Pouponnière de Mbour : une autre vie pour les enfants handicapés

dimanche 21 octobre 2018 • 1170 lectures • 1 commentaires

Actualité 5 ans Taille

Pouponnière de Mbour : une autre vie pour les enfants handicapés

PUBLICITÉ

IGFM-Dans le lot d’enfants en détresse qui débarquent à la pouponnière Vivre ensemble de Mbour, des enfants dont le rejet n’est dû qu’à une différence.

PUBLICITÉ


PUBLICITÉ


A l’époque où Viviane Wade, alors Première dame du Sénégal, avait émis le souhait de visiter la pouponnière de Mbour, le chemin n’était qu’un amas de mauvaises herbes, de poto-poto puants et de bêtes rampantes. En une nuit, les services spécialisés ont décapé 500 mètres de terre et recouvert le sol d’un tapis latérite qui permet aujourd’hui d’accéder plus facilement aux deux grandes portes d’entrée. A l’intérieur, des rubans de dalle serpentant entre les cailloutages ou les fines couches de sable, relient les trois principaux pavillons couleur soleil. Pouponnière, Unités familiales, Grande enfance. A l’avant-cour, quelques chiens et chats profitent de l’ombre des bâtiments pour panser la cruauté de l’errance. Puis, passée la porte du premier pavillon, le brouhaha. Cris, pleurs, rires, disputes. Une ribambelle d’enfants dans tous leurs états, s’amusent à rendre chèvre une grappe de femmes et d’hommes. Employés sénégalais et bénévoles français pour la plupart.


Ce n’est pourtant pas un centre de pédiatrie. Pas vraiment un camp de vacances non plus. Plutôt un refuge pour bébés et enfants en danger. La pouponnière «Vivre ensemble», reconnue Ong sociale par le ministère de la Famille et de la Petite enfance, offre depuis 2002 un cadre de vie «normal» à des gosses en danger et pour lesquels le ministère de la Justice a délivré une ordonnance de placement. Derrière ces portes vertes et ces pavillons jaunes, ils sont 145 à bénéficier de toute l’attention et de l’amour que le monde extérieur ne peut leur apporter. Contrairement à une idée répandue, les pensionnaires n’ont, pour la plupart, pas été abandonnés ou rejetés, mais confiés, par des parents en détresse sociale, le temps pour eux de remonter la pente. Mais parfois, débarquent dans ce havre du vivre ensemble, des enfants dont le seul tort est d’être nés handicapés.


«Déficient mental à mobilité réduite, Abdoulaye a été ramassé au bord de la route»



Immobile sur une chaise roulante, Abdoulaye* a du mal à fixer son regard. Un coup à gauche, un coup à droite. Parfois, son cou se tord à l’extrême. C’est d’ailleurs la seule partie de son corps qui semble bouger en lui. Sa tête, ses yeux et sa bouche, qu’il étire dans un large sourire en voyant «tonton». Le surnom que tout le monde donne à Oumar Gaye, coordonnateur du centre. Tonton ne se rappelle plus la date de prise en charge d’Abdoulaye, ni quel est son âge. Une donnée difficilement identifiable, tellement le petit est arrivé, dans une situation de grande détresse. Abdoulaye avait été jeté en bordure d’une route de Mbour. Personne à mobilité réduite et déficient mental, il ne peut se déplacer ni expliquer sa situation à la population, qui le prend pour un mendiant. Il vit sur un tas d’immondices, à la merci des intempéries. Il aura fallu qu’une voiture le percute pour attirer l’attention. «Il est arrivé ici dans un état déplorable. Il sentait tellement fort que c’était difficile de l’approcher. Ce sont les bénévoles français qui lui ont donné un bain et rendu sa dignité humaine», explique Tonton, en lui caressant la tête. Vêtu proprement, l’enfant a maintenant le temps de se refaire une santé. A cause de sa situation de grand handicap, il participe très rarement aux activités qui animent le centre d’accueil. Assis ce jour-là sous l’ombre d’un arbre, il suit de loin une conversation qui se passe entre des éducatrices et d’autres bambins. Ceux-là, «confiés» par des parents, retrouveront leur foyer d’ici à quelques années. Abdoulaye n’aura pas cette chance. Malgré les nombreux appels à reconnaissance, il n’a jamais été réclamé. Ce que les assistantes sociales appellent un abandon de fait. Sylvie Diaw, éducatrice spécialisée, est responsable de la pouponnière depuis bientôt 10 ans. Elle arbore une mine sévère lorsqu’on la croise en néonatologie. On croit presque lire sa désapprobation dans son regard fermé et sur ses lèvres pincées. Il faut pratiquement faire le pied de grue pour la déconnecter un instant des enfants. De ces enfants qu’elle connaît tous par leur prénom et qu’elle protège comme une mère. Même si cela signifie juger les parents qui choisissent, sans autre raison que le handicap, de "confier" leur bébé. «Il y a des admissions qui sont des abandons de fait. Ce sont pour la plupart, un parent qui arrive avec un enfant sur les bras et qui s’arrange avec la vérité. Mais en tant qu’éducateur spécialisé, on détecte le discours de souffrance et on sent que l’enfant est en danger. La première chose à faire dans ces cas est d’abord de mettre l’enfant à l’abri et de s’occuper ensuite de la paperasse. Il y en a qui viennent en pleurs et qui te disent carrément qu’ils ne veulent pas de cet enfant. D’autres viennent avec un papier où ils renoncent à leurs droits parentaux. Mais la plupart d’entre eux n’assument pas cet abandon». Si ceux qui arrivent en unités familiales (de 3 ans à 8 ans) sont plus rapidement diagnostiqués, il est plus difficile ou pratiquement impossible de détecter les cas au niveau de la pouponnière. Il faut attendre l’âge de la petite section pour se rendre compte des défaillances physiques et/ou mentales.


«Mamadou et Fallaye, 4 ans, 3 mois d’âge mental»



Malgré leur âge, Mamadou et Fallaye, 4 ans, sont admis en néonatologie. En effervescence, l’atmosphère de la salle n’est qu’un mélange de cris, de pleurs, de babillements, de berceaux qui grincent. Des bébés crient leur désarroi dans leur lit, tandis que sur le carrelage propre, d’autres s’essaient à la reptation. Les plus excités se font dorloter par trois bénévoles françaises, qui vont et viennent, pieds nus. Les chaussures sont interdites dans la salle. Une employée bloque l’entrée pour éviter aux plus téméraires de ramper hors de la zone aseptisée. Au fond de la pièce, là où la peinture blanche laisse la place à un dégradé rose, Mamadou et Fallaye, immobiles au fond de leurs berceaux, sont les seuls à garder le calme. Ils sont couchés de dos, avec une couche culotte pour seul habit. Leurs membres sont figés dans des angles improbables, malgré la vive lueur qui anime leur regard. A 4 ans, leur âge mental est évalué à 3 mois à cause d’un lourd handicap moteur et d’un retard intellectuel. Ils se nourissent toujours au biberon et ont besoin en permanence de couches. Leurs histoires sont identiques. Nés à quelques mois d’intervalle, ils ont perdu leur mère à la naissance et ont été déposés à la pouponnière par des pères dans le désarroi. Contrairement à Abdoulaye, jeté en bordure de route et dont on ne connaît pas la famille, ces deux enfants reçoivent régulièrement la visite de leurs pères et même des tantes. Cela fait une année que la pouponnière prépare ces familles à les récupérer. Sans grand succès. Sylvie : «On ne les oblige jamais à récupérer les enfants s’ils ne veulent pas». Dans l’intérêt supérieur de l’enfant, un retour en famille est toujours plus bénéfique, d’autant plus que le père de Fallaye semble largement avoir les moyens de prendre son fils en charge. Une fuite de responsabilités qui va obliger l’association, tôt ou tard, à solliciter les services de l’Action éducative en milieu ouvert (Aemo) pour une adoption. En attendant, Mamadou et Fallaye bénéficient, outre la prise en charge gratuite du centre, de l’engagement humanitaire de Handisables international et de l’institut Diambars dont les ostéopathes aident ces enfants à retrouver un peu de motricité. Ces spécialistes ont réussi, par exemple, la prouesse de redonner à Diène, 7 ans, l’usage de ses jambes. «Lorsqu’il a été déposé au centre, il se déplaçait comme un serpent», dit fièrement Tonton, en promettant un bonbon à un enfant aux genoux cagneux. Grâce à ces soutiens, ceux de particuliers sénégalais (5 %) et plus généralement celui de l’Etat français (90 %), la pouponnière réussit à maintenir un niveau de vie correct pour ces pensionnaires. Même si parfois, il est bien difficile d’honorer les 2 millions de FCFA de charges en électricité et eau. Et les 7 millions de salaires pour 104 employés. Tonton : «Pour que Vivre ensemble puisse bénéficier de financements de l’Etat sénégalais, il lui faut le statut d’association d’utilité publique. Nous faisons les démarches nécessaires, mais l’administration sénégalaise reste sourde, alors que nous prenons soin de ses enfants». Tout comme elle reste sourde pour le cas d’Assane. Nous le retrouvons avachi dans le lit de la salle des garçons du pavillon Grande enfance. Le regard perdu au plafond. Alors que les autres unités grouillent de monde et de vie, celle-ci est déserte, presque inquiétante. Assane, qui ne parle pas, est seul dans son monde. Seul dans sa tête. Avec ses propres codes. Il vous oblige à lui donner la main et décide du moment de la lâcher. Dix… vingt… trente secondes. Il faudra l’intervention insistante de Tonton pour le ramener un à semblant de raison. Il l’a perdue depuis l’enfance. En errance lors d’un magal, Assane a été placé par l’Aemo de Diourbel. On présume alors son âge à 7 ans avant de se rendre aujourd’hui à l’évidence, il était beaucoup plus vieux. Son corps actuel est celui d’un adulte d’un quart de sècle et en grandissant, son mal s’est accentué. La violence est devenue son mode d’expression et de fonctionnement. Lorsque Sylvie parle de lui, elle en frissonne de peur. «Assane est un danger pour lui-même et pour les autres. Il a essayé de se suicider. Il est parti dans une maison abandonnée, a creusé un trou, s’est couché dedans et a essayé de se trancher la gorge avec un bout de tôle. Des gens sont intervenus à temps». Plus tard, il a agressé avec une pierre, un enfant du centre qui a eu le tort de le dévisager. La victime, 12 ans, a perdu trois dents et restera défiguré. Diagnostiqué déficient intellectuel, il est suivi par un psychiatre et subit un lourd traitement. Pourtant, depuis 8 ans que la pouponnière a demandé son placement en hôpital psychiatrique, les services concernés restent sourds. Sa famille elle, reste aveugle aux nombreuses sollicitations dans les médias. Avec ce cas, Vivre ensemble est dans l’impasse, à la limite de sa politique de lutter contre l’exclusion.


«Jetée dans une fosse septique à la naissance, Binta est devenue malvoyante»



Une chaleur sèche s’abat de plus en plus sur la pouponnière, à mesure que s’élève l’odeur du riz. Dans la cour plongée dans la pénombre grâce à l’architecture, c’est le branle-bas de combat. Il faut rassembler les enfants et les préparer à prendre le déjeuner. Encore faut-il les attraper. Se faufiler entre les jambes des assistantes sociales est devenu un jeu. Un jeu qui amuse tout le monde. Dans ce joyeux chaos, Binta, fillette de 5 ans au crâne rasé, trouve parfaitement son chemin. Son pas est aussi assuré que sa main, qui écarte les obstacles sans hésitation. Elle est pourtant malvoyante. Victime de sa mère, qui l’a jetée dans une fosse septique à la naissance. C’est ce que pensent les spécialistes, qui ont essayé de lui redonner la vue. L’opération n’a pas marché, même si elle perçoit des ombres. Comme celles qui recouvrent ses pupilles. Des membranes fines, sombres et mobiles qui font qu’on ne peut soutenir le regard de la petite fille. Ses camarades en unité familiale ont essayé innocemment de les lui enlever. Depuis, la direction a décidé de la placer pour les activités en groupe, avec les enfants de la moyenne section, moins curieux. Quand elle heurte Aïda, l’assistante qui s’occupe des adoptions, Binta sourit tout de suite. «Elle reconnaît les gens à la voix, aux formes, à l’odeur… Elle est très intelligente», explique Aïda, la voix teintée d’affection. Elle est un peu la chouchou de tout le monde ici. Les enfants qui s’amusent toujours à échapper au regroupement, lui tournent autour et les employés ne tarissent pas d’éloges sur ses capacités intellectuelles. Scolarisée, la fillette a des résultats qui poussent l’Aemo à la mettre en centre spécialisé. Contre l’avis de Sylvie. «C’est trop tôt, je ne veux pas qu’on l’arrache à son environnement», dit-elle, un brin de possessivité dans la voix. Pourtant, il faudra partir si elle veut s’accomplir dans les études et réaliser son rêve de devenir «apprendre», ainsi qu’elle répond lorsqu’on lui pose des questions sur son métier d’avenir. Rejetée par sa mère, qui paie son geste en prison, Binta est bien partie pour avoir une revanche sur la vie.


Plus tard, la tête tournée vers l’horizon, elle s’avance d’un pas décidé vers la salle-à-manger, là où les enfants, épaule contre épaule, mains dans le même bol, ont fini d’inventer un meilleur monde. Loin des préjugés des adultes. Le soleil est haut sur la pouponnière de Mbour.


AICHA FALL

Cet article a été ouvert 1170 fois.

Publié par

Daouda Mine

editor

1 Commentaires

Je m'appelle

Téléchargez notre application sur iOS et Android

Contactez-nous !

Daouda Mine

Directeur de publication

Service commercial