Robert Bourgi : «Macky, Condé, Ouattara et le troisième mandat»
mercredi 18 décembre 2019 • 717 lectures • 1 commentaires
Politique 4 ans Taille
Vous êtes observateur de la scène politique africaine depuis des décennies. Aujourd’hui, le débat sur un troisième mandat se pose en Guinée, en Côte-d’Ivoire et au Sénégal. D’après vous, qu’est-ce qui explique cette tendance des chefs d’Etat à s’accrocher au pouvoir ?
Il est vrai que depuis quelques jours au Sénégal, la question du troisième mandat se pose, en Guinée Conakry, avec Alpha Condé et en Côte d’Ivoire, avec Alassane Ouattara. Mais c’est une erreur fondamentale d’accoler le nom du Sénégal à celui de la Guinée et de la Côte-d’Ivoire pour ce qui est du troisième mandat. Je le dis clairement et fermement car c’est oublier bien vite le contexte politique explosif de la Guinée, où régulièrement, les marches immenses des opposants et de la population se soldent par des dizaines de morts, dans le silence absolu des démocraties occidentales. Quant à la Côte d’Ivoire, on oublie qu’il y a quelques années seulement, il y a eu une guerre civile qui a causé la mort de milliers de personnes et les blessés à vie se comptent par milliers. Le contexte ivoirien porte en lui-même les germes d’une explosion future.
Mais le Sénégal n’est pas un cas à part…
Le pays est pour l’Afrique et pour le monde un modèle de démocratie. Les alternances se sont faites à la régulière, dans le respect du suffrage universel. Le Président Macky Sall vient juste d’être réélu, dans une ambiance qui n’a en aucune manière été troublée par des incidents majeurs. Ces derniers temps, je lis çà et là les analyses de politiques et de spécialistes du Droit sur le troisième mandat. Cela prête à sourire. A-t-on entendu une seule fois le chef de l’Etat évoquer un hypothétique troisième mandat ? Moi qui le vois régulièrement, qui m’entretiens avec lui, je ne l’ai jamais entendu se prononcer sur le troisième mandat. Je ne dis pas que certains hommes politiques ne pensent pas en évoquant ce troisième mandat à leur destin national. Je les mets en garde. J’ai été de longues années durant auprès de plusieurs chefs d’Etat. Certains, historiques, comme Bongo et Eyadéma, ces deux présidents surveillaient comme du lait sur le feu toute tête tentant de dépasser une limite d’horizon qu’ils avaient eux-mêmes fixée. Gare à celui qui l’agresserait un peu trop tôt ! C’est le peuple qui aura à se prononcer. C’est au Président lui-même de dire s’il envisage un troisième mandat ou pas. Pour l’heure, ce sont que des supputations et des rêves. Le Président Macky Sall est un redoutable homme politique, mais c’est aussi un scientifique. Il écoute et se tait, mais que de pensées agitent son esprit.
S’il vous demande un avis sur la question ?
Si un jour il était amené à me poser la question, je lui répondrais ceci : «Président, la décision te revient à toi et à toi seul. Ton amour du pays et de la paix sociale est connu de tous, je sais que tu pèseras ce problème au tamis de ta conscience.»
Pourtant, des ambitions ne manquent pas dans son camp…
Une chose est certaine à mes yeux, aucun candidat ne pourra passer s’il n’a pas l’onction du Président sortant. Alors, que ceux qui s’agitent taisent leurs ambitions, trop rapidement dévoilées !
Qui sont ils ?
Ils se connaissent.
L’on a constaté une forte agitation ces derniers jours de partisans du chef de l’Etat qui se manifestent par des attaques et règlements de comptes. Ne s’agit-il pas de signes d’une fin de règne ?
Le Président vient seulement d’être réélu. On parle d’une division au sein de l’Alliance pour la République (Apr) et de la mouvance présidentielle. Ce sont des agitations d’amateurs. Connaissant le Président, connaissant son caractère et sa personnalité, tôt au tard, il sifflera la fin de la récréation. Et tout le monde rentrera dans les rangs. A-t-on entendu le Président autoriser une seule personne de sa mouvance à parler en son nom ? Je dis Non. Ces amateurs s’autoproclament porteur de la parole du Président. Certains s’arrogent le droit de le défendre, mais le font par pur calcul. Ils cherchent à se positionner ou en profitent pour tenter de prouver une fidélité. D’autres existent par la tension. Mais il faut souligner que nous ne sommes pas loin du désordre et le Président ne peut le tolérer.
Le climat social est tendu, avec la hausse des prix de l’électricité qui ont entraîné les émeutes de l’électricité de 2011 quand Karim Wade vous disait : «Tonton, le pays brûle.» N’est-ce pas une menace pour le régime ?
La situation de juin 2011 diffère fondamentalement de celle en cours dans le pays. L’on se souvient tout de même des émeutes qui avaient fortement secoué Dakar et le microcosme politique dans la nuit du 27 au 28 juin 2011. Certains sollicitant même l’intervention de l’Armée française, tellement la situation était annonciatrice d’un divorce profond entre le peuple et l’élite dirigeante de 2011. Tout était à l’arrêt au Sénégal, avec des coupures continues d’électricité qui duraient entre 10 et 12 heures par jour. Cette période est aujourd’hui révolue et tant mieux pour le pays car l’électricité est un des moteurs essentiels du développement durable. Si vous regardez une photo satellitaire du globe terrestre prise la nuit, point n’est besoin de vous dire où se trouvent les zones qui concentrent la prospérité du monde. Ce sont celles-là qui sont éclairées par temps de nuit et ont donc accès à l’électricité. Avec le Président Macky Sall, le Sénégal peut s’enorgueillir d’avoir relevé de manière substantielle le pari de la disponibilité de l’énergie. Un cadre de la Senelec que je connais depuis fort longtemps, me confirmait encore hier que le Sénégal est passé d’une moyenne de 900 heures de coupures en 2011, soit plus d’un mois entier de coupures dans une année, à seulement moins de 66 heures, soit moins de 3 jours actuellement. Cette performance n’est pas due au hasard. Elle est le fruit d’investissements massifs dans la production d’électricité et c’est cette disponibilité de l’électricité qui a permis de faire de l’économie sénégalaise l’une des plus dynamiques aujourd’hui en Afrique. Je pense que cette année encore, le pays va presque atteindre 7% de taux de croissance, avec une estimation attendue à 6,9% à fin 2019.
NDIAGA NDIAYE
Publié par
Daouda Mine
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