Orpaillage à Kédougou : ruée vers… la mort !

dimanche 16 juin 2019 • 1974 lectures • 1 commentaires

Société 4 ans Taille

Orpaillage à Kédougou : ruée vers… la mort !

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IGFM - A Sareya, là-bas dans le lointain Kédougou, à la lisière de la frontière sénégalo-malienne, l’activité aurifère est vie. Ici, les orpailleurs vivent et respirent l’or. Au prix de la vie ! Malheureusement, l’orpaillage y rime avec éboulements, morsures de serpents, asphyxie, produits toxiques, risques de maladies, etc. Une mort évidente qui ne freine en rien la course effrénée vers l’or. 

La vie ne tient qu’à un fil. Zoumana Diawara en est une preuve vivante. «C’était une matinée de mardi. 10 minutes après avoir discuté avec mon ami Adama Bakayogo, on vient m’annoncer son décès, causé par un éboulement. Lequel a, dans la foulée, causé 2 autres blessés graves. Je n’en revenais pas. Parce quelques instants avant sa mort, on était ensemble en train de planifier une petite fête, une fois la nuit tombée. Avec sa mort, j’ai compris qu’entre la vie et la mort, il n’y a qu’un pas. Un seul. Bakayogo était mon ami, mon frère de sang. Le compagnon de tous les jours. On était deux amis inséparables qui partageaient les plus petits secrets», relate Zoumana, la voix tremblotante. Dans les ruelles fangeuses de Doukiba, site d’orpaillage niché dans le département de Sareya dans la région de Kédougou, le jeune orpailleur sénégalais porte cette mort tragique de son «frère» comme une balafre en plein visage. Pour toujours. Mais aujourd’hui plus que jamais, Zoumana Diawara est décidé à squatter les «diouras» (sites d’orpaillage), de descendre dans les «daman» (puits) et de creuser, encore creuser pour trouver les pierres précieuses. L’or en vaut le coup ! Et en bon pailleteur, il ne se pose guère de questions et fait fi des dangers en tout genre, dont un éboulement qui a emporté son pote. Le bonheur, dit-il, est dans la solde. Une profession de foi…

Depuis 4 ans, Ismaïla Guiro fréquente le «dioura» de Doukiba, à la lisière sénégalo-malienne. Physique athlétique, la vingtaine, l’homme cache ses 20 piges dans des vêtements tachés de boue. L’on aurait dit qu’il avait nagé dans un étang de fange puante. Le pailleteur tient aussi son histoire, son drame. Ismaïla Guiro : «Qui l’aurait imaginé ? Le courageux Sanga Cissokho, tué par une morsure de serpent, alors qu’il creusait un puits. Quand on m’a annoncé la triste nouvelle, j’étais perdu et désemparé. À Sakhoula Baba, il y a eu aussi un éboulement qui a tué 2 personnes. C’est devenu maintenant une rengaine. Chaque année, on enregistre des morts. C’est pourquoi on vit avec cette peur : savoir qu’on peut passer de vie à trépas à tout moment.» Un souvenir ineffable qui hante encore et toujours le sommeil de l’enfant de Saréya.

Des mouroirs humains

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À Doukiba, Bougouda, Sanséla, Bantaco, Tékento, Kolia, Mandankouli, Douta, Samécouta, Kharakhéna et Sabadola, dans la région de Kédougou, les accidents liés à l’exploitation artisanale de l’or sont légion. Ces «diouras» enfouis dans le Kédougou des profondeurs ont aussi leur lot de morts et de blessés. Que de traumatisés aurifères ! De damnés à jamais ! La recherche effrénée du profit pousse les orpailleurs à fouler aux pieds les règles de sécurité les plus élémentaires. Ces sites d’orpaillage sont des zones de non-droit. Où c’est l’or, le métal précieux, qui régit la vie de tous les jours. À Tékento, la forte communauté malienne avait même tenté de destituer le chef de village de nationalité sénégalaise pour introniser un des leurs. Cela avait soulevé une instabilité sociale sans précédent, finalement dissipée grâce à l’intervention des autorités sénégalaises.

Depuis toujours dans les «diouras», l’insécurité, les risques de maladies, d’asphyxie, d’éboulement et de morsures de serpent, plus fréquents en période hivernale, ne préoccupent guère. Seule l’extraction de l’or par tous les moyens fait office de loi et de foi. De janvier à aujourd’hui, il y a eu 4 éboulements qui ont occasionné 6 morts, notamment à Guémédié et à Kérétento, où des femmes ont été coincées dans un puits. À Dihabougo dans le département de Bakel, un python avait mordu un orpailleur, qui a finalement rendu l’âme. Dans ce même village, une bagarre dans un bar clando entre Maliens et Burkinabès avait occasionné 14 morts et une dizaine de blessés graves. Le feu a été finalement éteint par une délégation diplomatique des deux pays.

Outre ces facteurs, le banditisme à grande échelle mine l’activité aurifère. Il y a peu, des bandits ont barré la route et fracassé le crâne d’un orpailleur, en pleine forêt au village de Mandankouli dans la commune de Rossanto (Lac de Sabadola). Surpris, ce dernier, qui avait par devers lui 4 kg d’or, n’a pas vu venir ces criminels armés jusqu’aux dents. Un cas de meurtre a aussi eu lieu à Samécouta, un village situé à 10 kilomètres de Kédougou, vers la sortie de Sareya. Ce carré de terre riche en or a été envahi par beaucoup d’hommes d’affaires riches, parce que les gens avaient amassé beaucoup d’or. C’est ainsi que des bandits, informés à la minute près, ont agressé et tué un homme, emportant 300 millions FCfa que gardait soigneusement ce dernier. À l’époque, les sites d’orpaillage à Sareya étaient des mouroirs humains. On dénombrait chaque année plus d’une dizaine d’éboulements, ponctués par des morts et des blessés graves. Et le port de casque et de chaussures de protection ordonné à Diabougou dans le Bakel pour limiter les dégâts, n’a pas prospéré. Aujourd’hui, l’État commence à prendre le taureau par les cornes. Les tueries, agressions et vols ont diminué. L’armée sénégalaise qui a installé un peu partout des cantonnements, mène des opérations coups de poing dans le cadre de la normalisation des sites d’orpaillage.

Attaques à main armée, morsures de serpent…

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Une mesure que salue Fadiata Danfagha, un Sénégalais bon teint. L’orpailleur, gouaille populaire, fréquente les «diouras» de la localité depuis plus de 5 ans. «Les accidents tels que les éboulements font partie des risques du métier. Notre gros problème, ce sont des attaques à main armée, les morsures de serpent en période hivernale et souvent les problèmes intercommunautaires. Mais à part l’activité artisanale, nous n’avons pas d’autres moyens d’exploiter l’or», signale le natif de Brouéa. Il noue ses peines dans un vieux polo écarlate. «On a au plus 4 éboulements par année», chiffre le journaliste Boubacar Tamba. En fin connaisseur du secteur minier dans la zone de Kédougou et membre du Comité national Itie (Initiative pour la transparence dans les industries extractives du Sénégal).

Au pied des collines aux roches convoitées à Sareya, les centaines de taudis se superposent et chancellent. Dans ces endroits sans loi, la ruée vers l’or connaît mille et une vicissitudes. Dans l’espoir de faire fortune, les orpailleurs utilisent à main nue la cyanure et le mercure. Des produits chimiques nuisibles à la santé de l’homme et de l’environnement. Pour eux, seule la couleur des billets de banque importe. Le reste n’est que futilité. Ces produits prohibés sont la chasse gardée des Burkinabés et des Maliens. Néanmoins, des Sénégalais gagnant en expérience, commencent à les utiliser dans l’exploitation artisanale de l’or.

Le gramme à 22000F !




À coup sûr, l’or pue l’argent. Un gramme est vendu à 22 000f dans les sites d’orpaillage et environs. Mais pour s’en procurer, il faut suer eau et sang, explorer et exploser des terres. Avec à la clé, des dangers réels qui guettent en permanence. D’où la nécessaire présence des Forces de l’ordre et de sécurité dans les «diouras» et «damans». Déjà à Soukoukou dans le département de Sareya et à Kharakhéna, un cantonnement militaire a été installé. Dans le milieu aurifère, un «daman» est souvent constitué d’un chef, le détenteur de permis. Ce dernier engage une équipe composée de 5, voire 6 personnes. Il y a dans ce groupe ceux qui creusent la mine, ceux qui tirent les cailloux et une personne qui gère exclusivement la bouffe. À l’heure du partage du «gâteau», calé fréquemment à chaque fin de semaine, la part du lion revient au patron, qui prend 2 sacs de sable. Les autres membres de l’équipage se partagent le reste du butin. Et souvent tout le monde y trouve son compte. Ou presque.

Mère d’une fratrie de 7 enfants, Aminata Keita est née et a grandi à Kédougou. De commerce facile, maman Amina fait partie de ces rares femmes de Sareya qui s’adonnent à l’orpaillage. Elle ne s’en vante pas. Le travail est laborieux, la satisfaction au bout de l’effort. Elle aurait préféré voir ailleurs, mais à part l’activité agricole, rien ne s’offre à elle. Pour autant, elle garde la foi en… l’or. «Je gagne 2 000f par jour. Mon travail consiste à récupérer les résidus d'eau boueuse de l’or pour la filtrer avec une moquette. Depuis 7 ans, je travaille ici, Saséla, et j’arrive à subvenir à mes besoins. Il y a certes des risques de maladies, mais je touche du bois, je ne suis jamais tombée malade.» Par miracle !

Et pour harmoniser et contrôler l’acticité aurifère, l’État sénégalais a permis l’ouverture de 16 couloirs. Dernièrement, 3 nouveaux couloirs ont été ouverts, faisant un total de 19 couloirs dans la région de Kédougou. Et dans ces couloirs, seuls les Sénégalais ont droit à des titres ou cartes d’orpailleur. N’étant pas experts en la matière, ces derniers louent les services d’hommes de confiance maliens ou burkinabè connus pour leur expertise. Afin de pouvoir procéder à l’exploitation artisanale de l’or. Un métier à hauts risques ! Que Zoumana Diawara ne compte pas délaisser. Pour le moment.

IBRAHIMA KANDÉ (ENVOYÉ SPÉCIAL)

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Publié par

Daouda Mine

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