Cheikh Tidiane Gadio : «Ma mission pour le Mali »

jeudi 24 septembre 2020 • 892 lectures • 3 commentaires

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Cheikh Tidiane Gadio : «Ma mission pour le Mali »

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IGFM - Ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, Cheikh Tidiane Gadio a été choisi par l’Organisation internationale de la Francophie (Oif) comme Envoyé spécial pour le suivi de la question malienne. Dans cette interview accordée à L’Observateur, exclusivement sur sa mission de paix, l’ancien chef de la Diplomatie sénégalaise décline sa nouvelle feuille de route.

M. Gadio, vous avez été désigné par la Francophonie pour diriger une mission au Mali. Peut-on en connaître l’objet ?

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J’ai été nommé depuis lundi comme Envoyé spécial de la Francophonie pour le suivi de la crise malienne. Je devrais me rendre très prochainement avec mon équipe à Bamako. Ce sera d’abord essentiellement une prise de contact avec les autorités maliennes, la société civile, la classe politique, les acteurs majeurs de la crise comme l’Iman Dicko et bien d’autres personnalités. L’objectif est de discuter avec les autorités de ce qui peut être la contribution de l’Organisation internationale de la Francophonie, et nous allons, nous aussi, dire ce que nous pourrions apporter comme soutien à la transition vu le poids de notre organisation forte de 54 pays membres et de 27 pays observateurs.

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L’Oif se promet, après la résolution de la partie la plus difficile, c'est-à-dire la mise en œuvredes fortes recommandations de la CommunautééconomiquedesEtats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), une transition civileavec un Président civil ou un ancienOfficierà la retraireetavec un Premier ministre civil. Unefoisqueles sanctions sontlevées, ilnefaudrait pas que la communautéinternationale range cesbagagesets’enaille, au contraire, c’est en ce moment quelevéritable travail d’accompagnement commence. L’autre point important estque la Secrétairegénérale de la Francophonie, Madame Louise Mushikiwabo, compteelle-mêmevenirà Bamako afind’effectuerunevisiteofficielle de travail etd’amitié au peupledu Mali.


Comment votre choix a-t-il été fait ?


Le choix d’un Envoyé spécial a une procédure classique. Une organisation identifie 2, 3 ou 4 personnalités, prend contact avec les différents gouvernements pour chercher un accord de non-objection et si l’accord est obtenu, l’organisation choisit dans sa short-list une personnalité et lui fait la proposition, étant entendu que l’organisation a déjà le soutien de son gouvernement. Il m’est arrivé d’être interviewé par les Nations-Unies pour diriger une grande mission internationale comme la Minusma au Mali par exemple ou la Mission des Nations Unies en Somalie.


Quand on m’a proposé la Somalie, j’avais trouvé que j’étais plus proche du Mali et que je pouvais apporter beaucoup plus dans le Sahel et donc l’offre donc n’a pas été finalisé. Ensuite, j’ai été proposé par L’Organisation de Coopération Islamique (Oci) pour être Envoyé spécial en Centrafrique. Ce que j’ai fait pendant trois ans. On avait d’ailleurs obtenu des avancées très significatives. On avait même un accord de paix qui était scellé avec 14 mouvements rebelles. Malheureusement, on n’a pas pu finaliser avec le gouvernement Centrafricain. C’était en octobre 2016.


Quel agenda allez-vous dérouler au Mali ?


Lors de cette première visite, il s’agira de prendre contact, de faire des visites de courtoisie aux différents acteurs. Après, il sera question de faire une visite de courtoisie au Président en exercice de la Cedeao, parce que quand il y a une médiation qui concerne beaucoup d’acteurs internationaux, il vaut mieux qu’il n’y ait aucune confusion. La Cedeao a pris le leadership de cette médiation parce qu’au niveau de l’Union africaine, on a décidé de confier aux communautés régionales la direction du processus de résolution des crises. Notre organisation vient apporter son concours pour la résolution de la crise malienne, avec ces spécificités d’organisation universelle, mais en parfaite synergie avec la Cedeao, l’Union africaine, mais également l’Onu.


Êtes-vous intervenu directement ou indirectement dans le choix du Président de transition ?


Non. L’Organisation internationale de la Francophonie n’est pas intervenue. Personnellement, je ne suis pas intervenu directement. Je pense que ce sont des questions inter-maliennes. D’ailleurs, dans la résolution des crises, il est important de privilégier ce que les concernés peuvent décider d’eux-mêmes dans l’intérêt de leur pays, sans interférence.


Quelle est la composition de votre équipe ?


La Francophonie a mis en place une équipe. Elle m’a nommé comme un Envoyé spécial. Par la suite, on m’a proposé une équipe technique de soutien à ma médiation, mais également à ma contribution en tant qu’Envoyé spécial. Cette équipe est composée de Madame Nadia el Yousfi, députée au Parlement Bruxellois et de la Fédération Waloni-Bruxelle, membre du bureau de la Commission des affaires parlementaires de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, et Moha Waly Takma, Ambassadeur du Roi du Maroc auprès de la République fédérale du Nigeria et de la Cedeao basé à Abuja. C’est un ancien ambassadeur du Maroc au Sénégal.


 Une audience est-elle prévue avec les nouvelles autorités maliennes ?


Absolument ! Quand on sera à Bamako, la priorité sera de rencontrer les nouvelles autorités maliennes. Et ensuite, de rencontrer les grands acteurs, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), l’Imam Dicko, M5-RFP et tous les grands acteurs de la vie politique. Quand on accompagne, on accompagne tout le monde et on se met dans de bonnes relations de travail avec les acteurs qui peuvent apporter quelque chose pour le redressement et le progrès du Mali.


Vous êtes l’un des premiers Envoyés spéciaux, à l’époque ministre des Affaires étrangères, à aller au contact des rebelles ivoiriens. Pouvez-vous revenir sur cette rencontre qui a abouti à un accord de paix en Côte d’Ivoire en 2002?


C’est une longue histoire difficile à raconter en quelques mots. Mais c’est une expérience exceptionnelle. Quand la Cedeao avait constaté son impuissance à arrêter la guerre, j’ai eu la chance d’être envoyé avec le Secrétaire général de la Cedeao Ibn Chambaz, le Général Abdoulaye Fall et de grands Officiers de la Cedeao comme le Général Diarra. J’avais en fait une très belle équipe et on a eu la chance d’avoir de très bons contacts avec Guillaume Soro et avec tous les leaders de la rébellion. On a pu les convaincre avec notre sincérité. Il y a eu parfois des incidents, mais on a ramené un accord de paix qui a arrêté la guerre en Côte d’Ivoire. Malheureusement, on peut dire que la guerre ne s’est arrêtée que momentanément parce que, quelques années plus tard, huit ans après plus précisemment, il y a eu les événements que l’on sait et qui ont été à l’origine de la crise post-électorale de 2010. Mais l’accord de Bouaké de 2002 était un grand moment l’histoire de l’Afrique que certains révisionnistes essaient de gommer.


Vous étiez partis récemment au Mali avec le Président Macky Sall, vous y retournez en tant que chef de mission de la Francophonie. N’est-ce pas que les choses ont vite évolué ?


Pendant la tentative de médiation de la Cedeao, des chefs d’Etat de pays poids lourds de la sous-région sont allés au Mali. Cela a été une étape importante. Le problème n’était pas encore totalement résolu quand il y a eu ce coup d’Etat militaire qui a mené à un changement anticonstitutionnel. La demande populaire de changement était là, mais sa conclusion a été sous la forme d’un coup de force militaire. C’est cette forme de changement que nous gérons actuellement.


On est en train de tout faire pour organiser une transition de l’épreuve de force vers une véritable transition civile qui permettra, au bout de 18 mois, d’organiser de nouvelles élections au Mali. Elle va aussi permettre de réfléchir au sein du Conseil national de transition, sur les grands maux qui gangrènent ce grand pays d’Afrique depuis presque 60 ans et sur ces grands maux qui ont occasionné 4 coups d’Etat et la troisième transition qui va se mettre en place très rapidement. Sous ce rapport, je pense que cette phase va être très importante dans l’histoire du Mali. Il faudra leur souhaiter bonne chance et il faut aussi contribuer de façon honnête et sincère en s’engageant avec eux pour que les Maliens eux-mêmes reprennent le destin de leur pays en main.


Vous êtes considéré comme quelqu’un qui maîtrise les coulisses des négociations avec les juntes en Afrique. Que pensez-vous de celle qui est aujourd’hui au Mali ?


Ce qui est intéressant à noter, c’est que le groupe d’Officiers qui a pris le pouvoir le 18 août dernier est jeune. Ensuite, ils ont fait preuve de beaucoup d’innovations dans la démarche. Ils ont évité un bain de sang. Ce qui est très positif. Ils ont choisi une approche collaborative de discussions et d’échanges avec beaucoup de partenaires. Ils se sont déplacés pour se rendre au Sommet de la Cedeao afin d’essayer de s’expliquer sur la situation. Vraiment, leur volonté de coopérer avec leurs compatriotes et la communauté africaine est manifeste. Là maintenant, ils veulent apporter leur concours à la transition. C e que je pense légitime. C’est déjà bien qu’ils acceptent que le Président et le Premier ministre soient civils. Je souhaite voir un Mali de la bonne gouvernance, de l’unité nationale, qui prend à bras-le-corps la question de la sécurité, du communautarisme et qui va opter pour la stabilité politique, constitutionnelle et autres. Sous ce rapport, je pense que c’est une bonne chose qu’ils puissent aussi apporter leurs contributions.


Ne pensez-vous pas mettre sur pied un organisme d’anciens ministres des Affaires étrangères pour pouvoir suppléer la Cedeao et l’Union africaine dans ces cas de crise en Afrique ?


C’était cela l’objectif de la création de l’Institut panafricain de stratégie (Ips) en 2012 avec le soutien de quatre ou cinq chefs d’Etat : éveiller les consciences africaines sur les questions de sécurité. Car, la sécurité précède le développement, comme disait Cheikh Anta Diop. Quand nous avons créé cet Institut, c’était pour promouvoir la paix, la sécurité dans le Continent, la bonne gouvernance, mais aussi le panafricanisme. Promouvoir aussi des médiations dont nous avions une certaine expérience. Nous avons fait plusieurs médiations très discrètes dans certaines crises en Afrique, mais sans jamais essayer de nous mettre à la place des Etats Africains. Il y a la Diplomatie officielle et la Diplomatie de l’ombre qu’on fait en rapport avec nos chefs d’Etat qui nous donnent parfois des mandats de ce genre. Je crois qu’on a travaillé dans ce sens à l’Ips. La résolution des crises appartient à nos organisations et diplomaties officielles. Nous ne pouvons faire que de l’accompagnement, des suggestions et des notes de synthèses.


Est-ce que vous ne vous dites pas quelque part que vous êtes en train de vous bâtir une réputation de «conciliateur africain» ?


En tant que panafricaniste assumé et sans compromis, c’est toujours un honneur de servir le continent africain, un honneur que de me battre pour la paix dans mon continent pour la sécurité de mon continent, pour la bonne gouvernance de façon globale. Mais avec la conviction profonde que le paradigme sur lequel on a voulu fonder les 54 Etats africains est un paradigme problématique. Pour ne pas dire un paradigme que je ne partage pas. Je pense que le destin de l’Afrique, c’est dans son unité politique. Les Etats-Unis d’Afrique, c’est ça ma conviction. En attendant de pouvoir réaliser ce grand destin pour l’Afrique, il nous faut effectivement nous battre pour la paix. Cela fait mal au cœur de voir des affrontements entre Africains. Des machettes qui sortent, des tueries entre des fils et filles du même continent. Si on me donne cette réputation de médiateur et de réconciliateur, quand je m’engage, comme en Côte d’Ivoire, à Madagascar, dans l’accord Tchad-Soudan, comme en Guinée-Bissau pendant trois ou quatre médiations, en Mauritanie durant six mois de médiation, je le fais avec tout mon cœur, avec toute ma sincérité de panafricaniste qui aime inconditionnellement son continent.


AÏDA COUMBA DIOP

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Daouda Mine

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