Trajectoire : Oumar Boun Khatab Sylla, le Calife de Montagne

samedi 5 septembre 2020 • 3771 lectures • 1 commentaires

Politique 3 ans Taille

Trajectoire : Oumar Boun Khatab Sylla, le Calife de Montagne

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IGFM - A 41 ans, le magistrat Oumar Boun Khatab Sylla est le nouveau Directeur général de Dakar Dem Dem. Il remplace à la tête de cette société de transport public l’avocat Me Moussa Diop. Réputé chaud-bouillant, l’enfant de Montagne, Louga, est resté accroché à ses fortes convictions. 

C’est une histoire d’apparence improbable, mais bâtie dans la banalité d’un cadre austère, d’une ville légendaire, portée par la culture où les jeunes ne se levaient pas le matin, à l’époque, en s’imaginant dans une robe, au milieu d’une cour de justice. Louga a certes offert le Président Abdou Diouf au Sénégal, couvé le milliardaire Djily Mbaye, mais la ville a été pendant longtemps le creuset culturel du pays. Une terre de danses et de chants où les modèles se cherchaient encore dans le Cercle de la jeunesse de Louga. Une troupe folklorique, hors-concours, qui a fait le bonheur de tout un pays. Et quand Oumar Boun Khatab Sylla, tout-frais Directeur général de la Société Dakar Dem Dikk (Ddd), en remplacement de Me Moussa Diop, naquit en 1979, la cote de popularité des stars du Ndiambour était à l’agonie, mais il était resté ce sentiment de fierté, cette reconnaissance du devoir accompli. Il avait surtout poussé, à l’ombre de ce passé glorieux, une nouvelle génération de futurs cadres dont la trajectoire connaîtra le dénuement, la sueur, mais jamais le découragement. Et dans cette cuiller de garçons à l’ambition débordante, figurait en haut de la liste Boun Khatab Sylla. Un timide gringalet, au fort caractère, qui voulait être le numéro 1 partout, voir son nom inscrit en majuscule dans les annales de l’histoire. Pour ce faire, il n’a pas suffi simplement à ce fils de Montagne de passer par les gorges tranchantes d’une carrière de juge, mais de beaucoup d’engagement et de reniement qui ont fait parfois se pencher ses collègues magistrats sur son cas. Une obsession à la réussite qu’il assume pleinement et porte depuis le bas-âge.

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Enfant docile

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1986 est une date repère. C’est l’année où Oumar Boun Khatab Sylla a débuté ses gammes. Benjamin d’une fratrie nombreuse, il est inscrit à l’école SOS, situé à un jet de pierre du domicile familial. Enfant docile, il est placé sous la protection de son grand frère, Mouhamadou Bamba Sylla, enseignant dans le même établissement. Aujourd’hui à la retraite, il se souvient des premiers pas d’un potache discret. «Mon père me l’avait confié pour que je veille sur lui, mais pour dire vrai, il n’a jamais posé de problème. C’est un peu gênant de le dire, mais il fait partie des élèves qui m’ont marqué durant ma longue carrière d’enseignant. Avec Cheikh Yérim Seck (journaliste, patron de YerimPost) et un certain Bara Gaye, ils étaient des élèves hors du commun», témoigne celui que l’on appelle communément Sylla. Coaché par son frère et surveillé de près par un papa gendarme, très à cheval sur l’éducation de ses enfants, Oumar n’avait d’autre choix que de suivre le sillon familial.  Ndèye Fatou Sylla, sa demi-sœur, se souvient de l’ambiance très militaire dans laquelle ils ont grandi ensemble. Elle confie : «Mon père était très rigoureux. Nous n’avions pas de temps libre. Après l’école (française), c’était le daara. Il y avait toujours notre maître coranique qui nous attendait. Durant, les vacances, nous partions aux champs. Papa avait fait de sorte que nous soyons toujours occupés à faire quelque chose. Oumar a grandi dans cet atmosphère et cela a forgé sa personnalité.» Le concerné, lui-même, se plait souvent à répéter, comme une leçon de vie apprise par cœur, cette phrase qui résumerait sa réussite : «Mes aînés ne m’ont jamais demandé d’aller apprendre mes leçons. J’étais consciencieux. Je savais ce que je voulais.»


Meneur de grève


L’Entrée sixième décrochée 6 ans plus tard, Oumar Boun Khatab Sylla est orienté au Collège d’enseignement moyen (Cem) Massamba Siga Diouf de Louga. C’est dans cet établissement situé au quartier Montagne où l’adolescent a commencé à pousser des ailes. Il se fait même distinguer dans les mouvements de grève.  Djily Der, son beau-frère, garde encore intact ses souvenirs du collégien émancipé. Il dit : «Oumar Sylla s’est très tôt distingué au collège. Il s’était complètement métamorphosé. Il avait déjà de fortes convictions. A cause des grèves qu’il dirigeait, l’Administration lui faisait convoquer ses parents, mais à chaque fois, c’est vers moi qu’il venait.» Malgré ses petites turbulences, l’ancien camarade de classe de Moustapha Diop (actuel ministre de l’Industrie), veillera à avoir de bonne moyenne pour ne pas se mettre à dos son papa qui goûtait peu ses activités… syndicales.


Après 4 années passées au Cem Massamba Siga Diouf, Oumar décroche son Brevet de fin d’études moyennes et rejoint le lycée Malick Sall de Louga, en 1997.  C’est dans cet établissement secondaire qu’il a commencé à s’affirmer davantage. Téméraire et engagé, il se verra coller un sobriquet à la hauteur de son tempérament chaud-bouillant : «Gaindé Ndiaye». Un nom qui lui est toujours resté. Son ancien camarade de classe Badara Gaye, devenu deuxième adjoint au maire de Guéoul (département de Kébémer), témoigne : «Oumar est un meneur d’hommes qui abhorre  l’injustice. Je me rappelle au lycée, il défendait toujours les causes désespérées. Je crois que c’est son envie de rendre justice qui l’a poussé à devenir magistrat.» Un corps d’élite qu’il intègre sur concours, à l’âge de 25 ans, après son Baccalauréat Série L, avec la mention «Assez-bien» et un passage remarqué à  l’Université Gaston Berger de Saint-Louis où il a décroché une Maîtrise en Sciences juridiques : option gestion des entreprises en difficultés.


Affecté tour à tour au tribunal de Guédiawaye, puis à Louga et enfin à Matam où il occupait les fonctions de juge d’instruction, jusqu’en 2015, année à laquelle il a été nommé Conseiller technique du ministre des Infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement, puis chef du Bureau des affaires juridiques du même ministère, Oumar Boun Khtab décide, un bon matin, de mettre en stand-by sa carrière de juge. Toujours armé de ses tenaces convictions. Seulement, Oumar à un rêve, il veut devenir politique. Un choix qui ne serait pas en adéquation avec son statut de magistrat, même en détachement. 


Magistrat-politicien


Nommé directeur du Petit train de banlieue (Ptb), il s’est rapproché du mouvement «Dolly Macky» de Mamadou Mamour Diallo, alors Directeur des Domaines, avec qui il bat campagne aux Législatives. Mais une affiche du lancement de son mouvement politique, Valeur, mis en place en janvier 2019 pour soutenir la candidature du Président Sall, va alimenter un débat nourri autour de sa personne. S’ouvre alors une terrible guerre par presse interposée entre lui et ses collègues magistrats. Souleymane Téliko, président de l’Union des magistrat sénégalais, est le premier à monter au front pour le remettre dans les rangs. «L'article 14 du Code de la magistrature dispose que les magistrats, même en position de détachement, n'ont pas le droit d'adhérer à un parti politique et toute manifestation politique leur est interdite (…). Ses agissements (le lancement du mouvement Valeur) constituent une violation des valeurs qui fondent la justice et portent gravement atteinte à l'image de leur corps», dénonce-t-il dans un communiqué  rendu public à trois jours du lancement de ce mouvement politique.  Le Forum du justiciable se joint au débat pour fustiger l’attitude de l’ancien juge d’instruction du tribunal de Louga. «Nous condamnons avec la dernière énergie le comportement du magistrat qui s'adonne publiquement à la politique. Cela ne fait que ternir davantage l'image de la Justice sénégalaise et compromet l'indépendance de la Justice», recadre  Babacar Bâ, aujourd’hui membre de l’Office national de la lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac). Pendant un moment, Oumar Boun Khatab Sylla affrontera les critiques, sans essayer de passer entre les gouttes. Pousser jusque dans ses derniers retranchements, Sylla contre-attaque : «Ce que nous faisons, nous l’assumons pleinement, dans la mesure où la vérité, le savoir et le droit sont avec nous. Je n’ai pas enfreint les lois. Ce choix (entrer en politique) que nous avons fait est basé sur le droit et la vérité. (…) Je ne polémique avec personne, mais je tiens à préciser que si nous étions restés dans notre métier (la magistrature), personne ne nous verrait sur le terrain politique. Nous ne voulons pas que les gens, vous disent des choses erronées. Le monde a subi une mutation, le Sénégal a subi cette tendance et notre profession (la magistrature) n’a pas été épargnée par cette nouvelle donne. Donc, nous n’accepterons pas que des intellectuels de mauvaise foi et des lobbies mal intentionnés essayent de formater la mentalité des citoyens en leur faisant croire des idioties. Nous ne devons pas l’accepter (…). Je n’ai pas violé les statuts et je vais l’assumer jusqu’au bout. Quand j’ai décidé de me lancer dans la politique, j’ai déposé une demande de disponibilité.» Suffisant pour mettre la holà dans cette affaire qui a tenu en haleine une partie du pays et renforcé la fracture entre les pros et anti-Macky Sall, considéré, à tort ou à raison, comme le parrain de cette «forfaiture».


Objectif, la mairie de Louga


Aujourd’hui encore, Oumar Boun Khatab Sylla est pleinement engagée dans le champ politique, n’en déplaise à ses pourfendeurs. Et le jeune homme dont les convictions seraient dures comme de l’acier ne cache pas ses ambitions. Il veut briguer la mairie de Louga en affrontant dans un «Mortal Kombat» politique son cadet de Massamba Siga Diouf, le ministre-maire Moustapha Diop. «Il faut que les gens cessent de raconter des contre-vérités aux populations (…). Louga a besoin d’un maire entreprenant, clairvoyant et soucieux de l’intérêt de la population. Toutes les réalisations de la ville sont l’œuvre uniquement du Président Sall», déclarait-il la guerre au premier magistrat de la ville, en marge du bilan de la participation du mouvement «Valeur» à la Présidentielle de 2019. Mais lui, le magistrat, aurait une tare dont la politique ne s’accommode guère. Il serait, selon ses pourfendeurs, «trop hautain et très suffisant». Ce qui tranche d’avec le portrait-robot dressé par ses partisans qui voient en Oumar Boun Khatab un «homme-courage». Un trait de caractère dont il aura certainement besoin pour gérer la société Dakar Dem Dikk. Une première haie à franchir, avant la mairie de Louga.   


ABDOU MBODJ

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Daouda Mine

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