Reportage : Les travers des moqueries sur le physique

lundi 1 juillet 2019 • 1331 lectures • 1 commentaires

Société 4 ans Taille

Reportage : Les travers des moqueries sur le physique

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IGFM - Depuis dimanche dernier, il est la «star» de la planète virtuelle. Lui, c’est le body-shaming, cette pratique qui consister à dénigrer quelqu’un à cause de son physique. Zoom sur une pratique dégradante.

«Niawayou Krepin bii euppna wayy (il est trop vilain)», «Mo yéye dhe, gnaw baparé té khamo dara guaf là (Etre vilain et ne pas être un bon joueur est une poisse terrible)», «Limou warone rafete yeup defnako si football bii (Ce vilain garçon produit un beau jeu)», pouvait-on lire, dimanche dernier, sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Le matraquage virtuel, «organisé et ciblé» contre le milieu de terrain sénégalais, est sans quartier. A la minute de son entrée sur le terrain du stade du 30 juin, au Caire, en Egypte, le jeune international sénégalais a été la cible de piques acerbes des internautes qui se sont défoulés sur lui, comme il s’est démené sur le terrain pour offrir un 2e but au peuple sénégalais à la 64e minute du match qui opposait le Sénégal à la Tanzanie. Fair-play, l’intéressé touché dans son amour-propre, mais fier de son physique, n’a pas caché sa déception. Au micro de Rfi, il dit : «Je suis très triste de voir certains frères africains se moquer de moi (…). C’est trop méchant de leur part et le racisme vient de là. Vos moqueries ne changeront rien dans ma vie.» Suffisant pour déclencher une onde de sympathie sur la toile. S’érigeant en boucliers, certains internautes ont pris le pari d’assurer la défense du jeune joueur. Le coach Aliou Cissé et l’international ivoirien, Didier Drogba, vont lancer l’opération «Sauver le soldat Krépin», en se fendant de posts pour aller à sa rescousse.  (Voir par ailleurs).

«Je me suis bagarrée plusieurs fois à cause des moqueries sur mon physique»

Phénomène peu connu sous nos tropiques, le body-shaming a pourtant toujours existé dans la culture sénégalaise. Des célébrités nationales, comme Abdoulaye Wade, Ouzin Keïta, Fatou Waré, Oumy Diagne de la série «Dinama nekh» ou encore Amadou Sall, le fils du Président, ont subi le «bashing» (dénigrement) des internautes. D’ailleurs, une page Facebook dédiée à l’humour caustique en a fait son dada avec sa rubrique «Ma risqué (Ndlr : «Je prends le risque». L’internaute poste sa photo et se soumet à la critique des autres)». Serigne Mor Mbaye, psychologue : «Le Body-shaming a de tout temps existé chez nous. C’est seulement aujourd’hui, avec l’influence de l’Occident, que les gens ont pu mettre un nom à ce comportement. Certaines moqueries commencent depuis l’enfance. Ces derniers portent plus atteinte à la personne, surtout lorsque que c’est le fait de la famille ou de l’entourage. Tous les gens de pouvoir ont utilisé cela. Il peut porter gravement atteinte à l’image et à l’estime de soi. C’est une sorte de harcèlement, d’intimidation et de stigmatisation afin de désarçonner l’autre.» Mais, qu’est-ce donc le body-shaming ? Google tente une explication. Succincte et simple. «Le body-shaming, c’est cette nouvelle mode consistant à humilier quelqu’un à cause de son corps, quel qu’il soit». Trop gras, trop maigre, filiforme, vilain etc. Seule compte la perception de l’auteur qui insiste sur le détail, humiliant du coup, stars ou anonymes, simplement parce qu’il ne correspond pas aux canons de beauté.» Thérèse Sène Dia, élève au Lycée John Fitzgerald Kennedy, est une victime. Cheveux défrisés et chemisier à la main, l’adolescente en classe de 3e narre : «De tout temps, on m’a traitée de garçon manqué ou pire encore, de filiforme. La mesquinerie des gens est sans limite. J’ai toujours mal vécu cela venant de la part de mes copines. Je me suis bagarrée plusieurs fois à cause de cela.» Sourire triste, elle enchaîne : «Il faut que les gens arrêtent de stigmatiser les autres. Si Dieu nous avait demandé la permission, on se serait créé à l’image qui nous siérait.» Sa copine, Ndèye Khady Dieng, elle, tourne les moqueries dont elle a été victime en dérision. Affublée du surnom de «Seew raguine (fille mince) ou de «petite section», la jeune fille trouvée en pleine causerie avec ses camarades, lâche : «A force d’entendre ses moqueries, je suis immunisée. Aujourd’hui, cela me fait juste sourire.»



Besoin de «faire mal»

Suzanne Caroline Coly est plus résiliente. Les railleries sur son physique, elle s’en moque comme de sa première chemise. Au Lycée Kennedy où elle suit ses cours, la jeune fille en a vu de toutes les couleurs et entendu de tous les sobriquets. Thiouth (poussin) a été le pire de tous. Si elle l’a mal vécu au début, aujourd’hui, Suzanne est de marbre. «J’ai toujours été mince et de petite taille. A mon passage, j’entendais toutes sortes de remarques désobligeantes. On me traitait de frites, de moche ou de ficelle. Si je versais de chaudes larmes en cachette au début, aujourd’hui, cela ne me fait ni chaud, ni froid. Moi, je souris et j’avance.» Une attitude que salue ce jeune homme sous le sceau de l’anonymat. Dans la cour du Lycée Blaise Diagne où il commente passionnément le match de foot Sénégal-Tanzanie, le jeune homme est d’avis que «tout se passe dans la tête». Il dit : «La beauté est relative. Chaque personne doit avoir confiance en soi et faire fi de ces remarques, car il est impossible d’y échapper, surtout avec l’avènement d’internet.» L’argumentaire est partagé par le psychologue Serigne Mor Mbaye. Face à une jeunesse de plus en plus connectée, qui se cache derrière des pseudonymes ou l’anonymat, difficile de lutter. «A ma connaissance, ce phénomène n’est pas sanctionné. Et comme il n’y a pas de garde-fous, les gens font ce qu’ils veulent. Les gens ressentent parfois le besoin de faire mal. Le shaming peut porter atteinte à l’intégrité psychique de la personne. Il a un effet dévastateur sur le mental de la victime, particulièrement chez les adolescentes. Les jeunes filles sont fragilisées et angoissées face à ce harcèlement qui les suit sur le long terme.» Aussi, pour le psychologue, il urge de déconstruire les canons de beauté pour que cette dernière soit acceptée dans sa diversité. Un combat qui s’annonce épique.

Les cas Yawou Dial, Tony ou encore Tann bombé



Surnommé «Yawou Dial» à cause de ses dents manquantes, le célèbre lutteur qui a, pendant longtemps, été source de railleries, a fini par adopter le «body positive». Lui a pris les moqueries du bon côté pour faire rire et en rire. D’ailleurs, il ne se gênait pas pour exhiber sa bouche privée d’incisives centrales supérieures. Même, après la prothèse gracieusement offerte par le président Abdoulaye Wade. Babacar Diop alias «Tony», comédien, a aussi été victime de body shaming. Mais, il a réussi à tourner en dérision son physique disgracieux. Aussi aimait-il à raconter cette anecdote quand il était interpellé : «Quand Dieu me créait, il était fatigué. Il a passé le relais à un ange. Mais ce dernier gommait à chaque fois ce qu’il crayonnait. Epuisé, il a juste griffonné une silhouette qui était fort laide. Le Créateur, en voyant sa création (Tony), était tellement mécontent qu’il l’a chassé. Aujourd’hui, je rends grâce à Dieu, car ce physique me permet de bien gagner ma vie.» L’autre célébrité, c’est Abdou Lahad Ndiaye alias «Tane Bombé» (vautour bouffi). Ce comédien, échappé de la banlieue et révélé par le sketch «Ndogou Li», a essuyé les pires vacheries de la part de ses camarades d’enfance, «Pata pouf», «Reuy biir» etc. Mais, pas du genre à prendre son obésité comme un handicap ou à s’embarrasser de complexe à cause de sa surcharge pondérale, le comédien a fait de son obésité sa sève nourricière.

NDEYE SEYNABOU DIEYE (STAGIAIRE)     

LEXIQUE

  • «Fat shaming» pour désigner les rondes,

  • «Slut shaming» pour parler des filles faciles

  • «Skinny» shaming» pour les personnes maigres (Source Wikipédia)

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Publié par

Daouda Mine

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