PARCOURS D’UN MARABOUT-POLITIQUE : Serigne Modou Kara, l’atypique

mardi 8 décembre 2020 • 1424 lectures • 1 commentaires

Société 3 ans Taille

PARCOURS D’UN MARABOUT-POLITIQUE : Serigne Modou Kara, l’atypique

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IGFM - A de 66 ans, Serigne Awa Balla Mbacké, plus connu sous le nom de Serigne Modou Kara Mbacké ou encore «Ndayane», pour les intimes, aura marqué son époque. L’Obs retrace le parcours atypique du «Général de Bamba», à la fois marabout des jeunes désœuvrés et chef de milice controversé.

Son port vestimentaire de «Général» d’apparat l’extirpe souvent du commun des marabouts orthodoxes. Ses choix politiques controversés et son discours teinté d’irrationnel forcent le trait. Mais il a la cote auprès des jeunes. Serigne Modou Kara est un mystère, un religieux atypique aux méthodes parfois clivantes. Sympa pour les uns, sectaire pour les autres, le personnage est quelque part au milieu. Pris entre quatre feux après la découverte des «pratiques inhumaines» dans «ses» centres de redressement, Serigne Modou Kara, le marabout-politique s’est plié en quatre au point de fondre en excuses.

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«Je présente mes excuses», s’était-il résigné à dire. Une attitude rangée qu’on ne lui a pas toujours connue. Comme ce matin du 24 mars 2020, quand, en pleine campagne de riposte contre le Covid-19, il avait bravé tous les interdits, serrant la main du Président Macky Sall qui recevait les politiques et religieux au Palais. Une attitude aux antipodes des pratiques à cette époque qui, selon certains observateurs, avaient réduit à néant toute la communication de la Présidence sur cette affaire. Une démarche atypique propre au marabout Serigne Modou Awa Balla Mbacké. Une démarche qu’il s’est toujours plu d’emprunter jusqu’à ce qu’il soit impliqué dans une affaire de séquestration et maltraitance dans des camps de redressement qu’il a mis sur pied. Une histoire de vol de scooter éventrée par les enquêteurs de la Section de recherches de la gendarmerie de Colobane a dévoilé des pratiques en cours dans ses «centres de redressement». Cette affaire a fini de mettre, depuis plus de deux semaines maintenant, le Général de Bamba au-devant de la scène, encore une fois.

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Son histoire avec les «commandos de la paix»


Partisans et pourfendeurs s’en donnent à cœur joie, suite au démantèlement de ses centres de redressement par la Gendarmerie. Fondateur du Parti de la vérité pour le développement (Pvd), Serigne Modou Kara Mbacké est un chef religieux. Longtemps adulé, à la limite vénéré, il est décrit comme un homme «dangereux» par beaucoup de Sénégalais. Après avoir passé plus de 20 ans aux côtés de Serigne Modou Kara Mbacké, Jeuwrigne Mounirou Sarr, adjoint au maire de la Commune de Grand-Yoff, réfute ces allégations. Selon le Secrétaire général du ‘’Diwane’’ et ancien président de la commission communication, le marabout-politique est plutôt un influenceur au sens positif du terme. «Il a posé des jalons qui ont impacté la vie des Sénégalais. Serigne Modou Kara est le plus grand influenceur du Sénégal. Il a beaucoup changé nos vies. Il les a plutôt marquées. Nous avons participé à la délinquance juvénile des années 1990. Nous fréquentions le Lycée Lamine Gueye où nous passions tout notre temps à fumer du chanvre indien et jouer au basket. Nous ne respections pas les cinq prières. Mais depuis que nous avons connu Cheikh Modou Kara, il nous a mis sur le droit chemin», dit-il. Chef religieux, il crée «Kara Sécurité» en 1997, organisation privée dont les éléments sont surnommés «commandos de la paix» et reprend les codes de l'Armée, au point d’inquiéter les autorités sénégalaises. Toujours entouré de ses «commandos», Général Kara semble faire peur. Mais Mouhamed Gningue rassure que son guide n’est pas comparable aux généraux qui prennent les armes pour combattre leurs ennemis. A l’en croire, le terme milice est «négativement» choisi pour discréditer le mouvement. «Ce n’est pas un Général qui prend les armes, qui essaie de créer des milices. Quand on parle de milices, les termes sont choisis négativement, déplore M. Gningue. Parce qu’on l’utilise en cas d’insurrection, de conflit armé. Ce sont plutôt des commandos bien entraînés pour des objectifs bien précis. Cheikh Ahmadou Bamba, entre les mains des puissances coloniales pendant 33 ans, a su pardonner. Donc on ne peut s’autoproclamer Général de Serigne Touba pour être un général qui mène une guerre. C’est insensé.» Au Sénégal, plusieurs guides religieux et personnages publics ont un service de sécurité privé, souvent assimilé à une milice. En ont-ils le droit ? Serigne Modou Kara a des «commandos de la paix». «Les milices sont armées, précise Mounirou Sarr. ‘’Kara Sécurité’’ est composé de disciples issus des daaras. Quand il y a manif, ils mettent leurs tenues pour participer à l’organisation et pour éviter les problèmes, on utilise nos propres moyens. Kara sécurité n’a pas d’armes.»


Son enfance à Thiès et son passage à la Gueule Tapée


Né en 1954 ans dans la capitale du Rail (Thiès), chef religieux et leader politique. Serigne Modou Awa Balla Mbacké dit Ndayane pour les intimes, est le petit-fils de Mame Thierno Birahim Mbacké, frère cadet du fondateur de la confrérie des Mourides, Cheikh Ahmadou Bamba. Comme beaucoup d’autres jeunes de sa génération, le Général de Bamba a connu une enfance normale. Ayant débuté ses humanités à Touba Chicory, sous l’autorité éclairée de son père, Seydina Ousmane Mbacké Noreyni, Cheikh Awa Balla Mbacké va rejoindre Keur Madiamba Touré où il a passé quatre ans, avant de décider de revenir à Darou Mouhty auprès de grands érudits de la théologie comme Thierno Gueye et Dame Diop. Très attaché à Thiès, Serigne Modou Kara Mbacké s’installe au quartier Serigne Abdoulaye Yakhine Diop chez Serigne Abdoulaye Ngom. Mais avant de retourner à Darou Mouhty, il effectua un court séjour chez Serigne Modou Dème, à Diourbel et un bref passage de quatre mois à Ndame. «Non seulement il est né à Thiès, mais du point de vue spirituel, Thiès a une certaine dimension. Tous les enfants de Serigne Touba et Mame Cheikh Ibra Fall ont des domiciles à Thiès. Déjà en 1985, après un bref séjour à Lansar (Saint-Louis), au niveau de la Place France de Thiès, son homonyme Serigne Awa Balla Mbacké, avait dit celui qui va sauver la planète, celui qui va libérer les peuples est de cette localité», révèle Mouhamed Gningue. Après le décès de son père le lundi 23 novembre 1981, Kara devient le Khalife de la famille Noreyni. «Il y apporte une touche particulière avec l’arrivée disciples étrangers : Français, Espagnols, Argentins, des Italiens, des Américains, des Hollandais, des Gabonais et des Congolais». Le marabout débarque à Dakar la même année, après le rappel à Dieu de son père, Seydina Ousmane Noreyni. Il s’était installé à la Cité économique de la Gueule Tapée chez Serigne Mahmouth Diop. Son fils ainé, Serigne Ousmane Mbacké dit «Borom Bakh», a vécu chez Mahmout Diop. C’est à la Gueule Tapée où il compte plusieurs disciples que Serigne Modou Kara, jeune marabout à la belle carrure, a commencé à sortir de l’anonymat. «Cheikh Modou Awa Balla lui avait dit : ’’Vous serez un guide de dimension mondiale, mais restez toujours humble. Je prierai de toutes mes forces pour que le Tout-Puissant puisse exaucer tous vos vœux. Mais ce n’est pas la peine. Parce que tous vos vœux seront exaucés''.»


Toutefois, des observateurs n’hésitent pas à décrier ses comportements politiques qui frisent toujours le clair-obscur. Serigne Modou Kara a soutenu Abdou Diouf en 2000, avant de créer sa propre formation politique, le 11 mai 2004. Le Parti de la vérité pour le développement (Pvd), qui revendique l'influence religieuse et politique du mouridisme, soutient le candidat Abdoulaye Wade en 2007. Alors que la majorité des Sénégalais combattait le troisième mandat du Président Wade, en 2011, Modou Kara Mbacké l’invite à ne pas se représenter du fait de son âge. Sa stratégie n’a pas changé avec Macky Sall, tout comme avec le puritanisme sénégalais auquel il a présenté des excuses qui, pour insuffisantes qu’elles puissent être, ne l’ont pas encore fait accuser officiellement. 


JULES SOULEYMANE NDIAYE

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Publié par

Daouda Mine

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