, l’activité continue n’étant pas totalement tributaire des pluies. Il s’agit d’investir dans la construction de la résilience ; c’est ce qui va réduire considérablement les besoins de distribution de vivres. Je l’ai toujours dit, je ne crois pas que la distribution du riz soit une solution. Elle doit intervenir de façon exceptionnelle, en cas de choc. L’action humanitaire a, certes, de beaux jours devant elle, puisque nous vivons dans un monde qui connaît des perturbations sociales et biophysiques parfois imprévisibles (inondations, sécheresses, etc.), mais nous devons travailler à réduire l’humanitaire à sa plus petite expression, en mettant en avant le développement. Il faut tirer ces populations vulnérables, ces ménages en insécurité alimentaire de leurs situations de vulnérabilité, de précarité, et les mener vers un niveau où nous pouvons commencer à parler de développement. C’est cela que nous sommes en train de construire, c’est ce qui est viable. Il n’y a pas d’autres solutions. Vous voyez donc que nous travaillons à faire passer la sécurité alimentaire de son statut d’enjeu humanitaire à un statut d’enjeu économique, car c’est l’économie qui va tirer le social ; mais nous devons, par ailleurs, penser les sciences économiques dans les sciences écologiques et non l’inverse. C’est à cela que nous travaillons au Se-Cnsa, sous la houlette du cabinet du Premier ministre.

Maintenant, parlons de l’affaire dite des milliards du Prodac ?

Depuis que j’ai quitté le Prodac, j’ai décidé de ne plus en parler. Personne ne m’a jamais entendu parler du Prodac et personne ne m’entendra en parler ; à moins d’y être contraint. J’ai tourné la page Prodac et, comme je l’ai toujours soutenu, demain, il fera jour !

 
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Publié par

Daouda Mine

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