Sénégal propre, une politique de Macky Sall à deux visages

mercredi 2 décembre 2020 • 606 lectures • 1 commentaires

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Sénégal propre, une politique de Macky Sall à deux visages

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Lancé en «grande pompe» le 4 janvier 2020 dernier par le président de la République Macky Sall, le programme «Sénégal propre» tarde à se matérialiser sur le terrain. «L’Obs» a fait le déplacement dans certains quartiers dakarois pour faire l’état des lieux. 

4 janvier 2020. Un balai dans une main, une pelle dans l’autre, Macky Sall, en demi-saison super cent gris, casquette noire et lunettes de soleil bien vissées, donne le coup d’envoi des «Cleaning days» depuis le parvis du jardin Mermoz Fenêtre, à quelques mètres de son domicile, à Dakar. Ce premier coup de balai du chef de l’Etat déroulé sur ce jardin orné de grosses pierres ocres et d’amas d’ordures, en présence de la Première Dame Marième Faye Sall, du ministre de l’Urbanisme, du logement et de l’hygiène publique, Abdou Karim Fofana, et du maire de Dakar, Soham Wardini, devrait se répéter un samedi par mois, avec l’objectif affiché d’inciter tous les citoyens à nettoyer eux-mêmes leur propre quartier. Mais 9 mois après son lancement par le Premier des Sénégalais, que reste-t-il de cette politique censée illustrer sa volonté d’aboutir à un «Sénégal zéro déchet» ? «On avait lancé une bonne dynamique, en commençant par Dakar, ensuite à Kaolack. Puis, il était prévu de faire la troisième édition à Thiès. Mais le Covid-19 a tout chamboulé et on est toujours dans ce contexte de la pandémie. Mais avec le nouveau ministre (de l’Urbanisme, du logement et de l’hygiène publique, Ndlr), on est en train de voir comment faire la relance du programme ‘’Sénégal propre’’ qui pourrait se faire au mois de février 2021, sans folklore et sans récupération politique. On est en train de travailler sur un nouveau concept ‘’Taaral Sénégal’’ qui englobe la propreté et va toucher beaucoup de secteurs, y compris l’Education nationale et la citoyenneté», souffle-t-on du côté du ministère de l’Urbanisme, du logement et de l’hygiène publique. Mais en attendant, «L’Observateur» a sillonné rues et ruelles dakaroises, foulé le sol de quelques quartiers de la capitale pour faire le diagnostic des «Cleaning days». 

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«Rien n’a vraiment changé. Dakar, surtout sa banlieue, croule toujours sous le poids de l’insalubrité. Il n’y a que le centre-ville qui échappe un peu plus à cette règle», détaille Aliou Mbodji, un jeune éboueur «privé» accroché au détour d’une ruelle escarpée de Grand-Yoff, populeux quartier dakarois. Ce matin de lundi de novembre 2020, le trentenaire qui travaille pour son propre compte, est dans son élément, il s’attèle à ramasser les tas d’ordures qui obstruent cette voie très passante du quartier. Il renchérit : «Il y a juste eu un tapage médiatique, puis plus rien. Pas de suivi, encore moins de pression pour pousser les populations à rester propres et à rendre salubre leur localité. Je suis dans ce métier de ramassage d’ordures depuis plus d’une décennie, mais on rencontre toujours le même calvaire, il n’y a aucun changement de comportement.»  

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«Le programme zéro déchet est un effet de mode»


Le «Cleaning day» est une «priorité» du second mandat du Président Macky Sall, comme il l’avait affirmé en avril 2019, lors de son discours d’investiture. Il avait, à ce titre, promis des «mesures vigoureuses», afin de nettoyer le pays «sans délai». Mais à part la prise d’une nouvelle loi visant à réduire l’incidence des déchets plastiques au Sénégal, le 8 janvier dernier, le programme «Sénégal propre» semble se «noyer» dans l’immense décharge à ciel ouvert de Mbeubeuss. Un dépotoir à ciel ouvert aux hautes montagnes de déchets sédimentés dégoulinant jusqu’aux maraîchages des Niayes et aux habitations des communes de Keur Massar et Malika, en banlieue dakaroise. Et il faudra sûrement plus que des «Cleaning days» pour relever le défi de l’insalubrité dans la capitale sénégalaise.


Les effluves fades qui se dégagent des immondices ne la dérangent point. Aminata Ndiaye balaie, rassemble et soulève les ordures qu’elle jette dans la poubelle. Cette quinqua au teint brun a fait de la propreté un sacerdoce. Elle se lève chaque matin à l’aube pour ramasser les déchets jetés pêle-mêle devant son domicile et ses environs immédiats dans son quartier des Maristes de Dakar. Aminata Ndiaye : «Ce programme présidentiel pour un Sénégal propre pouvait réussir, si toutes les conditions étaient réunies pour un déploiement périodique sur le terrain. Mais la publicité faite autour n’a pas emporté l’engouement des Sénégalais. C’est juste un effet de mode, comme nous l’a habitués le gouvernement.» Et pourtant, jure Aminata Ndiaye la main sur le cœur, «si l’Etat avait doté les quartiers du matériel de salubrité, cela motiverait les populations qui pourront, du coup, changer le visage hideux de leurs habitations. Mais au contraire, il y a juste eu du boucan, les mauvaises habitudes des populations ont repris de plus belle.»


A flâner dans le populeux quartier de Grand-Dakar, les coins et recoins offrent un piteux décor. Crasse, odeur putride, montages d’ordures, le tableau est affreux. «L’Ucg (Unité de coordination de la gestion des déchets solides) fait son travail. Quotidiennement, la benne à effluves passe ramasser les ordures. Mais les populations salissent tous les jours. Elles jettent dans la rue toute sorte d’ordures. La propreté est capitale pour un bon cadre de vie, mais les gens n’en ont cure. Cela démontre encore l’indiscipline notoire qui caractérise certaines personnes», déplore Père Diène. Ce vieil homme, barbu à la taille moyenne, conseille : «Il est bon de miser sur la sensibilisation, mais il est parfois utile que l’Etat prenne le bâton pour discipliner.»


Le président de la République avait, lors du lancement du «Cleaning day», annoncé une batterie de mesures, dont la mise sur pied d’une Brigade spéciale pour surveiller les actions de propreté. «Aujourd’hui, nous devons prendre conscience que ce qui se passait jusque-là ne peut plus se passer, ce n’est plus tolérable et nous allons y mettre un terme. Nous allons mettre en place une Brigade spéciale qui sera dotée de moyens juridiques et matériels pour surveiller et accompagner ces actions, sur le désencombrement et surtout sur les gravats de chantiers», avait menacé Macky Sall. Mais depuis, rien. Aucun jalon n’a été posé. Pourquoi ? «Le Covid-19 a aussi impacté la mise sur pied de cette Brigade. On n’a pas encore voté le budget du ministère, mais on est déjà passé en commission. Il y a une allocation budgétaire spécifique pour le lancement ou la mise en place des premières structures de cette Brigade qui sera gérée par le ministère de l’Urbanisme, du logement et de l’hygiène publique.» 


Aujourd’hui, malgré les efforts de ramassage des déchets par les agents de surface de l’Ucg, Dakar croule toujours sous le poids des montagnes d’immondices, dispersées un peu partout dans la capitale, surtout en banlieue. Avec tous les risques de maladies pulmonaires, gastro-intestinales et cutanées encourues.


«Si on a du mal à rendre propres nos maisons, on ne peut assainir nos quartiers»


Mère Nabou mesure l’ampleur du danger. C’est pourquoi, la dame du quartier Médina de Dakar porte le masque et met des gants pour ramasser les ordures qui parent affreusement la rue 27 de son quartier. Elle dit, entre deux souffles : «Je n’aime pas la saleté. Mais ici, on est obligés de cohabiter avec les ordures, les gens n’ont pas la culture de la propreté. Si on a du mal à rendre propres nos maisons, on ne peut assainir nos quartiers. Ce concept de ‘’Sénégal propre’’ risque de ne pas être une réalité, mais un simple slogan politique.» Mais «le plus écœurant dans ce quartier, regrette-elle, c’est que les populations ouvrent leur fosse septique qui se déversent dans les rues, sans se soucier du voisinage exposé aux maladies». 


Croisé au fiévreux rond-point du marché Sandaga dans le centre-ville dakarois, Abdoulaye Sow, «Funtaké», crie pour écouler sa marchandise. Il porte en bandoulière des Pullover et Lacoste, de la fripe qu’il revend à vil prix. Il dit, d’emblée : «Le centre-ville est toujours propre. Mais le problème de propreté à Dakar, c’est la banlieue et les quartiers périphériques qui sont tout le temps sales. Avec mon métier de vendeur ambulant, je fréquente presque tous les quartiers, mais le constat, c’est que la saleté règne en maître dans ces localités de la capitale.» Abdoulaye Sow de poursuivre : «Le problème des banlieusards, c’est comment trouver du travail et avoir de quoi se mettre sous la dent, plutôt que de s’occuper des questions de propreté.»  «L’hygiène oui, mais la bouffe d’abord. Les gens n’ont pas la tête à ces histoires de ‘’Sénégal propre’’. Les autorités peuvent rêver d’un Sénégal propre parce qu’elles mangent à leur faim. Mais les Sénégalais Lamda pensent à comment surmonter leurs journées», adoube Samba Diop, un habitant du quartier Sicap-Liberté de Dakar. 


Autre endroit, autre décor. A Wakhinane-Nimzatt, une commune du département de Guédiawaye, les populations se sont approprié le programme «Zéro déchet» du Président Sall. Un tour dans les dédales serpentées de ce coin mal famé de Dakar renseigne à suffisance sur les initiatives citoyennes entreprises par les habitants pour rendre leur cadre de vie plus accueillant, leurs habitations propres. Fatou Diop est une habitante du coin. Elle déroule, la voix palpitante : «Dans ce quartier, les ménagères sont regroupées dans l’Association dénommée ‘’Inna nadjafa minnal imane’’ (la propreté est un acte de dévotion). Chaque matin, on fait du Set-Setal. Chacune des femmes balaie individuellement sa maison, puis toutes se retrouvent dans la rue dans une ambiance bon enfant. Ce modèle d’association œuvre pour la salubrité et montre qu’on n’a pas forcément besoin de folklore pour rendre le Sénégal propre.»


IBRAHIMA KANDE & AMARY GUEYE

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Publié par

Namory BARRY

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