Enquête-Abdoul Mbaye-Mimi Touré : «Je t’aime, moi non plus»

lundi 1 juillet 2019 • 541 lectures • 1 commentaires

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Enquête-Abdoul Mbaye-Mimi Touré : «Je t’aime, moi non plus»

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IGFM - Successivement Premier ministre du Sénégal entre 2012 et 2014, lors du premier mandat de Macky Sall, Abdoul Mbaye et Aminata Mimi Touré se vouent une hostilité non feinte. «L’Obs» a enquêté sur les origines de cette inimitié affichée au grand jour.

C’est une guerre à coups de baïonnettes, de lame au bout de la langue. Où personne ne prend de la hauteur, n’abandonne par lassitude. Où les postures gouvernementales passées n’ont presque servi à rien. Où l’impact des mots se définit par la puissance du verbe. Entre Abdoul Mbaye et Aminata Touré, successivement Premier ministre sous le règne de Macky Sall, les relations sont en perpétuel état de tension, d'hostilité, avec une manifestation violente dans les prises de positions. La dernière passe d’armes en est encore fumante. Elle a ameuté la toile et exacerbé la grande inimitié qui fonde les rapports entre les deux ex-collègues de Gouvernement.

Vendredi 28 juin dernier, sur sa page Facebook, Abdoul Mbaye a partagé une lettre ouverte adressée au Président Macky Sall, dans laquelle il évoque sa missive du 19 octobre 2016 où il dit avoir attiré son attention sur de graves anomalies de procédure ayant conduit à attribuer des permis miniers de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures à un groupe de sociétés contrôlées par le dénommé Frank Timis, en violation de la loi et de la réglementation sénégalaises. En substance, l’ex-PM demande au Président Sall, en sa qualité d’ingénieur spécialisé dans les questions pétrolières et ancien Directeur général de la Société des Pétroles du Sénégal (Petrosen), si l’attribution des permis miniers a oui ou non violé la loi et la réglementation sénégalaises, au regard des éléments aujourd’hui connus sur les sociétés Petrotim Limited, PetroAsia Resources Limited et Timis corporation Limited du groupe Frank Timis.

La réplique de Mimi Touré ne va pas tarder. Elle est retentissante. Par le même canal, sa page Facebook. Pour la présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Abdoul Mbaye tente une manœuvre grossière qu’il convient de dévoiler. «Il cherche désespérément à noyer le poisson quant à l’issue imminente de son procès pour faux et usage de faux dans une affaire strictement privée qui n’a rien à voir avec l’Etat du Sénégal. Pour influencer la Justice et manipuler l’opinion, rien de mieux pour Abdoul Mbaye que de revenir sur une lettre ouverte écrite en... 2016 ! L’objectif recherché est de se victimiser à l’avance, en se présentant comme un lanceur d’alerte persécuté», écrit-elle.

Sous le sceau de la même posture étatique

C’est un secret de polichinelle, un truisme de dire qu’entre Abdoul Mbaye et Aminata dite Mimi Touré, ce n’est pas le grand amour. Premier ministre dans le premier gouvernement du Président Macky Sall, Abdoul Mbaye a cédé la place à Mimi Touré, après avoir servi, du 3 avril 2012 au 1er septembre 2013. Aminata Touré, jusque-là ministre de la Justice, est montée en grade, après avoir piloté d’une main ferme la traque des biens mal acquis. Mais elle fera long feu à la Primature, après seulement 10 petits mois (1er septembre 2013-4 juillet 2014), elle est remerciée par le Président Sall. Sa défaite à Grand-Yoff lors des Locales de 2014 est passée par là. Depuis, c’est la guerre larvée entre les deux ex-Pm. Il suffit que l’un parle pour que l’autre lui porte la réplique. Alors qu’Abdoul Mbaye a viré dans l’opposition, après avoir été limogé de son poste de Premier ministre, Aminata Touré, qui a subi le même sort, avant d’être réincarnée Envoyée spéciale du chef de l’Etat, est restée dans le giron de ce dernier, toujours prête à le défendre envers et contre tous. Et Abdoul Mbaye fait souvent les frais de sa verve. Même s’il s’adresse toujours directement au chef de l’Etat, Mimi Touré est toujours la première à lui répondre. Un marquage dur sur l’homme qui s’expliquerait, selon Momar Thiam, Dr en Marketing politique et communication, par le fait que Mimi Touré, qui a remplacé Abdoul Mbaye à la Primature, a plus d’armes et de munitions pour lui porter la réplique. «Je pense que cette espèce de rapport plus ou moins conflictuel, politiquement parlant, est simplement sous le registre de la politique politicienne, c’est la réponse du berger à la bergère, explique-t-il. On est dans un espace politique, et quand un homme politique s’exprime et envoie des missiles au Pouvoir, la réplique vient toujours d’une personne qui est plus ou moins habilitée à lui répondre statutairement, puisqu’ils ont occupé les mêmes positions. Ma conviction est que ce jeu de yoyo entre Abdoul Mbaye et Mimi Touré est à placer sous le sceau de cette position qu’ils avaient tous les deux, en étant PM.»

Intervention du Président pour recadrer les choses

L’antipathie entre Abdoul Mbaye et Aminata Touré remonterait à la nomination du premier comme Chef du gouvernement. A en croire des membres de la Coalition Macky2012, Mimi Touré, qui a joué un rôle non négligeable pendant la campagne électorale qui a abouti au sacre de l’ex-maire de Fatick, n’aurait pas apprécié le choix d’Abdoul Mbaye pour conduire le premier gouvernement du nouveau président élu. Après avoir sué et trimé pour faire élire Macky Sall, Mimi s’attendait à une récompense conséquente, à la hauteur des efforts fournis. Mais le nouvel homme fort du pays a porté son choix sur Abdoul Mbaye, un technocrate jusque-là loin de la chose politique, qui va quitter son douillet fauteuil de banquier pour venir conduire l’équipe gouvernementale. Mimi rumine sa déception. La cohabitation entre les deux ne sera pas de tout repos. Sous les ordres de Mbaye, les frictions avec Mimi sont légion. La traque des biens mal acquis est le premier dossier à installer une concurrence entre le Pm Abdoul Mbaye et son ministre de la Justice, Aminata Touré. Chacun voulait conduire cette affaire qui, en plus d’une promesse électorale, était une forte demande sociale. Dans ce contexte de duel entre les deux, le chef de l’Etat a tranché en faveur de Mimi, en la choisissant pour présider la Commission de rapatriement des biens mal acquis, au détriment de Abdoul Mbaye, à ce moment, en Turquie pour son premier voyage officiel. Une décision qui n’a pas plu au PM, qui n’avait pas ménagé ses efforts pour diriger cette Commission. Peine perdue !

Décidée à mener la guerre au «fils de… » feu Kéba Mbaye, Mimi n’hésite pas à délocaliser la bataille en Conseil des ministres où les deux se sont souvent donnés en spectacle. Devant tous les membres du Gouvernement et du chef de l’Etat. «Ils n’ont jamais eu de bons rapports, témoigne un ancien ministre. Il ne passait pas une réunion du Conseil des ministres sans qu’ils ne s’affrontent. C’était devenu une habitude entre eux. En fait, Abdoul Mbaye avait pour habitude de trop s’immiscer dans les dossiers des ministres, surtout certains dossiers sensibles, et Mimi ne se laissait pas faire, elle le remettait, tout le temps, à sa place. Ils se disputaient presque tout le temps et il fallait toujours l’intervention du Président pour recadrer et calmer les choses.» «Elle n’a jamais accepté l’autorité et la légitimité de Abdoul Mbaye, poursuit la même voix... Après s’être investie en quittant son poste aux Nations unies pour venir travailler aux côtés de Macky Sall, avoir été son Directeur de cabinet durant la campagne électorale, elle a mal vu le «parachutage» d’un autre, venu de nulle part, qui n’a rien fait pour mériter un tel poste. Et elle disait toujours, en privé, que le sieur Mbaye ne croyait pas en Macky Sall et n’avait aucune conviction, qu’il jouait un faux jeu uniquement pour jouir des privilèges de son poste.» Une vision que la Garde des Sceaux de l’époque partageait avec d’autres, mais ne se cachait jamais pour la manifester. «Elle n’acceptait pas son autorité, elle ne donnait jamais de suite aux directives du PM Mbaye, préférant s’adresser et rendre compte directement au chef de l’Etat. Ce qui ne manquait pas de mettre celui-ci quelque peu mal à l’aise.» Une attitude que Abdoul Mbaye semble vouloir la faire payer, presque 6 ans après sa sortie du Gouvernement. Si l’actuelle présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese) s’adresse toujours nommément à Abdoul Mbaye, ce dernier ne prononce pratiquement jamais son nom, se contentant de l’insinuer dans ses propos. Une attitude qui en dit long. «En communication, le silence est aussi un message, si Abdoul Mbaye choisit cette posture, c’est aussi pour envoyer un message, histoire de dire «vous n’êtes pas mon interlocuteur, mais plutôt le président de la République». Mais si on est dans l’attaque et l’invective tout le temps, on risque de vous écouter sans vous entendre et de vous regarder sans vous voir. La posture de Abdoul Mbaye, c’est à la limite celle d’un certain mépris, façon de dire à Mimi que ce n’est pas à elle qu’il s’adresse, mais plutôt au chef de l’Etat.» Une condescendance de Abdoul Mbaye que Mimi n’a jamais gobée. Une attitude qu’elle a farouchement combattue, l’homme avec.

Exhumation du dossier Hisséne Habré pour liquider Abdoul Mbaye

Pas froid aux yeux, Mimi Touré n’abandonnera pas la bataille engagée contre le «parachuté». Elle donnera à son conflit ouvert contre Abdoul Mbaye un nouveau souffle. Pour lui mettre les bâtons dans les roues et faire tomber le PM de son fauteuil, Mimi va pousser le bouchon loin, très loin, exhumant l’accablante affaire Hisséne Habré dans laquelle Abdoul Mbaye aurait joué le rôle de «blanchisseur» des milliards que l’ex-homme fort de N’Djamena aurait volés au Trésor public tchadien. «Tout le monde a été pris au dépourvu par cette affaire, à commencer par le président de la République. Comme la machine a été déclenchée, il était difficile de l’arrêter.» De la stopper. Mais si cette affaire impactera très négativement sur l’image du PM Abdoul Mbaye, elle jettera les bases de la discorde entre Mimi Touré et le Président Macky Sall. Sauf que l’ex-ministre de la Justice tenait là sa victoire. Et ne manquera jamais de rappeler à Abdoul Mbaye ses casseroles qu’il traîne comme un boulet.

Dernièrement, avec les révélations de BBC, quand le débat sur la gestion des ressources a pris le devant de l’actualité et que l’opposition a voulu jeter Aliou Sall dans les puits de pétrole et mettre le feu aux contrats de concessions de Timis, Mimi Touré a accepté les prises de position de tout le monde, sauf celles de son «ennemi préféré». «Avec ses multiples casseroles judiciaires, Abdoul Mbaye est vraiment disqualifié pour parler d'éthique. Il peut être dans l'opposition, mais se faire le chantre de l'éthique, c'est nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Abdoul Mbaye devra dire aux milliers de victimes de Hisséne Habré, qui demandent réparation, où sont passés les milliards que l'ancien dictateur tchadien lui a confiés.» Une contre-attaque à inscrire dans le même sillage que celle de la campagne Présidentielle de 2019. Peu tendre et assez discourtois. Alors que Mimi Touré accusait Abdoul Mbaye d’être, avec l’ancien président Abdoulaye Wade, moralement responsable des violences notées dans la campagne, la réponse du président de l’Act n’a pas tardé, la mettant dans le même sac qu’El Hadj Hamidou Kassé. Au bord de l’insulte, Abdoul Mbaye couvre l’ex-PM de mots pas du tout «mimi». «À tous deux, nous répondons par le mépris motivé par vos pratiques identiques qui brouillent forcément votre sens de la mesure et de l’identification de la vraie source du mal. Comment compter sur des misérables de cet acabit, dépendant du bien public pour leur pitance et leur logement, mal dans leur peau, au point d’aller chercher refuge dans les vapeurs, seulement à l’aise dans la médisance et le mensonge, pour améliorer le sort des Sénégalais.» Wouaw Mimi ne se le fera pas raconter !

ADAMA DIENG

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Publié par

Daouda Mine

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