(Reportage) Incursion dans le quotidien des «Boromsarett*»

dimanche 14 octobre 2018 • 1272 lectures • 1 commentaires

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(Reportage) Incursion dans le quotidien des «Boromsarett*»

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IGFM-Loger tous les charretiers à la même enseigne que leurs collègues qui ont violé et tué MariamaSagna, relève d’une paresse, voire d’une malhonnêteté intellectuelle. En ce sens que Ousseynou Diop et Saliou Boye, les présumés meurtriers de la responsable de Pastef, ne sont pas représentatifs de leur corporation. Toutefois, le meurtre de Keur-Massar et bien d’autres qui l’ont précédé et incriminant des charretiers, servent de prétexte pour faire une incursion dans l’univers des conducteurs de charrette. Reportage au marché Boubess de Guédiawaye, qui concentre la plus grande partie des conducteurs de charrette de la banlieue.

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La scène se passe de commentaires. Confortablement installé dans son taxi clando, Alassane Gueye est visiblement énervé. La cause de son courroux ? Une charrette garée au milieu de la voie qui mène à Pikine Niety Mbar dans la banlieue dakaroise, barrant du coup la route à tous les automobilistes. Coups de klaxon rageurs, vociférations, n’y feront rien. Le conducteur de charrette, indifférent au tohu-bohu qu’il a créé, continue tranquillement sa manœuvre. Alassane s’extirpe de son siège pour demander au charretier indélicat de dégager la voie. Ce dernier, plus préoccupé par son marchandage pour le transport de marchandises, le tance verbalement, avant d’exhiber un couteau, l’insulte à la bouche. N’eût été l’intervention des passants, le pire aurait pu se produire.

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Cette scène, loin d’être une exception, est le quotidien des populations de Pikine Niety Mbar et renseigne sur la cohabitation souvent difficile entre charretiers et populations. Des relations souvent heurtées que le meurtre abominable de Mariama Sagna, militante du Pastef, le samedi 6 octobre dernier, a remis au goût du jour. Plaçant du coup les charretiers au banc des accusés. Un état de fait que A. Fall, charretier qui a requis l’anonymat, réfute. «Les charretiers sont des travailleurs comme tous les autres. Ils gagnent leur pain à la sueur de leur front. Mais comme dans tout corps de métier, il y a toujours de la mauvaise herbe. Les gens doivent pouvoir faire la part des choses et séparer la bonne graine de l’ivraie. Il y a souvent une certaine dose de stigmatisation et d’exagération dans le jugement sur les charretiers, même si certains ne sont pas exempts de reproches.» A. Fall de poursuivre : «Certains charretiers sont capables du pire. J’en ai connu qui ont eu à commettre des vols et des agressions». Et malheureusement, certains faits confortent les assertions du sieur Fall Il y a 2 ans de cela, aux Parcelles assainies, un charretier a entrainé son ami dans un lieu désert pour lui donner un coup de couteau qui lui a été fatal. La victime avait commis le tort de n’avoir pas bien travaillé le fer qu’il lui avait commandé pour son cheval. Toujours en 2016, à la veille de la Tabaski, deux individus, charretiers occasionnels, avaient froidement tué un nommé Carvalho,


pour n’avoir pas pu lui subtiliser son téléphone portable. Ces deux cas parmi tant d’autres suscitent des interrogations et poussent à se poser la question de savoir pourquoi les charretiers sont si violents et belliqueux ?


Un milieu infiltré par des malfaiteurs



Une interrogation à laquelle le chef de garage des charretiers de marché Boubess, Ibrahima Danfakha, a tenté d’apporter une réponse.Dans le coin, on l’appelle affectueusement père Ibou. Fourré dans un caftan en Lagos vert défraîchi, un bonnet nonchalamment jeté sur le chef, l’homme, chef du garage depuis 2 ans, semble usé par les longues heures d’exposition au soleil. Dans ce bruyant marché où il vient chaque matin pour gagner sa vie, père Ibou passe pour le «totem» des charretiers. Sa voix est autorisée et sa parole respectée. Sourire las, il lâche : «Il faut reconnaitre que notre milieu est infiltré par des malfaiteurs et des repris de justice qui une fois sous l’effet de la drogue et de l’alcool, commettent des actes délictuels qu’on impute aux charretiers. Les causes de la violence exercée par certains charretiers sont à chercher aussi dans le fait que souvent, du fait de leur immaturité, des enfants exploités pour conduire des charrettes deviennent violents à force de frapper l’animal pour le contraindre à courir plus vite pour être beaucoup plus productif». Deux facteurs qui sont loin d’être les seules causes de la violence de certains charretiers. Chrétien converti à l’Islam, Serigne Fallou Mbacké Badji, 35 ans, confesse : «Je dois avouer que le métier de charretier est loin d’être aisé dans une société comme la nôtre. Si on n’est pas armé de foi dans le travail et si on n’a pas une forte personnalité, on cède à la violence, verbale ou physique, ou au complexe d’infériorité.»


«Entre 7000 et 10 000 Fcfa de recette journalière»




Mais en dépit du prisme déformant à travers lequel ils sont souvent perçus, certains charretiers émergent du lot. Fallou Goudiaby est de ceux-là. Lui refuse catégoriquement la stigmatisation et se dresse en défenseur de ses collègues charretiers. Il dit : «En toute chose, il est bon de savoir parfois raison garder. Ce n’est pas parce que certains ont commis des méfaits qu’il faut mettre tout le monde dans le même sac. J’aurais pu ne pas m’aventurer à Marché Boubess à la recherche de clients et de marchandises à transporter car je me suis fait des relations et des amis, qui m’appellent tout le temps pour des services rémunérés au-delà du prix normal. Si je n’avais pas un bon comportement, si j’étais une mauvaise personne, tel ne serait pas le cas. Je connais aussi des gens devenus milliardaires, qui ont commencé par le métier de conducteur de charrettes.» Un métier «méprisé», mais qui permet à bien des charretiers d’assurer la dépense quotidienne. En ce début d’après-midi de mardi, le marché Boubess de Guédiawaye grouille de monde. Une fourgonnette remplie de «Baye Fall», diffuse des khassaïdes, alors que ses passagers, , calebasse en main, réclament des sous aux passants en vue du prochain Magal de Touba. Là où des cantines rivalisent d’ardeur pour égayer l’atmosphère. Le tintamarre est assourdissant. L’ambiance lourde, avec la chaleur. En attendant le départ pour Thiaroye Tally Diallo, certains conducteurs donnent à manger ou à boire aux chevaux, histoire de leur redonner des forces. Sous l’ombre d’un bâtiment en construction, FallouMbacké Badji se prélasse.



Agé de 35 ans, il parait plus vieux que son âge. Les rigueurs du métier de charretier sont certainement passées par là. Clope au coin de la bouche, les paumes noircies par le cambouis, il avance : «Le métier de charretier est rude et ingrat, mais ce n’est pas une raison pour qu’on nous accuse de tous les péchés d’Israël. Certains charretiers sont agressifs, voire violents, oui, mais ils se comptent sur les doigts de la main. Ce n’est pas un motif pour nous vouer aux gémonies. Le mépris et l’ingratitude de certains clients sont déjà assez révoltants pour qu’on en rajoute. Nous sommes pour la plupart, de simples pères de famille qui gagnons dignement notre vie.»Il observe une pause avant d’enchaîner : «Le milieu est parfois infiltré par des malfrats qui se transforment en charretiers occasionnels pour transporter les fruits de leurs larcins. Notre combat aujourd’hui est de les extirper de notre cercle car ils nous rendent un mauvais service.»Quid des accusations d’ivresse ? Souleymane Cissé:«Il est indéniable que la plupart d’entre nous consomment certains produits dopants, à des doses raisonnables, pour tenir. Mais si cela dépasse les limites, bonjour les dégâts, avec comme victimes, des clients ou des personnes qui commettent l’erreur d’être au mauvais endroit au mauvais moment.» Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le métier de conducteur de charrette nourrit bien son homme, même s’il est considéré comme un tremplin pour accéder à un meilleur emploi. «Si les choses marchent bien, on peut facilement gagner 10 000F Cfa par jour. Les «mauvais» jours, on peut rentrer avec 7 000F Cfa. Ce qui n’est pas mal pour un soutien de famille comme moi, qui donne 2000F Cfa pour la dépense quotidienne», renseigne Fallou Mbacké Badji. A l’image des taxis et bus, ceux qui les conduisent n’en sont pas souvent les propriétaires. Les charrettes appartiennent à des personnes qui y ont investi pour récolter des sous.  «Certaines charrettes appartiennent à des personnes à qui le conducteur versent mensuellement la somme de 45 000 et 50 000F Cfa. Les frais d’entretien du matériel et la nourriture du cheval sont à la charge du conducteur de la charrette», termine FallouMbacké.

Boromsarett* : Charretiers


AMARY GUEYE

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Publié par

Daouda Mine

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