Ndiouma, l’homme qui a fait 22 ans de détention provisoire sans indemnisation
vendredi 20 juillet 2018 • 710 lectures • 1 commentaires
Actualité 5 ans Taille
L’homme serait né en 1963. Il ne connaît pas sa véritable date de naissance. Même si dans le procès-verbal d’enquête préliminaire, il est mentionné qu’il est né le 03 février 1963 à Back, à Fissel. Paradoxe : son fils aîné est né en 1973.
Taille moyenne, visage large, teint foncé, la barbe blanchie par le poids des ans, il avait l’air serein dans le box des accusés comme s’il était sûr qu’il allait bénéficier d’un acquittement. Il était à côté des membres de la bande à Abatalib Samb alias Ino, lors de leur jugement en session spéciale de la Cour d'assises de Dakar, en 2010.
Maçon de profession, Ndiouma s’était présenté devant la barre avec un large caftan bleu. L’enquête de personnalité l’avait dépeint comme un homme calme, généreux et travailleur.
Lorsque ses 22 ans de détention préventive ont été prononcés, le public avait marqué son étonnement. Même le président de la Cour, Malick Sow, n'en revenait pas. Le juge, pourtant très expérimenté, était surpris du destin tragique de ce père de quatre enfants qui a passé 22 années de sa vie derrière les barreaux. Et lorsque le juge a voulu savoir le sentiment qui l'animait, Ndiouma avait lâché d'un ton calme : «C’est la volonté de Dieu, mais je n’ai rien fait de tout ce qu’on m’accuse. Je vais répondre à toutes vos questions et vous saurez que je n’ai rien à me reprocher».
Deux séjours carcéraux, deux fois 11 ans de détention provisoire
Ndiouma Ngom a été arrêté pour la première fois en 1980 pour vol aggravé et recel. À l’époque, il travaillait à Valdafrique, société spécialisée dans la production de pastilles, d'aérosols anti-moustiques et d'insecticides. Il avait été cité dans cette affaire par un de ses collègues. Placé sous mandat de dépôt, il avait été gardé pendant 11 ans à la prison de Rebeuss. Ce n'est qu'en 1991, donc 11 ans après son incarcération, qu'il avait fait face à la Cour d’assises de Dakar.
Au bout du procès, les quatre jurés et trois magistrats professionnels qui constituaient la Cour d'assises à l'époque, avaient conclu qu'il n'avait rien à voir avec les faits qu'on lui reprochait. Il a alors été acquitté.
Elargi de prison, Ndiouma Ngom voulait tourner la page et refaire sa vie. Il avait ainsi quitté sa famille qui s'était installée au quartier Guinaw Rails de Mbour pour se rendre à Bignona, dans le sud du pays. Il pensait en avoir fini avec la geôle. Mais le destin le rattrapera. Un jour qu'il vaquait à ses occupations, il a été surpris par un détachement venu de Dakar. Avant qu'il ne comprenne ce qui lui arrivait, il est menotté, embarqué et encadré par deux gros bras : direction Dakar.
Une fois dans la capitale, il fait face au Doyen des juges du tribunal hors classe de Dakar de l'époque, Demba Kandji, qui gérait le dossier de la redoutable bande à Ino. Il est ainsi inculpé et placé sous mandat de dépôt le 22 juin 1998 pour "vols commis en réunion avec effraction, port et usage d’armes, violences, vols de véhicules, voies de fait et associations de malfaiteurs". En clair, on lui reproche de faire partie de la fameuse bande à Ino. Ses dénégations n'y feront rien.
Il perd sa femme au cours de son emprisonnement
Ndiouma Ngom passera, à nouveau, 11 ans en détention provisoire. Pourtant, aussi bien à l’enquête préliminaire de police, devant le juge d’instruction que face à la cour d'assises, il avait juré la main sur le cœur qu’il n’avait rien fait et qu’il n’avait connu les membres de la bande à Alex et Ino qu’à la prison de Rebeuss après son emprisonnement.
Ce n'est qu'au terme du jugement de la fameuse bande à Ino, au début de l'année 2010, que Ndiouma Ngom alias Sérère a été acquitté une seconde fois.
Il aura ainsi passé 22 ans de sa vie, sans indemnisation, puisque la loi sénégalaise ne prévoit pas encore une réparation pour ce genre de fait.
Pourtant, s'il a tant duré en prison, c'est à cause des lenteurs judiciaires. Et du fait de sa longue détention provisoire, il a perdu sa femme qui a demandé le divorce pendant son séjour carcéral. Par la faute de l’Etat qui l’a confondu à deux reprises à...un criminel.
Daouda MINE
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Daouda Mine
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