Politique : Au sanctuaire des ministres les plus éphémères

mercredi 18 décembre 2019 • 1421 lectures • 1 commentaires

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Politique : Au sanctuaire des ministres les plus éphémères

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IGFM - Presque inexistant sous Senghor et Diouf, le phénomène des ministres éphémères a connu une courbe ascendante sous Me Wade et Macky Sall. Plongée dans le sanctuaire des «comètes» du ciel politique sénégalais.

Au panthéon gouvernemental, ils ont offert leur buste au fétichisme de l’histoire, à l’esthétisme du Pouvoir. Témoins de leur passage aux affaires, beaucoup ont les photos encore placardées aux murs des différents ministères du pays où ils charment, dans une infinie exposition, les usagers d’un regard éternellement fixe. Mais si certains de ces rares «privilégiés» parmi les millions de Sénégalais, ont eu à franchir le seuil de la Salle Bruno Diatta (ex-Salle des Banquets) pour siéger à la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres et donner ainsi corps à leur nomination au gouvernement, d’autres ne tiennent leur titre que sur le papier. A la faveur d’un décret qui n’a duré que le temps d’une rose. Rangés aux oubliettes après une retentissante mise en lumière politico-médiatique, ils sont logés dans la fameuse cohorte des «ministres éphémères». Un beau contingent, composé de divers profils - de grands universitaires comme de petits politiciens -  qui ont fait les frais de la signature présidentielle. Et, si de Senghor à Diouf, le phénomène a été presque inexistant, sous Wade et Macky Sall, la courbe de ces nominations, souvent considérées comme des impairs, a connu une trajectoire croissante. Le nombre est tellement important qu’il est difficile d’en avoir le chiffre exact. Même si les raisons elles, de ce phénomène indigne des grandes Républiques où les enquêtes de moralités demeurent de rigueur, sont connues de tous. Ou presque.

«La fonction de ministre a été galvaudée avec Wade»

Pour l’historien et enseignant-chercheur à l’Ecole des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (Ebad), Mbaye Thiam, la légèreté et le pilotage à vue sont souvent à l’origine de ces «problèmes» qui mettent en évidence la promotion politique d’hommes et de femmes loin d’avoir le niveau, la compétence, la moralité ou l’expérience souhaitée. «Le régime socialiste avait des systèmes de choix vigoureux avec des critères pour choisir un ministre. Mais ce sont les libéraux qui nous habitueront à des changements de gouvernement rapides. Dans le régime socialiste, la nomination d’un ministre était précédée d’une préparation d’au moins six mois. Il y avait des enquêtes très discrètes et à la fin, on avertissait la personne de se mettre en position pour vérifier sa capacité à tenir l’information. Feu Oumar Ba, ancien directeur de la Sicap, a raté son entrée dans le gouvernement parce que sa nomination avait fuité. On l’a consulté pour lui dire de se préparer, ça a fuité et le jour de la publication de la liste des membres du gouvernement, il a été zappé. Mais, bien après, il intégra le gouvernement», se rappelle l’archiviste. De la mémoire de l’historien, Senghor et Diouf ne jouaient pas avec le respect des règles de l’Administration. D’après l’actuel porte-parole du Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, avec le Président Abdoulaye Wade, les profils des ministres étaient complétement désincarnés aux fonctions et aux compétences. Mbaye Thiam : «Avec le régime libéral, outre que c’était éphémère, il y a des profils qui ne répondaient à aucune cohérence. Il y avait aussi la démultiplication du titre de ministre d’Etat. Très peu de gens l’ont porté sous le régime socialiste. Sous Wade tout le monde était presque ministre d’Etat. La fonction de ministre d’Etat a été galvaudée». L’ancien président de la République, Abdoulaye Wade a été même un grand croqueur de ministres. Durant les 12 ans passées à la tête de la magistrature suprême, il a connu six Premiers ministres et utilisé plus d’une centaine de ministres.

 Marie Lucienne Tissa Mbengue, Ibrahima Cissé

Sous le régime de Wade, les remaniements se faisaient au gré des humeurs du chef et le jeu de chaise musicale était presque permanent. C’est d’ailleurs sous le règne du Pape du Sopi que les records d’éphémérité au gouvernement ont été battus. La première fausse note intervient lors de la formation du premier gouvernement post-alternance dirigé Moustapha Niasse, avec la nomination de Marie Lucienne Tissa Mbengue à la tête du ministère de l’Education. Institutrice de formation, la nomination de la protégée d’Idrissa Seck (directeur de Cabinet du Président Wade d’alors) secoue la classe politique. On s’émeut face à une telle désinvolture au sommet de l’Etat. 24 H après, des pressions sur le Président Wade auront raison du poste de la dame. La responsable politique du Parti démocratique sénégalais (Pds) de Mboro sera limogée et remplacée au poste par l’ex ministre des Forces armées, Bécaye Diop. «Il arrive qu’une personne pressentie pour occuper des fonctions ministérielles n’ait pas les compétences requises. La dame en question était pressentie pour devenir ministre de l’Education nationale. Ce département, à l’époque, gérait tous les niveaux de l’enseignement, y compris le Supérieur. Or, la personne en question était institutrice. Elle ne pouvait pas diriger des inspecteurs, des professeurs agrégés des Facultés, qui sont plus gradés qu’elle. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, le plus souvent, le ministre de l’Enseignement supérieur est issu du secteur de l’Enseignement supérieur», se souvient l’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, qui n’était pas encore au gouvernement.

Le sort de la malheureuse Thiessoise rappelle celui de Ibrahima Cissé. Nommé dans le gouvernement, à la tête duquel Me Souleymane Ndéné Ndiaye était appelé en remplacement de Cheikh Hadjibou Soumaré, Ibrahima Cissé sera limogé, près de quarante-huit heures après. Ministre de l’Industrie, des Mines et des Pme, il sera remplacé à ce poste par Ousmane Ngom, selon la liste du gouvernement rendue publique le 1er mai 2009. Cissé est un assureur qui revendiquait à l’époque une trentaine d’années d’expérience. Comme son prédécesseur et successeur, il était militant du Pds. Natif de Thiès, il a administré plusieurs groupes d’assurances. Ancien élève du Lycée Maurice Delafosse de Dakar, Ibrahima Cissé a ensuite intégré l'Institut des mines-télécom de Paris où il est sorti maître ès-sciences physiques avant de retourner au bercail.

Moustapha Sourang,  Libasse Diop, Mame Moussé Diagne, Christian Sina Diatta, Yaye Kène Gassama

Son passage au département de la Justice a été plus qu’éphémère. Moustapha Sourang n’a même pas eu le temps de s’imprégner des dossiers en tant que Garde des Sceaux. Trois mois seulement à la tête de ce département stratégique, le professeur Moustapha Sourang a été démis de ses fonctions par le Président Abdoulaye Wade. Le Pape du «Sopi» a porté son choix sur l’avocat libéral, Me El Hadji Amadou Sall pour lui confier le ministère de la Justice. L’historienne, Penda Mbow a presque vécu la même chose. Elle occupe une place de choix dans la liste des ministres éphémères sous le régime du Président Abdoulaye Wade. Le Professeur Penda Mbow n’a fait que trois mois à la tête du département de la Culture avant d’être limogée. Tout comme l’ancien Doyen de la Faculté des sciences et techniques (Fst) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Libasse Diop.  Nommé  ministre de l’Enseignement supérieur sous le régime de Me Abdoulaye Wade, il a passé moins de deux mois au poste. Ce responsable de l’Alliance des forces de progrès (Afp) de Moustapha Niasse, souteneur de Me Abdoulaye Wade en 2000, avait remplacé Madior Diouf, premier ministre de l'Enseignement supérieur après l'alternance de 2000. Dans la même liste, on note la présence de Mamoussé Diagne. Le professeur de philosophie a fait un bref passage au ministère de l’Enseignement supérieur sous le régime du Président Abdoulaye Wade. Il a passé quatre mois à la tête de ce département avant d’être limogé. Christian Sina Diatta, lui aussi professeur, a connu le même sort. Il a fait moins d’un mois à la tête du département de la Recherche scientifique et technique, sous Wade, avant que le décret n° 2005-626 ne vienne mettre définitivement fin à ses fonctions de ministre. Yaya Kene Gassama émarge dans le même bataillon. Cette universitaire avait remplacé son collègue professeur Christian Sina Diatta. Elle a été nommée par le Président Abdoulaye Wade à la tête du ministère de la recherche scientifique. Mais, à l’image de son prédécesseur, la spécialiste des biotechnologies n’a pas duré à la tête de ce département.

Mbaye Ndiaye, Abc, Aly Coto Ndiaye, Abou Lô, Mata Sy Diallo… quittent les affaires après 7 mois

Comme sous la présidence de son (ex)-mentor politique, Macky Sall a produit aussi son lot de ministres éphémères. Pressenti depuis le mois de septembre après la formation du premier gouvernement d’Abdoul Mbaye à la suite de la deuxième alternance de 2012, un remaniement a lieu le 29 octobre 2012. Un événement qui consacre les départs  de sept ministres du gouvernement, dont des proches collaborateurs du président de la République. Me Alioune Badara Cissé (Affaires étrangères), Mbaye Ndiaye (Intérieur), Mor Ngom (Transports) et Aly Coto Ndiaye (Jeunesse), ainsi qu'Ibrahima Sall (Éducation), Mata Sy Diallo (Commerce) et Abou Lô (Communication) sont tous limogés. Ces changements apportés par Président Macky Sall dans l’attelage gouvernemental, après sept mois d'exercice, ont été guidés par les  «errements» constatés dans la gestion des affaires publiques et dans le respect de la sacralité de l’Etat. Après ce réaménagement, douze nouveaux ministres ont été nommés, portant à trente le nombre de membres du gouvernement et renforçant le poids des alliés de l'Alliance pour la République (Apr) permettant, selon le Premier ministre d’alors Abdoul Mbaye, d'alléger les portefeuilles pour plus d'efficacité dans l’action gouvernementale. Un argument qui n’avait pas à l’époque convaincu grand monde.

FALLOU FAYE & SOPHIE BARRO

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Daouda Mine

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