Pierre Ménès, Canal+: «pourquoi Koulibaly n’est pas fait pour le FC Barcelone» 

iGFM-(Dakar) Comme à son habitude, Pierre Ménès ne fait pas dans la langue de bois. Dans cet entretien exclusif accordé à Record, le caustique consultant de Canal+ aborde l’actualité du football : des binationaux franco-sénégalais qui ont choisi leur pays d’adoption, au fichage ethnique au PSG qui a récemment secoué la France du football, en passant par les Lions et le prochain Ballon d’Or africain.  

 Pierre, le Sénégal a fait les yeux doux à Ferland Mendy, qui a finalement choisi la France. Êtes-vous surpris de sa décision ? 

Dans cette histoire des binationaux, il y a quelque chose de très personnel en moi : c’est le sentiment des joueurs. Que Bouna Sarr et Ferland Mendy soient des Sénégalais d’origine, c’est un fait entendu. Cela ne fait pas d’eux forcément des Sénégalais de cœur. Et peut-être que, sentimentalement, ça ne leur parle pas de jouer pour le Sénégal. Leurs choix doivent être respectés. Après, on sait, ce n’est pas faire injure au Sénégal, c’est une équipe moins prestigieuse que la France. C’est surtout sur la valeur économique. Et s’il faut faire le choix entre ces deux pays, les joueurs préfèrent plutôt choisir la France. Et, inversement, s’ils estiment qu’ils seront barrés en équipe de France, il va de soi, de choisir son pays d’origine. Et, peut-être sans attachement mais par intérêt sportif. Regardez, Didier Drogba qui a choisi de joueur pour la Côte d’Ivoire. Il s’est peut-être mordu les doigts de ne pas avoir joué pour la France. Ça se comprend, parce qu’au départ, il était barré par David Trezeguet et Thierry Henry.  

Pourtant, Kalidou Koulibaly qui a choisi le Sénégal au détriment de la France, avait sa place chez les Bleus, non ?  

Bien sûr. Koulibaly est un joueur extrêmement rapide et puissant. J’ai rarement vu un joueur aussi rapide que lui en défense. Mais, il y a un paramètre à tenir en compte. C’est l’attachement que le joueur sénégalais a par rapport au drapeau français. Koulibaly n’a jamais joué dans une quelconque équipe nationale française et son choix de porter les couleurs du Sénégal se comprend facilement (ndlr, en réalité il a joué en équipe de France U20). Lui, il s’en tape éperdument de la France. Par contre, c’est tout à fait normal pour Ferland Mendy qui a été formé au Havre et qui est un produit du football français. Le problème des binationaux avait soulevé un débat en un moment par rapport au quota. Parce qu’ils font toute leur formation et toutes leurs classes dans le football français. Les joueurs évoluent jusqu’en équipe de France Espoirs et au moment de jouer en senior, ils préfèrent aller jouer en Algérie, au Sénégal, au Maroc, en Côte d’Ivoire ou en Tunisie. Ça ce n’est pas normal non plus.  

À la veille de la dernière Coupe du monde, Didier Deschamps avait dit en substance que s’il n’a pas pris certains joueurs, d’autres sélections pouvaient les prendre aussi… 

Pfff. En tout cas, depuis un bon moment, Ferland Mendy était tout proche de l’équipe de France. Maintenant, pour le cas Deschamps, je ne l’ai pas entendu dire ça et ça ne lui ressemble pas trop. Je pense que Aymeric Laporte pouvait jouer pour l’équipe d’Espagne, il n’est pas pour autant appelé par Deschamps.  

Bouna Sarr pourra-t-il avoir la même chance que Ferland Mendy d’intégrer de sitôt l’équipe de France ? 

C’est possible parce qu’il joue à un poste où la concurrence est quasiment nulle. Benjamin Pavard, depuis son but contre l’Argentine au Mondial, ses prestations en équipe de France sont plus que médiocres. Ce n’est pas le cas à gauche où il y a Lucas Hernandez et Benjamin Mendy. Bouna Sarr peut avoir sa chance à droite ; mais, n’oubliez pas qu’avoir sa chance c’est une chose, la saisir en est une autre.  

Êtes-vous scandalisé par le fichage des joueurs de couleur au PSG ?  

Non du tout. Je n’arrive pas à comprendre qu’on taxe de racisme un club qui appartient à des Arabes, où cette année tous les joueurs issus du centre de formation et qui intègrent l’équipe première sont des Noirs. On a vu l’équipe qui joue la Youth League ou le championnat des U19, les joueurs sont tous des Noirs. Donc, s’il y a des fichages ethniques au PSG, ils ne sont pas efficaces. Maintenant, comme je l’ai dit à la télé et je suis content de le dire à un journaliste sénégalais : ça fait 35 ans que je suis le football français, je ne peux pas compter le nombre de fois, en discussion privée, où on nous dise, qu’il y a trop de Noirs. Faites attention à ne pas prendre trop de Noirs. Maintenant, les clubs ne sont pas fous. Ils préféreront prendre un très bon joueur noir qu’un mauvais joueur blanc. J’aimerais qu’on me dise un secteur d’activité où il y a plus de mixité que dans le football. Si vous voyez un match de football dans les petites divisions en région parisienne, les joueurs sont Noirs à 80%. Moi, j’aimerais que l’on me parle d’erreurs commises dans les fiches que de fichage ethnique. Maintenant, ce qui est choquant, c’est la formulation. Je peux comprendre que recruter un petit n°6 technique dans les 1,70m comme Xavi (ancien joueur du FC Barcelone) et ne pas recruter un milieu de terrain noir de 1,90m type Patrick Vieira (ancien joueur d’Arsenal). C’est l’une des caractéristiques physiques et techniques très différentes. Et dans les clubs on a besoin de connaître les différents profils.  

Le nom de Kalidou Koulibaly revient souvent chez les grosses cylindrées européennes, telles que Chelsea, Manchester United, Liverpool ou encore le FC Barcelone. Pensez-vous qu’il est à sa place au Napoli ?  

Le Napoli est une très bonne équipe. Bien sûr, il est à sa place aujourd’hui. Personnellement, je l’ai trouvé impressionnant contre le Paris Saint Germain face à Mbappé. Maintenant, est-ce que c’est un type de joueur qui correspond au FC Barcelone ? Je ne crois pas trop. Parce que la relance n’est pas à proprement parler son point fort. Par contre, il pourra bien évoluer à Chelsea, à Manchester United ou encore à Liverpool.  

Êtes-vous d’avis que Koulibaly est actuellement le meilleur défenseur central au monde comme le pensent beaucoup d’observateurs notamment africains ?  

(Soupir). Il est dans les meilleurs mais pas le meilleur quand même. Il figure dans les meilleurs d’autant plus qu’on n’est pas dans la période des grands défenseurs centraux.  

Dans deux mois ce sera l’élection du Ballon d’Or africain. Quel est votre trio gagnant ?  

Sans hésiter, je dirai Salah, Mané et Koulibaly. Pour Salah, il n’y a pas besoin de me demander le pourquoi. Il a plané en Angleterre l’année dernière et a fait une bonne campagne des Ligue des Champions. Il a été aidé dans sa tâche par Sadio Mané que j’ai du mal à reconnaître par rapport au joueur qu’il était au FC Metz. Il s’est forgé un caractère qui lui est propre et peut faire sauter tout le monde. Quant à Kalidou Koulibaly, c’est par rapport à tout ce qu’on vient de dire sur lui.  

À la fin du match Guinée équatoriale-Sénégal, on a vu Sadio Mané craquer et l’image a fait le tour du monde. Quel regard portez-vous sur ce fait insolite ?  

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Moi je connais très bien Samuel Eto’o. Les gens ne se rendent pas compte de la valeur de ce monsieur. Et je connais aussi la pression qui pèse sur vous lorsque vous retournez jouer au pays. Le meilleur exemple reste George Weah qui est devenu aujourd’hui président de la République du Liberia. C’est ça le pouvoir des grandes stars du football en Afrique. Je pense que si Samuel Eto’o, malgré tout ce qui s’est passé, s’il se présente pour devenir président du Cameroun, il aurait la chance de passer. Donc, peut-être que Sadio Mané, auréolé de sa finale de Ligue des Champions, de son niveau de jeu, il sent une pression énorme sur ses épaules.  

Quel est le footballeur sénégalais du championnat français qui vous a le plus impressionné en ce début de saison ?  

Je dirais Ismaïla Sarr parce qu’il est à la fois une bombe et un grand tricheur. Il prend énormément de coups. Il triche très bien aussi. Il a très bien appris à tomber. C’est un joueur décisif qui court vite. Aujourd’hui, toutes les équipes françaises savent que, quand elles jouent contre Rennes, le danger n°1 reste Ismaïla Sarr.  

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