Gestion de la COVID-19 : L’Etat face au défi de la com’ de crise

mardi 19 janvier 2021 • 742 lectures • 1 commentaires

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Gestion de la COVID-19 : L’Etat face au défi de la com’ de crise

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Outre les problèmes structurels liés au Covid-19, l’Etat du Sénégal fait face à une autre difficulté et pas des moindres. La communication en cette période de crise reste une équation à résoudre pour le président de la République et son gouvernement.

L’illustration est quasi-parfaite. Pour annoncer la mesure de prorogation du couvre-feu, instauré dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire proclamé par le chef de l’Etat, le 6 janvier dernier, l’Etat a encore lambiné en chemin. L’Exécutif a attendu le dernier moment, malgré la longue attente des Sénégalais, pour envoyer son ministre de l’Intérieur au Journal de la chaîne nationale (Rts1), informer de l’effectivité de la mesure de prorogation qui serait déjà prise par les gouverneurs des régions de Dakar et Thiès. Une sortie tardive qui a suscité beaucoup de critiques et élargi la faille «systémique» qui sépare l’Etat du peuple qu’il peine à convaincre, depuis l’avènement de la pandémie de Covid-19, de la pertinence des mesures prises et surtout à leur faire adopter ces mesures. Une communication, très souvent de crise, assez boitillante, qui ne manque pas de déteindre sur le comportement des populations qui peinent à s’adapter. Une situation que le Dr Sahite Gaye, enseignant-chercheur en communication, explique par une rupture communicationnelle. «Il est difficile de rétablir une communication après une rupture dans la relation établie. En effet, la diminution des cas à un moment a été synonyme de banalisation des messages en lien avec le covid. Il s'y ajoute que rétablir le lien demande de changer de perspective.» 

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«Relever le défi de la participation et de l'implication des autorités coutumières»
Les dernières décisions prises pour instaurer le couvre-feu étaient de la même veine. On a reproché au chef de l’Etat sa sortie tardive et surtout le timing pour annoncer une décision aussi importante, qui nécessite des réaménagements non négligeables du côté des populations. «Le Président avait manqué d’élégance dans l’annonce du couvre-feu du 06 janvier, analyse le Dr Mamadou Diouma Diallo, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Les populations n’ont pas été psychologiquement préparées pour facilement intégrer, pendant des semaines voire des mois, des décisions qui sont lourdes de conséquences dans leur quotidien. Communiquer c’est aussi être dans l’empathie pour faire adhérer l’autre à votre message et si vous le négligez, il peut vous entendre mais pas sûr qu’il vous écoute. Il est toujours difficile de dire ce qu’il convient de faire dans un contexte de démobilisation générale voire de rébellion envers l’autorité.» Sahite Gaye abonde dans le même sens. «Les sorties médiatiques sont toujours précédées de procédures de prise de décision pas très évidentes, indique-t-il. Toutefois, tout manque ou retard de communication pourrait se sentir dans l'objectif de départ. Le problème de communication est à considérer par rapport au contexte et par rapport à la relation entre les émetteurs et les récepteurs. Actuellement, il s'agit de rétablir la confiance et de recadrer les perceptions souvent négatives autour des décisions en rapport avec la maladie.» Un défi majeur que les autorités doivent relever pour faire adhérer la population, et pour cela, selon l’enseignant-chercheur, il faut passer par les autorités religieuses et coutumières. «Actuellement, leurs sorties médiatiques participent à cet élan de faciliter ce travail communicationnel, estime Sahite Gaye. Certaines décisions prises qui devraient être accompagnées d'explications et de pédagogie ne favorisent pas une bonne compréhension du message. De plus, il existe beaucoup de fake news sur la maladie. L’Etat doit relever le défi de la participation et de l'implication des autorités coutumières afin de rétablir la confiance autour des actions sur le terrain et sur la maladie.»

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«A force de dire ce qu’il faut faire et de faire ce que l’on veut, on finit par se discréditer»


Un avis partagé par le Dr Diallo, selon qui, il est important d’être dans la pédagogie et de reprendre les bonnes vieilles recettes qui nous avaient aidé à contenir la propagation du virus. «Je pense toujours à l’engagement communautaire mais surtout, activer les leviers qui permettront une plus forte implication des autorités religieuses. L’arithmétique des chiffres et le bilan macabre égrenés tous les jours laissent les Sénégalais indifférents, il nous faut donc réinventer d’autres moyens de communication pour sortir de l’impasse et surtout asseoir davantage la puissance publique pour contraindre les récalcitrants à adopter les mesures préconisées.» Mais d’après lui, il y a plusieurs facteurs qui expliquent l’impasse dans laquelle se trouve la communication du chef de l’État et du gouvernement.  «D’abord, il y a le changement d’appréciation des Sénégalais sur la dangerosité de la maladie à Coronavirus qui les amène à négliger, voire ignorer les mesures édictées par les autorités sanitaires et administratives. Une partie importante de la population est dans une logique de comparaison avec d’autres maladies qu’elle estime plus dangereuses, et cela amène beaucoup à s’inscrire dans une posture de méfiance et de défiance envers l’autorité. Il y a ensuite le manque de cohérence dans la gestion de la pandémie, à travers des mesures dissonantes, qui entachent la sincérité de l’engagement. On ne peut pas permettre certains rassemblements et interdire d’autres, alors qu’ils ont tous en commun le fait de favoriser la propagation du virus. A force de dire ce qu’il faut faire et de faire ce que l’on veut, on finit par se discréditer et malheureusement, c’est ce que les faits donnent à voir. On peut enfin invoquer l’impuissance publique comme facteur explicatif de la non-adoption des mesures attendues par les autorités sanitaires et étatiques. En effet, il y a eu le décret sur le couvre-feu et l’état d’urgence, accompagnés d’un ensemble d’arrêtés ministériels, mais force est de constater qu’une bonne partie de ces mesures ne sont pas respectées et pis, sont violées sous le regard impuissant de ceux qui sont chargés de faire respecter l’ordre et la loi.» Pour le spécialiste, tous ces facteurs combinés font que les messages de sensibilisation restent sans effets auprès d’une frange importante de la population. De quoi se demander pourquoi le président de la République ne se fait pas comprendre par son peuple. «Nous pouvons avancer l’hypothèse d’une rupture de confiance. On sait qu’il y a eu beaucoup de ratés et de tâtonnements durant la gestion de la crise relative à la première vague, souligne le Dr Diallo. A cela, il faut ajouter que les décisions prises par les autorités restent pour la plupart des décisions impopulaires et très souvent allant dans le sens d’affecter économiquement les couches les plus fragiles. Dans ces conditions, il est difficile de demander aux Sénégalais d’adhérer au discours du président, surtout s’ils intègrent que c’est ce dernier qui leur avait demandé de vivre avec le virus.» Suivant Mamadou Diouma Diallo, le discours ne passe plus parce que les gens ne savent plus si nous sommes toujours en guerre contre le virus ou dans une situation de guéguerre, obligeant l’État à donner l’impression d’agir pour ne pas se retrouver cloué au pilori ou être accusé de laxisme. «C’est une situation très délicate qui exige du président de porter des décisions difficilement acceptables et de supporter les conséquences qui vont en découler.»
ADAMA DIENG

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Publié par

Namory BARRY

admin

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